L'Infréquentable
Marc-Edouard Nabe. Au régal des vermines (Le dilettante.2005)
Excellente initiative des éditions Le Dilettante qui rééditent, 20 ans après sa publication, le premier livre de Marc-Edouard Nabe : Au régal des vermines. Occasion rêvée de (re)découvrir l’œuvre sulfureuse de celui que je considère comme l’un des plus grands (si ce n’est le plus grand !) écrivain français contemporain. Premier livre par quoi tout a commencé : le scandale, une épouvantable réputation et un flot de clichés indélébiles attachés à ce seul nom de Nabe.
Nous ne nous attarderons pas trop sur la très belle préface (intitulée Le vingt-septième livre) qui ouvre cette réédition. L’auteur nous livre d’une certaine manière le secret de son échec (comment il s’est mis tout le monde à dos dès ce premier livre) et met en parallèle son parcours et la réussite de celui qui fut un temps son voisin de pallier : Michel Houellebecq (sur ce coup-là, l’auteur du Bonheur a eu du nez puisque les médias ne parlent désormais plus que de cette promiscuité étonnante et daigne enfin parler un tout petit peu de lui !).
Pour Nabe, le triomphe de Houellebecq est le résultat logique d’une époque nihiliste qui n’aime rien tant qu’a contempler sa propre décrépitude. « Aujourd’hui les gens sont morts, ils n’ont envie que de quelqu’un qui leur répercute leur morbidité, avec le plus de mépris possible. C’est tellement logique, tellement logique ! Avant, la foule était vivante, elle s’exaltait quand un artiste sublimait la vie ; désormais elle n’exalte plus que celui qui la rabaisse… » C’est le retour déguisé de l’absence de style, du naturalisme (« Certains ont pour devise : « Ni Dieu, ni Maître ! », La tienne est « Ni Céline, ni Proust ! »), drapé dans une couche de sociologie, de culture rock, d’aquoibonisme et de vague critique sociale (mais pas trop).
Je ne retournerai pas ma veste en dénigrant aujourd’hui les livres de Houellebecq que j’aime beaucoup (d’ailleurs Nabe s’en prend plus à l’environnement qui a permis de favoriser ce succès plutôt qu’à l’auteur pour qui il affiche toujours un certain respect). Je m’en tirerai en disant qu’il faut lire les livres de Houellebecq pour comprendre l’époque dans laquelle nous vivons et ceux de Nabe pour ne pas en désespérer.
Venons-en à cet inadmissible Au régal des vermines, ce ticket pour le purgatoire dont Nabe n’est toujours pas sorti. Il a suffit d’un Apostrophes où un sinistre crétin cassa la gueule à notre jeune trublion pour le condamner à un ostracisme injustifié. L’heure est aujourd’hui à la redécouverte de l’objet du délit. « Fasciste »? « Antisémite »? « Extrême-droite »? tous ces anathèmes sont-ils justifiés ? Effectivement, il me serait très facile d’extraire des passages du livre et de jouer les avocats du Diable pour inculper notre écrivain. Mais cela n’aurait aucun sens. Marc-Edouard Nabe, c’est une pensée torrentielle, un style volcanique qui pousse la littérature dans ses derniers retranchements et qui n’hésite pas à déborder (mais le seul objet de l’Art n’est-il pas de sonder les abîmes, d’ouvrir des gouffres ?). Les cons qui persistent à le cataloguer « d’extrême droite » devraient se souvenir qu’à l’époque, notre homme vient de Charlie-Hebdo (il restera toujours fidèle à Choron, Siné, Gébé à qui il consacrera des pages magnifiques dans son journal intime) et que toute son œuvre témoigne d’un souverain mépris pour toute forme d’autorité politique, pour l’ordre et pour le nationalisme. Avec ça, on imagine difficilement les fachos le récupérer !
Nabe n’habite qu’un pays, celui de l’Art. Et comme le disait fort justement Oscar Wilde (que l’auteur admire) «la forme de gouvernement qui convient le mieux à l’artiste est l’absence totale de gouvernement ». S’il jongle avec les extrêmes, avec tout ce qui peut sembler inadmissible, c’est pour explorer les limites, repousser le territoire infini de l’Art. Nabe veut faire peur : la littérature doit brûler, doit pétrifier, doit pouvoir tout dire. On pourrait parler de Céline et de Rebatet (auxquels Nabe consacre de très belles pages) mais il faut se souvenir que ce Régal est aussi né sous l’égide de Sade. Qui, depuis le divin Marquis , a été aussi loin dans l’abîme ? qui a exploré par les mots de tels gouffres et mis en valeur la toute-puissance de l’Art avec un tel éclat ? Nabe l’a bien compris et toute sa virulence, ses outrances, ses dérapages haineux, son « fascisme » ne sont QUE littéraires (comme les tableaux sadiques de Sade !) Tout est affaire de style chez lui, et là, on peut parler de régal. Sa prose est volcanique, de la lave en fusion ! Qu’il parle de jazz ou des femmes, de Bloy ou de ses parents ; nous sommes emportés dans un flot tumultueux et splendide , noyés sous une profusion d’images, de sensations, fracassés par les adjectifs haineux, les épithètes révoltants, les jugements inquisiteurs. On ne sort pas indemne d’une telle lecture ! ça secoue !
Autobiographie, virulent pamphlet dans la lignée de Bloy et Céline, cri de révolte totale et chant d’amour désespéré, manifeste artistique ; au régal des vermines est un peu tout ça et bien plus encore. Toute l’œuvre de Nabe et son invraisemblable générosité (eh, oui !) est déjà en germe dans ce premier opus. Voilà un écrivain qui se donne corps et âme à l’Art avec un panache qui, en ce qui me concerne, n’a pas d’égal aujourd’hui. Seulement il faut faire fi des préjugés pour l’apprécier et ne pas avoir peur de se brûler aux mots en se plongeant dans cet immense volcan en constante éruption. Le jeu en vaut la chandelle, croyez-moi…
NB : En quatrième de couverture, Nabe inscrit cette phrase, telle une épitaphe : « j’ai eu tout faux, je n’ai rien compris. ». Pour le démentir, je vous propose un petit extrait où l’auteur fait preuve, en pleine période de ce détestable socialisme mou et rationaliste mitterrandiste, d’un certain talent visionnaire.
« Vous verrez ce que je vous dis : le come-back du bâton va être terrible. Le socialisme a fait reculer l’extrême gauche jusqu’au fin fond de la Droite. Ne vous plaignez pas des mesures et des sanctions frissonnantes qui nous attendent. Finie la grève ! Finie la Justice ! Fini le Chômage ! Finis l’assistance et le piston ! Dehors les crouilles ! les fonctionnaires ! les vieillards ! les bouches inutiles ! Fini le temps libre ! Finies les femmes libérées ! la fraude fiscale ! le Corporatisme ! Fini le smic ! Rebonjour la guillotine !… »
N’est-ce pas un tableau saisissant de la France sarkozyste d’aujourd’hui ?(manque juste la peine de mort mais on va y revenir !). Dès 1984, Nabe ajoute « Je sais comment ça va s’appeler moi. Ca s’intitulera : LIBERALISME, et puis c’est tout. Vous pouvez ranger fascisme et communisme, catholicisme et anarchie. Le Libéralisme, ça passe par l’Economie et pas par le Politique : c’est pour cela qu’hélas, il gagnera. »
Nous ne nous attarderons pas trop sur la très belle préface (intitulée Le vingt-septième livre) qui ouvre cette réédition. L’auteur nous livre d’une certaine manière le secret de son échec (comment il s’est mis tout le monde à dos dès ce premier livre) et met en parallèle son parcours et la réussite de celui qui fut un temps son voisin de pallier : Michel Houellebecq (sur ce coup-là, l’auteur du Bonheur a eu du nez puisque les médias ne parlent désormais plus que de cette promiscuité étonnante et daigne enfin parler un tout petit peu de lui !).
Pour Nabe, le triomphe de Houellebecq est le résultat logique d’une époque nihiliste qui n’aime rien tant qu’a contempler sa propre décrépitude. « Aujourd’hui les gens sont morts, ils n’ont envie que de quelqu’un qui leur répercute leur morbidité, avec le plus de mépris possible. C’est tellement logique, tellement logique ! Avant, la foule était vivante, elle s’exaltait quand un artiste sublimait la vie ; désormais elle n’exalte plus que celui qui la rabaisse… » C’est le retour déguisé de l’absence de style, du naturalisme (« Certains ont pour devise : « Ni Dieu, ni Maître ! », La tienne est « Ni Céline, ni Proust ! »), drapé dans une couche de sociologie, de culture rock, d’aquoibonisme et de vague critique sociale (mais pas trop).
Je ne retournerai pas ma veste en dénigrant aujourd’hui les livres de Houellebecq que j’aime beaucoup (d’ailleurs Nabe s’en prend plus à l’environnement qui a permis de favoriser ce succès plutôt qu’à l’auteur pour qui il affiche toujours un certain respect). Je m’en tirerai en disant qu’il faut lire les livres de Houellebecq pour comprendre l’époque dans laquelle nous vivons et ceux de Nabe pour ne pas en désespérer.
Venons-en à cet inadmissible Au régal des vermines, ce ticket pour le purgatoire dont Nabe n’est toujours pas sorti. Il a suffit d’un Apostrophes où un sinistre crétin cassa la gueule à notre jeune trublion pour le condamner à un ostracisme injustifié. L’heure est aujourd’hui à la redécouverte de l’objet du délit. « Fasciste »? « Antisémite »? « Extrême-droite »? tous ces anathèmes sont-ils justifiés ? Effectivement, il me serait très facile d’extraire des passages du livre et de jouer les avocats du Diable pour inculper notre écrivain. Mais cela n’aurait aucun sens. Marc-Edouard Nabe, c’est une pensée torrentielle, un style volcanique qui pousse la littérature dans ses derniers retranchements et qui n’hésite pas à déborder (mais le seul objet de l’Art n’est-il pas de sonder les abîmes, d’ouvrir des gouffres ?). Les cons qui persistent à le cataloguer « d’extrême droite » devraient se souvenir qu’à l’époque, notre homme vient de Charlie-Hebdo (il restera toujours fidèle à Choron, Siné, Gébé à qui il consacrera des pages magnifiques dans son journal intime) et que toute son œuvre témoigne d’un souverain mépris pour toute forme d’autorité politique, pour l’ordre et pour le nationalisme. Avec ça, on imagine difficilement les fachos le récupérer !
Nabe n’habite qu’un pays, celui de l’Art. Et comme le disait fort justement Oscar Wilde (que l’auteur admire) «la forme de gouvernement qui convient le mieux à l’artiste est l’absence totale de gouvernement ». S’il jongle avec les extrêmes, avec tout ce qui peut sembler inadmissible, c’est pour explorer les limites, repousser le territoire infini de l’Art. Nabe veut faire peur : la littérature doit brûler, doit pétrifier, doit pouvoir tout dire. On pourrait parler de Céline et de Rebatet (auxquels Nabe consacre de très belles pages) mais il faut se souvenir que ce Régal est aussi né sous l’égide de Sade. Qui, depuis le divin Marquis , a été aussi loin dans l’abîme ? qui a exploré par les mots de tels gouffres et mis en valeur la toute-puissance de l’Art avec un tel éclat ? Nabe l’a bien compris et toute sa virulence, ses outrances, ses dérapages haineux, son « fascisme » ne sont QUE littéraires (comme les tableaux sadiques de Sade !) Tout est affaire de style chez lui, et là, on peut parler de régal. Sa prose est volcanique, de la lave en fusion ! Qu’il parle de jazz ou des femmes, de Bloy ou de ses parents ; nous sommes emportés dans un flot tumultueux et splendide , noyés sous une profusion d’images, de sensations, fracassés par les adjectifs haineux, les épithètes révoltants, les jugements inquisiteurs. On ne sort pas indemne d’une telle lecture ! ça secoue !
Autobiographie, virulent pamphlet dans la lignée de Bloy et Céline, cri de révolte totale et chant d’amour désespéré, manifeste artistique ; au régal des vermines est un peu tout ça et bien plus encore. Toute l’œuvre de Nabe et son invraisemblable générosité (eh, oui !) est déjà en germe dans ce premier opus. Voilà un écrivain qui se donne corps et âme à l’Art avec un panache qui, en ce qui me concerne, n’a pas d’égal aujourd’hui. Seulement il faut faire fi des préjugés pour l’apprécier et ne pas avoir peur de se brûler aux mots en se plongeant dans cet immense volcan en constante éruption. Le jeu en vaut la chandelle, croyez-moi…
NB : En quatrième de couverture, Nabe inscrit cette phrase, telle une épitaphe : « j’ai eu tout faux, je n’ai rien compris. ». Pour le démentir, je vous propose un petit extrait où l’auteur fait preuve, en pleine période de ce détestable socialisme mou et rationaliste mitterrandiste, d’un certain talent visionnaire.
« Vous verrez ce que je vous dis : le come-back du bâton va être terrible. Le socialisme a fait reculer l’extrême gauche jusqu’au fin fond de la Droite. Ne vous plaignez pas des mesures et des sanctions frissonnantes qui nous attendent. Finie la grève ! Finie la Justice ! Fini le Chômage ! Finis l’assistance et le piston ! Dehors les crouilles ! les fonctionnaires ! les vieillards ! les bouches inutiles ! Fini le temps libre ! Finies les femmes libérées ! la fraude fiscale ! le Corporatisme ! Fini le smic ! Rebonjour la guillotine !… »
N’est-ce pas un tableau saisissant de la France sarkozyste d’aujourd’hui ?(manque juste la peine de mort mais on va y revenir !). Dès 1984, Nabe ajoute « Je sais comment ça va s’appeler moi. Ca s’intitulera : LIBERALISME, et puis c’est tout. Vous pouvez ranger fascisme et communisme, catholicisme et anarchie. Le Libéralisme, ça passe par l’Economie et pas par le Politique : c’est pour cela qu’hélas, il gagnera. »
Libellés : antisémitisme, Houellebecq, Libéralisme, Nabe, pamphlet
4 Comments:
Excellente analyse et éclairage sur cet auteur au style flamboyant. J'ai un très grand souvenir de son "journal". Je ne le crois pas d'extrême-droite, mais volontiers provocateur à la posture dandy. Ce qui est curieux, c'est qu'il a pâti ce son image enervée d'"Apostrophes", alors que Houellebecq est son consternant avis sur la religion musulmane semble avoir un passe-droit un peu mode. Je vais donc me laisser tenter par ce "Régal", histoire de me faire une opinion. La migration de 20six a du bon, puisque l'on a désormais deux excellents blog signés Orloff - Vive Howard Vernon ! -...
Bonjour, l'information sur la mise en ligne du site des lecteurs de MEN ne vous aura sans doute pas échappé !
http://alainzannini.com
En attendant l'annonce prochaine de la mise en ligne d'une plateforme de diffusion des oeuvres anciennes et à venir de l'auteur.
Bonjour, drorlof.blogspot.com!
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Je repasserais lire et commentée cette note plus tard, mais mon furtif coup d'œil m'as permis de soulever une petite boulette : Nabe était à Hara Kiri, pas à Charlie Hebdo.
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