La mort du Beau et la résurrection du chanteur
Mes activités diverses et variées m’ont empêché de redescendre dans cette cave depuis un certain temps alors que je voulais vous parler de plusieurs choses. Sentant monter en moi une irrésistible flemme, je me contenterai d’une note plus succincte sur les sujets que j’avais l’intention d’évoquer. Commençons par la littérature avec :
Asphyxiante culture de Jean Dubuffet (Minuit.1986)
Publiées pour la première fois en 1968, cet ensemble de notes relativement courtes témoigne à la fois de la rare acuité d’un regard posé sur la notion même de « culture » (jamais ce texte n’a paru autant d’actualité qu’aujourd’hui) et d’une virulente remise en question de ce concept pouvant servir de manifeste à la propre pratique artistique de l’auteur. N’étant pas spécialiste dans le domaine de l’art, je me garderais bien d’épiloguer longuement sur Jean Dubuffet , principal fer de lance de l’art brut, passionné par toutes les productions intervenant hors du champ de la culture (le peintre nourrira un intérêt jamais démenti pour les œuvres des fous).
Cette dernière phrase résume paradoxalement assez bien la teneur du pamphlet puisque Dubuffet réfute cette notion de « spécialiste », montre qu’en étant totalement aux mains de ces « spécialistes », la culture n’est finalement plus qu’une norme se transmettant de générations en générations. Les œuvres qui nous restent du passé résultent d’abord du choix des hommes de culture de l’époque et constitue un corpus institutionnalisé par les classes dominantes. Elle ne témoigne en aucun cas de la véritable production artistique d’une époque mais déjà d’une sélection d’une caste possédante utilisant la « propagande culturelle » pour faire ressentir « aux administrés l’abîme qui les sépare de ces prestigieux trésors dont la classe dirigeante détient les clefs, et l’inanité de toute visée à faire œuvre créative valable en dehors des chemins par elle balisés. »
A cette notion de « culture », Dubuffet oppose la création artistique individuelle. Il prend comme image l’opposition entre le voyageur solitaire explorant les continents inconnus (l’artiste) et le touriste qui se promène en meute pour contempler et admirer les mêmes paysages présélectionnés (l’individu « enculturé »). Or, « la production d’art ne peut se concevoir qu’individuelle, personnelle et faite par tous, et non déléguées à des mandataires ».
A l’heure où il faut réserver ses places à la FNAC pour espérer entrer dans un musée, où l’esprit de révolte le plus subversif est congelé par une culture prête à recycler tout ce qui dérange (Dada au musée !), cet essai s’avère parfaitement roboratif. En préconisant l’insoumission aux normes et la création par tous, Dubuffet n’est pas si éloigné que ça des situationnistes et de la remise en question de « la société du spectacle » : « Il n’y aura plus de regardeurs dans ma cité, plus rien que des acteurs. Plus de culture, donc plus de regard. Plus de théâtre- le théâtre commençant où se séparent scène et salle. Tout le monde sur scène, dans ma cité. Plus de public ».
En s’attaquant radicalement à cette notion de culture, de Beau (« l’esthète fait comédie de chérir la beauté. Mais de beauté il n’y a nulle part nulle, sinon conventionnelle - culturelle.), Dubuffet réalise une splendide apologie de l’individu contre la norme, du renversement du rapport acteur/spectateur et un très beau traité d’insoumission dont devraient se souvenir tous ceux qui ne soutiennent pas à fond le mouvement étudiant renaissant actuellement :
« Il faut mentionner encore, précieux terreau pour l’éclosion des créations et des ferveurs, l’humeur de refus systématique, l’entêtement, le goût de bafouer et piétiner, l’esprit de contradiction et de paradoxe, la position d’insoumission et de révolte. Rien de salvateur n’éclôt que de ce terreau-là ».
Sans transition, je passe à la chanson et à Cali que j’ai pu découvrir sur scène cette semaine. La figure qui le représente le mieux est celle du crucifié. Eternel écorché vif sacrifié sur le temple de la cruauté et la perfidie féminine, Cali s’esquintant à ne chanter que ses états d’âme d’amoureux transi et forcément trahi avait tendance à nous lasser un peu. Après un premier album très réussi, le second (Menteur) faisait un peu redite malgré la présence de trois ou quatre très beaux morceaux. Cependant, inutile de céder au péché mignon des français pour qui succès rime forcément avec suspect et de ces journaleux qui commencent à remettre en question les artistes que l’on a regroupé sous l’appellation forcément réductrice de « nouvelle chanson française ». Ceux qui les critiquent devraient avoir la curiosité d’aller voir Bénabar ou Cali sur scène pour réaliser à quel point c’est cette scène qui les a fait et que leurs triomphes n’ont rien de scandaleux.
Je le dis d’autant plus facilement que son dernier album ne m’a qu’à moitié convaincu, Cali est époustouflant sur scène : une patate inimaginable, deux heures quarante cinq de spectacle avec en apothéose ce corps crucifié offert au public le transportant de la scène à l’autre extrémité de la salle.
Ses chansons reprennent un autre sens lorsqu’il les offre sur scène, même si parfois il en fait trop (d’après moi, la limite a été franchie une seule fois lorsqu’il hurle le désespoir du père privé de la garde de son enfant en chantant avec une complaisance assez insupportable le vrai père, une des plages les moins réussies de l’album). Des « tubes » repris avec une incroyable énergie et l’approbation d’une foule en liesse aux moments plus intimistes (très belle succession de chansons entonnées dans une ambiance bal pop’ et orchestre, avec comme point culminant la magnifique ode à Roberta, la muse de 82 ans), Cali mène sa barque avec une immense générosité.
Il fait monter sur scène une jeune fille du public (courageuse !) pour l’accompagner à la place de Daniel Darc sur Pauvre garçon ou invite Hubert-Félix Thiéfaine (eh oui !) le temps d’un duo très réussi.
Si Cali est l’homme crucifié par l’amour, la scène est le lieu où s’opère sa résurrection chaque soir…
Libellés : Art brut, Cali, Chanson française, concert, Culture, Dubuffet
2 Comments:
à propos de Cali : il paraît effectivement qu'il est très bon sur scène. mais en tout cas, ce que j'en ai entendu à la radio m'a plutôt déplu : déjà, sa façon assez lourde de chanter, maniérée peut-être...mais surtout, dans la chanson "pensons à l'avenir", des paroles vraiment piteuses, voire très moches...est-ce un cas isolé, ou toutes ses chansons sont-elles du même acabit ?
Bonjour, j’ai eu le plaisir de me rentre sur ce blog, l’ambiance, la qualité des installations, le sentiment de liberté de bien être vous gagne des vôtre arrivé…
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