Une virée en Enfer
Joyeux Enfer :
Photographies pornographiques 1850-1930 (2014) d'Alexandre Dupouy
(Éditions La Musardine, 2014)
Je dois commencer par
avouer que je renâcle un peu à affirmer que ce beau livre constitue
une sorte de cadeau de Noël idéal. En effet, je vous vois mal
offrir à votre vieil oncle Gaston, fan de jardinage et d'art roman,
ce somptueux recueil de photographies licencieuses d'un autre temps
(des origines de la photographie aux « années folles »
en passant par « la belle époque ») lors de
festivités familiales. En revanche, si vous avez dans votre
entourage quelques amateurs éclairés, je vous promets que vous ne
les décevrez pas avec ce superbe ouvrage où le plaisir des yeux
(les reproductions de ces photos antédiluviennes sont assez
époustouflantes) se mêle à celui de l'érudition. Le tout pour une
somme relativement abordable (même pas 38 euros) si l'on songe qu'on
se situe résolument dans la catégorie du « beau livre »
(avec, en prime, un DVD constitué d'une heure de courts-métrages
pornographiques clandestins du début du siècle dernier : que
demander de plus ?).
Dans un premier temps,
Alexandre Dupouy se livre à une passionnante « apologie de la
pornographie », revenant de manière très pertinente sur la
différenciation oiseuse et convenue des termes « érotisme »
et « pornographie » (en montrant très justement que les
critères de définition de ce qui est « obscène » ou
non varient selon les époques et les mœurs) et s'interroge sur la
place de la Femme dans la représentation pornographique. Opposant
Lilith (la femme qui sait tenir tête aux hommes et qui affirme la
puissance de ses désirs) à Lolita (que représenterait la
pornographie actuelle à travers l'image de « cette grande sœur
de Lolita, cette jeune fille juste pubère, blonde à la peau
cuivrée, cheveux teints, cuisses ouvertes à s'en déchirer
l'entrejambe, sexe totalement épilé, seins d'une fermeté de
pierre, le corps truqué, déformé par la chirurgie esthétique... »)
, Dupouy glorifie une certaine idée de pornographie féminine,
sauvage, libertaire (« Il est facilement démontrable que toute
pornographie, toute obscénité ou obsession sexuelle demeure bien
moins dangereuse que l'apologie de la virilité, qui se révèle et
se réalise à travers les conflits, la guerre, les duels […] La
pornographie la plus vile n'a jamais tué personne. ») et
joyeuse.
Ensuite, l'auteur nous
dresse un petit panorama passionnant de l'histoire de cette
photographie pornographique vendue sous le manteau en se plongeant
dans les catalogues de vente et les registres qui ont pu être
conservés (malheureusement, on se doute bien que dans un domaine
clandestin comme celui-ci, l'anonymat fut de rigueur et que la
production fut soumise au règne de l'éphémère). Avec beaucoup de
précision, il nous présente quelques uns des premiers artisans du
genre et décrit les conditions de réalisation de ces œuvres (les
modèles, qui furent essentiellement des prostituées).
Après les mots, place
aux images que Dupouy classe de manière thématique. Ce sont donc
plus de 300 photos qui se succèdent et qui, au-delà de leur
potentiel érotique, dessinent le portrait d'une époque et de ses
mœurs. Ces clichés dégagent une vraie fraîcheur tant les corps
photographiés sont à mille lieues des modèles, anorexiques et
stéréotypés, d'aujourd'hui. Que les femmes soient montrées
seules, présentant les parties les plus secrètes de leurs anatomies
(rubriques « L'origine du monde » ou « callipygie »)
ou en couples (avec deux grandes parties consacrées à la vie
conjugale puis à « Lesbos ») ; c'est leur
« naturel » qui frappe l’œil du lecteur.
Les corps ne sont pas
encore réduits à de vulgaires marchandises et ces ébats torrides dégagent une sorte d'innocence et de liberté revigorante.
Il n'est pas rare de voir des modèles avec le sourire aux lèvres
voire réprimant un début de fou-rire : le sexe est joyeux et
débridé.
Quant à la mise en scène
de certains tableaux, elle témoigne également de l'époque :
le goût pour les déguisements, les scènes de bordels voire
l'anticléricalisme joyeux qui se dégage des scènes « au
monastère » (on retrouve assez souvent ce goût d'aller voir
ce qui se passe sous les soutanes dans les films pornos clandestins
de cette époque).
Pour terminer, il
convient également de souligner la haute tenue « esthétique »
de ces photos. Je ne suis sans doute pas un fin connaisseur et je me fais
peut-être abuser par la patine que le temps a donnée à ces clichés
mais que ce soit dans la composition, la lumière ou le cadrage ;
on constate que ces photos sont travaillées et que certaines sont
tout simplement magnifiques.
Les dames patronnesses
s’offusqueront sans doute qu'on puisse trouver beau cet étalage de
chairs humaines mais c'est pourtant le cas. Les autres se régaleront
et offriront une place de choix à cet ouvrage dans le propre
« enfer » de leur bibliothèque dont l'honnête homme
ne saurait se passer...
Libellés : Dupouy, La Musardine, Photographie, Pornographie
8 Comments:
Félicitation pour votre site! Vraiment, il est génial et comme j'ai vu dans les premiers posts c'est vrai que partages et interface du site sont vraiment une aubaine pour bosser le style.
Félicitation pour ton site que je visite quasiment chaque jour, il est très bien fait et agréable. Je suis devenue accro tout est magnifique. Merci
celine
Bonjour ;
il est sympa ; votre site ! Beaucoup de choses à voir et à savoir… je le mets dans mes favoris, et je reviendrais sûrement.
Superbe Blog bien plus complet et pratique. Il me faudra des mois pour arriver à "rattraper" mon retard.
Un grand merci.
C'est avec plaisir que je regarde votre site ; il est formidable .j'ai bientôt quatre vingt printemps et je passe du temps vraiment très agréable à lire vos jolis partages .Continuez ainsi et encore merci.
Je te félicite pour tout le travail que tu fais et pour toute la connaissance que tu as !
Merci aussi pour tes encouragements -
Je vais en rajouter une petite couche en te disant merci pour ce blog à la fois ludique et intelligent. C’est un vrai plaisir que de venir y naviguer.
Je suis vraiment fier de vous découvrir, votre blog est vraiment super ! J’aime bien son interface, et j’ai trop adoré le contenu aussi. Surtout continuez ainsi !
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