Notulettes et friandises
Ayant accumulé un certain retard, me voilà reparti dans mes séries de notules consacrées à mes lectures. Pour cette fois, je vous parlerai d’ouvrages plus ou moins récents. Les « vieilleries » feront l’objet d’une note ultérieure (si le courage ne me manque pas !)
Givrée d’Alain Monnier. Flammarion. 2006
Sans doute le meilleur roman de cette sélection du jour. Une couverture très « pop » qui donne d’emblée envie d’ouvrir ce livre dont le point de départ repose sur une simple panne de frigidaire. Ce contretemps va provoquer une réaction en chaîne dans la vie de l’héroïne Marie que je me garderais bien de révéler ici. Il n’est pas rare de trouver des livres drôles mais Givrée se singularise par le fait qu’il repose entièrement sur un comique d’accumulation. Une petite panne et la boule de neige devient avalanche en bouleversant la vie des personnages. Même si la fin me paraît un poil décevante, ce roman désopilant a, en outre, le mérite d’offrir au passage quelques notations très justes sur l’époque et son délire consumériste, sur la glaciation des sentiments et la solitude contemporaine. Une très belle découverte.
99 francs de Frédéric Beigbeder. Grasset. 2000
On sait qu’en France le succès est toujours suspect. Face à ce best-seller, il fut alors de bon ton de réduire Beigbeder à son rôle de bouffon télévisuel et d’accuser l’histrion de cracher dans la soupe (ce qui est très mal élevé dans un pays où l’on ne donne la parole qu’aux laquais bien dressés !). Malgré cela, 99 francs reste un livre assez décapant qui dresse un tableau très juste de l’univers répugnant de la publicité. Cette satire au vitriol du mercantilisme, du cynisme du milieu de l’entreprise et des « créatifs » fait souvent mouche et provoque un rire très jaune. Au-delà de la verve pamphlétaire de l’œuvre, Beigbeder fait montre d’un certain talent littéraire en charpentant son récit de manière très habile (cette façon de changer de pronom personnel sujet, de la première personne du singulier à la troisième du pluriel, en passant d’une partie à une autre) et en utilisant une écriture très vivante. Certes, nous ne sommes pas au niveau du constat glacial et cynique d’American psycho de Bret Easton Ellis et Beigbeder, plus politiquement correct que Houellebecq, ne possède pas encore la personnalité de ce dernier. Ses 99 francs méritent néanmoins le coup d’œil…
L’empreinte du renard de Moussa Konaté. Fayard. 2006
Un petit polar pour changer. Ce roman qui narre les aventures d’un vieux commissaire et de son second enquêtant sur des meurtres mystérieux survenus dans une petite bourgade reculée ne bouleversera sans doute pas les lois du genre mais ce classicisme (dosage habile de suspense et d’une bonne louchée d’humour) s’avère toujours aussi séduisant. De plus, la particularité de ce livre est de se situer au Mali et plus précisément au cœur d’une tribu Dogon. En introduisant dans cette enquête policière un peu des traditions ancestrales et magiques de ce peuple Dogon, l’auteur (malien lui-aussi !) titille notre curiosité pour les cultures lointaines et un certain exotisme. Sans doute pas un chef-d’œuvre mais un bon roman de genre qui se déguste d’un trait avec un réel plaisir.
Invisibles de Frédéric Boudet. L’olivier. 2006
Sauf erreur, c’est le premier livre de Frédéric Boudet qui nous offre ici un recueil de nouvelles. Le récit qui ouvre ledit recueil (un petit garçon plus ou moins autiste que ses parents tentent de guérir en l’emmenant faire du planeur) ne m’a pas paru très convaincant. Puis, ça s’améliore et l’auteur, au fil de ses nouvelles, fait preuve d’une véritable sensibilité qui éclate à travers une écriture sobre et pudique. J’allais dire que c’est le genre qui veut que ce type d’entreprise soit inégal (au gré de chacun de choisir la nouvelle qui lui plait le plus) mais Invisibles s’avère finalement assez homogène, brodant d’infimes variations autour des mêmes thèmes (le temps qui passe, l’érosion des sentiments et des croyances, les relations filiales…) avec une jolie délicatesse. Comme le veut la formule consacrée, ce livre touchant fait de Frédéric Boudet un auteur à suivre de près…
Eldorado de Laurent Gaudé. Actes Sud. 2006
Que choisir ? D’un côté, un jeune auteur désormais reconnu et célébré (son précédent roman a obtenu rien de moins que le prix Goncourt), de l’autre, les critiques du Masque et la plume qui ont littéralement assassiné son dernier roman (du moins, trois des quatre intervenants). La vérité est sans doute entre les deux. Ça serait mentir de dire qu’Eldorado n’est pas de la belle ouvrage : une histoire forte (l’auteur suit les destins croisés d’un capitaine chargé d’intercepter, au large des cotes siciliennes, les bateaux chargés d’immigrés clandestins et de deux frères africains tentant pour leur part d’émigrer en Europe), une écriture sobre et retenue qui sait ménager les zones d’ombre (ce personnage de femme décidée à accomplir sa vengeance et dont on ne connaîtra pas la destinée) et une volonté d’embrasser des problèmes très contemporains (l’immigration clandestine, le rôle des passeurs, l’exploitation de la misère humaine…). Malgré toutes ces qualités mentionnées, le livre ne m’a pas véritablement emballé. J’y vois la copie d’un élève studieux et très appliqué mais je ne sens aucune urgence ni souffle lyrique dans le style de Gaudé. Tout est calibré pour plaire (un « grand » sujet, une manière de se cantonner dans les limites du « bon goût » et de la plus plate des modérations –au-delà de la petite larme humaniste, on aura du mal à appréhender le point de vue de l’auteur sur son sujet-) et sent plus, à mon sens, le labeur de l’artisan que l’inspiration de l’artiste. De là à trouver le livre totalement nul et méprisable, il y a un grand pas que je ne franchirais pas et qui me semble relever de la plus flagrante injustice.
La fugue de Valérie Sigward. Fayard. 2006
Très court roman (une centaine de pages) qui narre les états d’âme d’un jeune adolescent dont le frère s’est suicidé et qui, de ce fait, n’a plus le sentiment d’exister aux yeux de ses parents et projettent de fuguer. Le résultat est plutôt touchant, l’auteur faisant preuve d’une réelle habileté pour nous émouvoir sans se vautrer dans la sensiblerie. Les portraits d’adolescents sont plutôt pas mal mais l’ensemble manque un peu de souffle et d’ampleur. Pour qui conserve une curiosité plus que légitime pour la « littérature jeunesse », La fugue se révèlera plutôt convenu (il me semblait avoir lu ce livre cent fois !) et n’aurait d’ailleurs pas dépareillé dans une de ces collections « jeunesse » qui prolifèrent actuellement…
Une odyssée de Julien Bouissoux. L’olivier. 2006
Imaginez que vous rencontriez un renne en centre-ville de Besançon. Et bien c’est ce de ce postulat que part Bouissoux pour bâtir son court roman qui fuit comme la peste le réalisme pour se lover au cœur de la plus pure fantaisie. Malheureusement, cela ne fonctionne pas du tout. Mis à part une ou deux bonnes idées (le regard assassin de la foule sur la complicité d’un adulte avec une enfant), le style loufoque du livre paraît totalement artificiel et n’arrache que très rarement quelques sourires. Quant à l’écriture, elle ne parvient pas à donner corps à cette épopée aux confins de l’absurde et reste d’une désespérante platitude. Aucun intérêt et plutôt ennuyeux.
Libellés : Beigbeder, Boudet, Bouissoux, Gaudé, Konaté, Libéralisme, Monnier, Sigward
10 Comments:
La fin de "99 francs" m'a quand même laissé un mauvais souvenir. Pierre Jourde s'en moque dans "La littérature sans estomac". Du type: PUB = nazis = pas bien:)
Euh... Juste une question : Dr Orlof, t'es prof ou tu fais partie du Conseil régional ;) ou tu es un lycéen, mais je ne pense pas.... Parce que tes dernières notes concernent étrangement beaucoup de livres du Prix littéraire des lycéens de Bourgogne. Simple coïncidence ?
Je suis lycéen :-)
Allez, je cède à la tentation des confidences! cette note concerne effectivement le prix auquel tu fais allusion mais je t'affirme(et te jure) solennellement que je ne suis pas prof!(j'en serais bien incapable!)
Par contre, il y a d'autres organismes associés à ce prix. Pense au véritable métier de Georges Bataille!
Et d'autres solutions peuvent-être envisagées Pour un indice, relire ma petite note sur "notre agent à la Havane" de Graham Greene dans une des mes notes de lecture précédentes ;-)
Bon OK, je crois que je vois à peu près... Mais finalement peu importe. C'est ça, le monde virtuel... Moi je suis collégienne, ou retraitée, au choix.
Pour reparler de cette sélection, j'ai apprécié moi aussi Givrée et Comment va la douleur, qui m'a fait aussi penser au film de Salvadori. Une Odyssée est un Lièvre de Vatanen raté, Invisibles tente d'égaler l'univers d'Olivier Adam sans y parvenir vraiment... La Fugue évoque un point de vue intéressant, celui du frère survivant, et un vrai problème : comment vivre avec un mort ? , mais la fin est somme toute assez nunuche... Présent ? est un peu convenu, même s'il y a de beaux passages lyriques ; et Eldorado m'a vraiment déçue, décidément je crois je suis allergique au style de Laurent Gaudé, pompeux et lourd...Pour changer, en ce moment je lis Les Corrections de J. Franzen, et c'est pas mal.
Dit comme ça, ça fait un peu péremptoire et borné ( et je serai bien incapable, quant à moi, de tenir un blog comme le tien... !)
Et sur mon mange-disque à moi en ce moment, y a quoi ?? (puisque ce blog est éclectique - apparemment...) :
eh bien je vais décevoir tout le monde : pas de chanson française ;-) mais l'album de Boards of Canada, Geogaddi, que j'ai emprunté à la médiathèque et que j'écoute quasiment en boucle.
Bonne soirée à tous
merci pour cette critique, j'espère que le prochain livre vous plaira (la pression est grande, vous écrivez "un auteur à suivre de près"!)
Amicalement. FB
Très flatté de votre passage ici! Bon courage pour votre deuxième livre (le cap n'est pas toujours facile) que je serais ravi de lire.
Encore des nouvelles ou un roman?
Ca fait plaisir de constater que l'objectif de développer l'esprit critique est atteint ! Les analyses sont jubilatoires et je suis très contente de lire qu'un auteur est passé sur ton blog... Déjà un ! Pas de commentaires sur "En attendant le roi du monde" ?
... même lorsqu'il s'agit d'un bibliothécaire Dr Orlof !
Très bon article qui reste toutefois limité pour les sites à faibles trafic.
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