Bibliothèque idéale n°36 : les grands textes de l'histoire
Louis XIV et vingt millions de français (1966) de Pierre Goubert (Hachette. Pluriel 2005)
Nous arrivons à la dernière partie de la bibliothèque idéale, consacrée à l’histoire et aux divers domaines de la connaissance. Ce n’est donc pas, a priori, le moment le plus facile à passer (je pense que je vais en baver en arrivant à la catégorie « Sciences » !) mais le défi vaut le coup d’être relevé !
Sacrifions à l’anecdotique : je ne sais pas si je l’ai déjà révélé mais j’ai suivi mes études (fort peu studieuses !) en fac d’histoire. Il était alors fortement conseillé par nos professeurs (je viens de voir avec plaisir que l’une d’entre eux, Sophie Wahnich, venait de faire son entrée dans la bibliographie de l’anthologie de la subversion carabinée de Noël Godin : c’est sans doute la plus belle consécration imaginable !) de lire beaucoup de livres d’historiens parallèlement à nos cours. Ce que je ne fis pas et qui me procura quelques soucis pour parvenir à décrocher (malgré tout !) une maîtrise. C’est donc avec une curieuse impression que je me suis mis à lire le célébrissime ouvrage de Pierre Goubert, me replongeant à la fois dans mes années estudiantines et en me faisant regretter quelque peu de n’avoir pas été plus curieux à l’époque.
Pour schématiser à l’extrême (j’espère que les historiens et, en particulier, M. Poirrier, dont je suivis les cours d’ « objet et méthode de l’histoire » me pardonneront ces raccourcis malhabiles), Pierre Goubert fait partie de la deuxième génération des historiens de « l’école des annales » qui révolutionna la manière d’aborder l’histoire au cours du 20ème siècle. Il s’agit alors de rompre avec une certaine vision classique de l’Histoire se limitant à quelques grandes dates et au récit de grands évènements (le vase de Soissons, 1515, 1789, blabla…) mais d’étudier les structures générales d’une société (études démographiques, économiques …) et ses évolutions.
Dans l’ouvrage qui nous intéresse, il est évident que ce qui préoccupe Pierre Goubert, c’est presque moins le monarque que ces « 20 millions de français » qui font de la France le royaume le plus peuplé d’Europe et l’un des plus peuplés du monde (derrière la Chine et l’Inde) à l’époque. L’historien délaissera donc tout ce qui se rapporte à l’imagerie traditionnelle du « grand siècle » (il expédie d’un trait de plume tout ce qui concerne Versailles et ce qui relève des secrets d’alcôves –la Maintenon est à peine citée-) mais nous proposera un panorama très détaillé des conditions de vie du peuple, des inégalités qui subsistent entre les différentes régions du Royaume (la volonté centralisatrice du Roi n’est encore qu’à ses débuts) tout en s’appuyant sur des données démographiques et économiques très précises (Goubert a auparavant rédigé une thèse très détaillée sur Beauvais et le Beauvaisis au 17ème siècle) pour expliquer certains évènements.
Les grands faits « historiques » du règne du Roi soleil (les guerres contre les Provinces-Unies, la révocation de l’édit de Nantes, la succession d’Espagne…) sont jaugés à l’aune d’une toile de fond plus globale qui permet à l’auteur de remettre en question certains préjugés (ce qui lui valut d’ailleurs des critiques acerbes de la part des vieux débris de l’extrême droite : voir la « revue de presse » en annexe du texte). Goubert se montre, par exemple, très sévère pour quelqu’un comme Colbert qui n’a fait que s’adapter, selon lui, aux conditions économiques de son temps.
De la même manière, passées les douze premières années de son règne, Louis XIV nous est présenté comme un monarque s’enfermant dans des rêves mégalomanes complètement inadaptés par rapport aux évolutions de son siècle (la volonté d’unité religieuse étant l’erreur la plus manifeste).
Si je devais me permettre un tout petit reproche sur cet ouvrage qui se dévore, il faut bien l’avouer, comme un roman (il s’agit d’un livre de vulgarisation -au bon sens du terme- et nous échappons bien heureusement au jargon des spécialistes), il concernerait la manière dont Goubert « oublie » totalement la dimension « culturelle » de l’histoire (je n’ose dire « spirituelle » pour ne pas m’avancer sur un terrain glissant !).
L’approche économique, démographique, monétaire permet d’offrir des assises stables et « objectives » au tableau historique (Goubert a raison de souligner qu’un peuple totalement affamé et miséreux n’aurait pas pu supporter des dizaines d’années de guerre comme il l’a fait). Cependant, je trouve un peu cavalier la manière dont il expédie toutes les œuvres de l’esprit en jugeant qu’elles ne concernent qu’une toute petite élite. Molière, Racine, Lulli seront à peine cités dans cet ouvrage alors qu’il me semble que c’est aussi à travers l’art et la pensée que l’Histoire se fait (c’est très simplificateur, j’en ai bien conscience, mais peut-on envisager la Révolution sans les Lumières ? ou est-ce que les Lumières sont, eux aussi, de purs produits de leur temps ? la question est difficile à trancher !).
A cette réserve près, Louis XIV et vingt millions de français mérite amplement sa place dans une « bibliothèque idéale » et je ne saurais trop vous le recommander.
A vous de me dire quels « grands textes de l’histoire » vous me conseillez pour cette catégorie…
Libellés : 17ème siècle, Bibliothèque idéale, Colbert, Goubert, histoire, Louis XIV
3 Comments:
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