Humain, trop humain
L’Animal de compagnie (2018) de Léo Barthe (Jacques Abeille) (LaMusardine, 2018) Sortie le 11 janviers 2018
Cela faisait très longtemps que
je voulais lire du Jacques Abeille, auteur secret proche du surréalisme, ami de
Pierre Molinier et Jean-Pierre Bouyxou, auteur du « Cycle des contrées »
mais également d’une abondante production érotique sous le pseudonyme de Léo
Barthe. Si l’on se réfère à la plus célèbre des encyclopédies en ligne, cette œuvre
pornographique est, pour l’auteur, une manière d’explorer le « continent
noir » de la féminité.
A découvrir L’Animal de compagnie, son dernier roman à ce jour, on se dit que
Léo Barthe n’a pas encore épuisé le sujet. Henriette et Jean coulent des jours
heureux jusqu’au moment où un couple d’amis leur confie Buster, un chien bien
dressé qu’ils ne peuvent pas emmener en vacances. Très vite, la présence de cet
animal va créer une tension érotique palpable et bouleverser la vie sexuelle du
couple…
On l’aura compris, le sujet est à
la fois extrêmement tabou (la zoophilie) et scabreux. Pourtant, par la grâce d’une
écriture somptueuse, Jacques Abeille transcende constamment la crudité de son
propos. S’il s’agit de nommer les choses sans se défiler, ce n’est pas pour se
contenter de l’incongruité de cette relation « contre-nature » entre
la femme et l’animal. Il s’agit d’ausculter les territoires les plus enfouis du
désir et du plaisir, de remonter à la source de sa propre enfance pour saisir
quelque chose du mystère de la sexualité et du fantasme :
« -Ah ! Je retrouverais l’enfance que j’ai oubliée. Nous ne sommes
adultes que pour nous adonner sans contrainte aux jeux de l’enfance. »
Même si la référence devient un peu une tarte à crème dès qu’il s’agit d’évoquer
des textes érotiques relativement torturés, on songe ici à Bataille. Mais il n’y
a pourtant pas chez Abeille ce sentiment d’effroi et d’horreur que l’on
trouvait chez l’auteur de Ma mère. Au
contraire, toutes les actions semblent ici couler de source et se déroulent
avec le plus grand naturel. Ce qui rapproche les deux écrivains, c’est le
vertige d’une liberté ineffable à laquelle donnent accès la sexualité et les
fantasmes.
Cette liberté, c’est également
celle de l’écriture qui permet d’aborder tous les sujets, y compris les plus
tabous. Suite aux aventures de son épouse, Jean décide d’écrire leurs
expériences, de trouver une forme littéraire pour exprimer ces gouffres
insondables. Le roman se double dès lors d’une réflexion sur le pouvoir de l’écriture,
notamment l’écriture pornographique.
Sans entrer dans les détails des
péripéties (d’ailleurs relativement peu nombreuses) de ce roman, il faut savoir
qu’il bifurque à un moment vers une sorte de fantastique à la Villiers de L’Isle-Adam
avec un homme qui construit une imposante machine capable de reproduire les
mouvements du chien pour offrir le plus grand plaisir à ces dames. Ce robot
monstrueux pourrait symboliser une certaine routine du roman pornographique « classique »,
entièrement tourné vers la performance, la répétition mécanique des mêmes
gestes. Or ce qui intéresse Abeille se situe ailleurs : dans « l’accident »,
l’accroc qui rend les relations entre deux êtres si troublantes et
vertigineuses. Il fait dire à Jean ces paroles très significatives :
« Mon amour, je le saurai désormais, n’a jamais voulu se rassasier que de
l’épanouissement du désir de l’autre et mon propre plaisir m’importe assez peu.
Mon vice est l’inverse de celui de mes semblables. Je ne cherche la pure et
exquise beauté que dans la contemplation enfiévrée d’une liberté sans frein ni
borne, infinie. »
Cette liberté, c’est aussi celle
de l’abandon et de la soumission. En se focalisant sur une relation entre des
femmes et un chien, l’auteur gratte sous le vernis de la civilisation et ses
tabous cette part d’animalité qui subsiste en nous. La « soumission »
à ces « machines sexuées » n’a rien à voir avec l’oppression sociale
qui s’exerce constamment sur les individus, notamment sur les femmes (« Je n’avais pas, comme elle, cette belle
confiance en nos semblables et il est probable que je ne l’acquerrai jamais.
Pétris d’une tradition millénaire qui les condamne à vivre dans la terreur et
les pousse à projeter sur l’autre leurs pires défaillances, les hommes n’ont de
cesse de subjuguer et humilier les femmes, en sorte que s’entretient dans l’espace
de notre monde une guerre sans trêve qui brise en deux l’humanité et engendre
bien d’autres conflits. ») mais signifie, au contraire, la souveraine
liberté de s’abandonner à tous ses fantasmes et ses désirs :
« Je désire le vertige d’être livrée sous vos yeux dans l’aveu forcé d’un
plaisir dans but. Ah, être au moins une fois dans ma vie tout à fait inhumaine
dans une liberté ultime. »
Car, comme Sade, Abeille saisit
parfaitement ce que cette « liberté ultime » a d’inhumain mais aussi qu’elle
peut donner lieu à de très belles œuvres de l’esprit comme cet Animal de compagnie troublant et
fascinant…
Libellés : érotisme, Jacques Abeille, Léo Barthe, Pornographie, zoophilie
2 Comments:
Je vais profiter de cet été pour faire tout ca ! Bref tout ca pour te dire merci pour tous ces conseils !!
voyance par mail
Voilà une description qui donne envie... Je le note dans un coin ! :)
voyance gratuitement
Enregistrer un commentaire
<< Home