La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, novembre 30, 2008

Bibliothèque idéale n°46 : Rites, coutumes et légendes

Les jeux et les hommes (1958) de Roger Caillois (Gallimard. Folio Essais. 1991)

Alors que les livres non lus s’accumulent dans ma bibliothèque, je poursuis inlassablement mon grand pari de la « bibliothèque idéale » en voyant, néanmoins, avec un certain soulagement arriver le terme de l’opération.
« Rites, coutumes et légendes » n’est pas une catégorie qui m’attirait outre mesure et les livres cités sont assez difficiles à trouver en librairie. J’ai donc opté, après l’homme et le sacré, pour un nouveau Roger Caillois.
Les jeux et les hommes est une tentative pour l’essayiste de recenser toutes les catégories de jeux, de les classer selon leur nature et d’analyser les liens serrés qui unissent jeux et civilisations. Le résultat m’a semblé fort intéressant, d’autant plus que Caillois a le mérite de ne négliger aucun jeu (jeux de hasard, par exemple) et d’en proposer une classification fort stimulante.
Dans un premier temps, il définit le jeu comme une activité libre (toute obligation annihile l’essence même du jeu), séparée (la durée du jeu est circonscrite à un temps déterminé, hors du temps « social »), incertaine, improductive (le jeu ne créé rien même s’il peut brasser une grosse quantité d’argent, comme c’est le cas pour le sport actuellement), réglée (les lois ordinaires s’éteignent devant les règles du jeu) et fictive.
A partir de cette définition, Caillois établit une nomenclature en divisant les jeux en quatre catégories.
La première relève de l’agôn, du substantif grec qui englobe, d’une certaine manière, tous les jeux de compétition, mettant en jeu des compétences personnelles et poussant chacun à se « dépasser ». Il nomme la deuxième alea, regroupant sous ce terme les jeux de hasard (loterie, roulette…), où le joueur abandonne toute son emprise personnelle pour s’en remettre à une force « supérieure » (le destin, le hasard…). La troisième est la mimicry, qui regroupe tout ce qui dans le jeu relève du simulacre (le jeu de l’acteur, les marionnettes…). Quant à la dernière catégorie, Caillois l’appelle l’ilinx et le fait correspondre à tout ce qui dans les jeux donne une sensation de vertige, d’évanouissement au monde (de la balançoire au saut à ski et aux attractions foraines).
Chacune de ces catégories est étudiées minutieusement et nuancées par l’apport d’autres éléments correspondant aux besoins d’improvisation et d’allégresse qu’offre le jeu (et que l’auteur intitule paidia) et au goût de la difficulté gratuite qu’il appelle ludus.
Après avoir donné des exemples de corruption des jeux lorsque le joueur quitte ce domaine (ce que ne fait pas le tricheur) pour intégrer ses règles à la vie sociale. Caillois montre à juste titre que dans le domaine de l’agôn, l’ambition, la concurrence absolue est une perversion de l’esprit du jeu qui perd ainsi son rôle civilisateur. Dans le domaine de l’alea, la corruption se traduit par la superstition tandis que la mimicry appliquée à la vie quotidienne tend à l’aliénation (le comédien qui ne peut plus se débarrasser de son personnage). Enfin, la dépendance à une drogue ou à l’alcool peut être vue comme la corruption de l’ilinx.
Enfin, dans une dernière partie que je renonce à vous détailler (j’ai encore mille choses à faire !), Caillois propose une sociologie prenant pour base les jeux. Il n’hésite pas à montrer les combinaisons possibles entre les différentes catégories de jeux (ainsi, certains jeux de cartes reposent à la fois sur l’alea –le hasard qui préside à la donne du jeu- et l’agôn – la compétence de chacun des joueurs lorsqu’il s’agit de se débrouiller avec ledit jeu) tout comme il voit la trace dans certains rites primitifs d’un mélange de mimicry et d’ilinx (le masque rituel et les transes).
En revanche, certaines combinaisons sont interdites : des jeux relevant de l’agôn (nécessité de maîtrise de soi) ne peuvent relever également de l’ilinx (ce vertige qui fait perdre la conscience de soi), de même que le simulacre et la chance ne semblent pouvoir se compléter.
De toutes ces données, Caillois tire des conclusions assez convaincantes d’un point de vue sociologique : le jeu offre un bon miroir de ce que reproduit la société (où la place que chacun occupe semble relever à la fois du mérite et de la chance). Il développe une partie intéressante sur la « délégation » qui est une forme dégradée de la mimicry : la vedette de cinéma ou le champion sportif permettent une identification à celui (ou celle) qui a réussi par la compétition ou le hasard.
Une fois de plus, j’ai l’impression de mal traduire la pensée de l’auteur (pardonnez-moi, je ne suis pas spécialiste !). J’arrête donc ici en espérant que vous aurez, vous aussi, des livres dans la catégorie « rites, coutumes et légendes » à me recommander…

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samedi, novembre 22, 2008

De l'horrible danger de la lecture


Suite à la lecture de cette excellente note, il m’est venu l’idée suivante : puisque nous avançons à grands pas vers un retour du délit d’opinion et que la moindre curiosité intellectuelle semble suspecte (j’ai honte, mais dans les parties invisibles – on a sa dignité !- de ma bibliothèque, il y a du Angot et même du Finkielkraut !), je vous propose de fouiller dans vos ouvrages et de publier les couvertures de vos livres les plus extrêmes, si possible de toute tendance, histoire de mâcher le travail aux flics et aux journaputes qui leur sont affidés…










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jeudi, novembre 20, 2008

Bibliothèque idéale n°45 : les sciences humaines

La psychanalyse du feu (1937) de Gaston Bachelard (Gallimard/Idées. 1983)



J’avoue que je navigue désormais dans les catégories de la « bibliothèque idéale » qui me sont les moins familières. C’est sans doute pour cette raison que mes notes s’espacent dangereusement, au point de vous perdre en route. Mais c’est qu’avant d’aborder les « sciences humaines », je me suis diverti en savourant l’humour noir de Roald Dahl (Bizarre, bizarre).

Mais venons-en aux sciences humaines, catégorie qui regroupe ici la sociologie, la psychologie et la psychanalyse mais également l’ethnologie, la linguistique et la pédagogie. Mon choix s’est porté sur Gaston Bachelard dont je n’avais lu aucun ouvrage (honte à moi !) et j’avoue n’avoir pas été déçu.

Au départ, rien de forcément très attirant dans cet essai qui tente d’unir la science et la poésie et qui cherche à montrer comment la connaissance scientifique s’est bâtie sur des éléments purement subjectifs et des convictions issues d’une certaine rêverie.

Le philosophe étaye sa thèse en la faisant porter sur le feu, élément le plus propice à toute une série de rêveries qui l’éloigne finalement de toute tentative d’objectivation scientifique.

Bachelard développe son raisonnement en « psychanalysant » les principales interprétations que les hommes ont données au feu. Il les classe en divers « complexes » : le complexe de Prométhée (le feu comme symbole de connaissance avec une très intéressante théorie du feu comme « être social » plutôt qu’ « être naturel » : pour Bachelard, ce n’est pas l’expérience du feu qui inspire la crainte et le respect de cet élément mais le fruit d’une interdiction sociale préalable), le « complexe d’Empédocle » (le feu comme image du destin de l’homme, en tant qu’il le dévore) ou encore le « complexe de Novalis » qu’il prolonge en montrant comment le feu fut, de tout temps, un élément sexualisé. A travers une multitude d’exemples, Bachelard décrit fort bien les métaphores poétiques qui ont fait office d’explications rationnelles à l’origine du feu. Tout le propos de l’auteur va être de montrer que la connaissance objective d’un objet tel que le feu ne repose que sur des intuitions animistes ou substantialistes (ce qu’il montre encore très bien dans la partie sur « la chimie du feu » et à travers des exemples comme l’alcool dont il est de tradition de dire qu’il « brûle ». Et Bachelard de prendre des exemples de publications scientifiques ou fictionnelles (comme Zola qui se déclarait pourtant écrivain « scientifique » !) donnant de surréalistes exemples de « combustions intérieures » dues à l’alcool.

Je parle sans doute très mal de ce livre (pardonnez-moi : je suis ici en terre étrangère) mais j’ai aimé la manière dont Bachelard parvient à prouver que la connaissance scientifique pourrait faire l’objet d’une psychanalyse afin de montrer que ses tentatives d’objectivation reposent avant tout sur des intuitions subjectives où va d’ailleurs se nicher la poésie :

« Nous allons étudier un problème où l’attitude objective n’a jamais pu se réaliser, où la séduction première est si définitive qu’elle déforme encore les esprits les plus droits et qu’elle les ramène toujours au bercail poétique où les rêveries remplacent la pensée, où les poèmes cachent les théorèmes. C’est le problème psychologique posé par nos convictions sur le feu. »

Ce qu’il y a de beau, c’est que l’auteur se laisse également emporter parfois par la rêverie, parsemant ça et là son essai de souvenirs ou images de son enfance champenoise, offrant au lecteur les douces senteurs de la terre et du foyer prolétaire. D’où le caractère vivant et incarné de sa réflexion, à mille lieues de toute sécheresse théorique, qui m’a d’ailleurs donné envie de connaître mieux la pensée de ce philosophe…


NB : A vous de jouer : quels sont les livres de « sciences humaines » qui vous ont marqué et que vous recommanderiez pour une bibliothèque idéale ?

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mardi, novembre 11, 2008

Bibliothèque idéale n°44 : spiritualité et religions

L’homme et le sacré (1939) de Roger Caillois (Gallimard. Folio essais. 2006)

Cela fait une éternité que je ne suis pas redescendu dans cette cave : peu de temps pour lire et entre le Manuel d’Epictète et cet essai de Caillois, j’ai consacré mon temps à la lecture d’un énorme pavé consacré au cinéma de Mai 68.
Revenons donc à notre « bibliothèque idéale » et à la catégorie « Spiritualité et religions » qui n’est pas la plus attirante à mes yeux. Choisissant délibérément de tourner le dos à toute bigoterie, j’ai opté pour une étude plus sociologique du « sacré ».
Publié juste avant la guerre L’homme et le sacré s’inscrit d’ailleurs au carrefour de différentes disciplines, que ce soit la sociologie, la philosophie, l’anthropologie et l’ethnologie. Roger Caillois puise, en effet, au coeur des rituels primitifs pour tenter de cerner la dimension « sacrée » qui fondent nos civilisations.
Mon but n’est pas d’étudier en détail cet essai relativement pointu (j’en serais bien incapable) mais de vous dresser un bref panorama (très, très schématique : étudiants, passez votre chemin !) des thèses de l’auteur. Dans un premier temps, il analyse les rapports inextricables du profane et du sacré en général puis insiste sur « l’ambiguïté du sacré ». Pour schématiser, Caillois souligne la dualité constante entre le « pur » et « l’impur » que sous-tend l’opposition sacré/profane. Il montre que si l’homme aspire au sacré, cette dimension possède également un aspect effrayant et terrifiant (Cf. Saint Augustin) alors que l’ « impur », le « démoniaque » offre de la même façon matière à fascination.
En s’appuyant sur des exemples précis, Caillois montre la « réversibilité du pur et de l’impur » (par exemple, le sang menstruel, considéré comme une souillure mais également utilisé chez certaines civilisations comme remède et délivrance contre d’autres impuretés...). Il existe une dialectique constante entre le sacré et le profane qui prouve que l’un ne peut exister sans l’autre.
Dans un deuxième temps, l’auteur tend à prouver que cette dimension « sacrée » de l’univers s’est sécularisée et qu’on la retrouve au coeur même de l’organisation sociale des sociétés totémiques.
L’aspect dialectique du pur et de l’impur se retrouve dans la division de ces sociétés en phratries et dans l’opposition en grands principes (féminin/masculin, lune/soleil...). De cette opposition profane/sacré naissent les interdits nécessaires au bon fonctionnement de la vie en société (interdits de l’inceste, du cannibalisme...) et éclosent les principes de solidarité et d’économie du don de ces phratries.
Enfin, Caillois offre une théorie de la fête qui fixe le moment de la nécessaire transgression du sacré. Pour que la vie puisse renaître, dans une perception cyclique du temps, il faut des moments où le profane piétine le sacré, où le pouvoir est renversé (de manière symbolique) par les administrés, etc. Tout le monde connaît ces exemples de fêtes carnavalesques où les serviteurs prennent la place des maîtres pour un temps donné.
L’essai se termine par des appendices où Caillois illustre ses théories par des exemples précis.
Tout cela est intéressant mais on me pardonnera de préférer d’autres types de littératures à ce genre d’essais...

NB : A vous de me dire si vous avez des conseils dans le domaine de la spiritualité et de la religion...

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