Bibliothèque idéale n°46 : Rites, coutumes et légendes
Alors que les livres non lus s’accumulent dans ma bibliothèque, je poursuis inlassablement mon grand pari de la « bibliothèque idéale » en voyant, néanmoins, avec un certain soulagement arriver le terme de l’opération.
« Rites, coutumes et légendes » n’est pas une catégorie qui m’attirait outre mesure et les livres cités sont assez difficiles à trouver en librairie. J’ai donc opté, après l’homme et le sacré, pour un nouveau Roger Caillois.
Les jeux et les hommes est une tentative pour l’essayiste de recenser toutes les catégories de jeux, de les classer selon leur nature et d’analyser les liens serrés qui unissent jeux et civilisations. Le résultat m’a semblé fort intéressant, d’autant plus que Caillois a le mérite de ne négliger aucun jeu (jeux de hasard, par exemple) et d’en proposer une classification fort stimulante.
Dans un premier temps, il définit le jeu comme une activité libre (toute obligation annihile l’essence même du jeu), séparée (la durée du jeu est circonscrite à un temps déterminé, hors du temps « social »), incertaine, improductive (le jeu ne créé rien même s’il peut brasser une grosse quantité d’argent, comme c’est le cas pour le sport actuellement), réglée (les lois ordinaires s’éteignent devant les règles du jeu) et fictive.
A partir de cette définition, Caillois établit une nomenclature en divisant les jeux en quatre catégories.
La première relève de l’agôn, du substantif grec qui englobe, d’une certaine manière, tous les jeux de compétition, mettant en jeu des compétences personnelles et poussant chacun à se « dépasser ». Il nomme la deuxième alea, regroupant sous ce terme les jeux de hasard (loterie, roulette…), où le joueur abandonne toute son emprise personnelle pour s’en remettre à une force « supérieure » (le destin, le hasard…). La troisième est la mimicry, qui regroupe tout ce qui dans le jeu relève du simulacre (le jeu de l’acteur, les marionnettes…). Quant à la dernière catégorie, Caillois l’appelle l’ilinx et le fait correspondre à tout ce qui dans les jeux donne une sensation de vertige, d’évanouissement au monde (de la balançoire au saut à ski et aux attractions foraines).
Chacune de ces catégories est étudiées minutieusement et nuancées par l’apport d’autres éléments correspondant aux besoins d’improvisation et d’allégresse qu’offre le jeu (et que l’auteur intitule paidia) et au goût de la difficulté gratuite qu’il appelle ludus.
Après avoir donné des exemples de corruption des jeux lorsque le joueur quitte ce domaine (ce que ne fait pas le tricheur) pour intégrer ses règles à la vie sociale. Caillois montre à juste titre que dans le domaine de l’agôn, l’ambition, la concurrence absolue est une perversion de l’esprit du jeu qui perd ainsi son rôle civilisateur. Dans le domaine de l’alea, la corruption se traduit par la superstition tandis que la mimicry appliquée à la vie quotidienne tend à l’aliénation (le comédien qui ne peut plus se débarrasser de son personnage). Enfin, la dépendance à une drogue ou à l’alcool peut être vue comme la corruption de l’ilinx.
Enfin, dans une dernière partie que je renonce à vous détailler (j’ai encore mille choses à faire !), Caillois propose une sociologie prenant pour base les jeux. Il n’hésite pas à montrer les combinaisons possibles entre les différentes catégories de jeux (ainsi, certains jeux de cartes reposent à la fois sur l’alea –le hasard qui préside à la donne du jeu- et l’agôn – la compétence de chacun des joueurs lorsqu’il s’agit de se débrouiller avec ledit jeu) tout comme il voit la trace dans certains rites primitifs d’un mélange de mimicry et d’ilinx (le masque rituel et les transes).
En revanche, certaines combinaisons sont interdites : des jeux relevant de l’agôn (nécessité de maîtrise de soi) ne peuvent relever également de l’ilinx (ce vertige qui fait perdre la conscience de soi), de même que le simulacre et la chance ne semblent pouvoir se compléter.
De toutes ces données, Caillois tire des conclusions assez convaincantes d’un point de vue sociologique : le jeu offre un bon miroir de ce que reproduit la société (où la place que chacun occupe semble relever à la fois du mérite et de la chance). Il développe une partie intéressante sur la « délégation » qui est une forme dégradée de la mimicry : la vedette de cinéma ou le champion sportif permettent une identification à celui (ou celle) qui a réussi par la compétition ou le hasard.
Une fois de plus, j’ai l’impression de mal traduire la pensée de l’auteur (pardonnez-moi, je ne suis pas spécialiste !). J’arrête donc ici en espérant que vous aurez, vous aussi, des livres dans la catégorie « rites, coutumes et légendes » à me recommander…
Libellés : Bibliothèque idéale, Caillois, jeu, sociologie