Une vraie jeune fille
L’un des grands plaisirs de
la littérature dite « de gare » vient aussi du petit jeu des énigmes
qu’elle suscite systématiquement. Qui est l’auteur de ce livre, ce mystérieux
Walter de Roanac qui s’illustrera également chez Eurédif en signant les
aventures de Frimousse ? S’agit-il d’un de ces stakhanovistes de la plume capables
de répondre à toutes les commandes et d’œuvrer dans tous les genres ?
Est-ce un dilettante talentueux, à l’instar des auteurs de La Brigandine, s’essayant
à la pornographie comme on réalise un exercice de style ? Est-ce un
écrivain célèbre ou bien Pierre Genève lui-même, éditeur aventureux qui après
Mai 68 reprit en autogestion les Presses Noires, une maison d’édition qui périclitait,
pour lancer Eurédif qui connut un succès foudroyant, notamment pour sa
collection Aphrodite que l’on trouvait dans tous les supermarchés et kiosques
de gare ?
Le mystère reste, comme on
dit, entier mais la redécouverte aujourd’hui des aventures de Vulvette est une excellente surprise.
Non pas tant du point de vue de l’histoire qui s’inscrit dans la longue
tradition du roman érotique d’apprentissage mais de celui du style. Vulvette, c’est
le surnom de Véronique, une adolescente délurée de 15 ans qui se livre à toutes
les expériences que l’on peut imaginer, qui l’avoue sans détour à ses parents
et qui se fait systématiquement punir pour la franchise de ses aveux (comme le
titre le suggère, ses fesses sont mises à rude épreuve mais il faut dire qu'à l'époque, le
législateur n’avait alors pas encore statué sur le droit ou non à la fessée !).
Sans être très originales, ces aventures sont narrées de manière enlevée et selon
le principe du crescendo.
Si ce roman champêtre et
bucolique séduit, c’est par la grâce d’un style primesautier et fleuri qui
ravit les sens et enchante l’esprit. Walter de Roanac s’amuse à changer de
registres en proposant quelques dialogues (finalement assez rares) d’une
verdeur familière voire grossière contrastant avec un récit rédigé dans une
langue précieuse et riche. Un exemple entre mille lorsque l’auteur décrit le
trouble qui saisit Véronique assistant aux ébats de son cousin : «
En parfait synchronisme avec l’obscur
désir qui lui embrase le sexe, l’œillet strié qui tapit sa concupiscence au
creux de la sente odorante de son périnée, se contracte en scandant chacun de
ses pas, comme s’il entendait également faire valoir ses droits au divin
nectar. » C’est quand même mieux que du Christine Angot ou de
l’Alexandre Jardin !
Alors bien sûr, la lecture s’adresse
à un public averti et certaines situations se révèlent très crues puisque l’espiègle
Véronique n’hésite pas à prendre du bon temps avec nos amis les bêtes (son
chien et son chat) dont les langues s’avèrent habiles ou même à offrir à son
grand-père un orifice lui permettant de préserver sa virginité. Mais
ces passages obligatoires pour un roman de ce genre n’ont rien de répétitif ou
de glauque grâce à cette langue primesautière (sans mauvais jeu de mots) et ce
style imagé : « Quant à la muqueuse
aux reflets nacrés qui surgit de l’effarement des crins, elle semble d’autant
plus douce que le pelage qu’elle balafre de son ondoyant sillage est plus
rêche. Mais la plus grande suavité n’est-elle pas à la jonction des babines que
sa ferveur entrebâille, en ce petit point précis où blotti dans la chaleur des
pétales, un pistil dérisoire vibre délicieusement sous la phalange qui le
harcèle de ses frétillants arpèges… »
L’humour règne en maître
dans Vulvette, les frasques de l’adolescente
servant de révélateur à l’hypocrisie des conventions bourgeoises et offrant le
loisir à l’auteur de croquer de savoureux portraits de notables repus et
scélérats (voir le précepteur de Véronique). Tandis que les filles sont
présentées comme malignes, débrouillardes et pleine de vie, les garçons sont de
gros farauds, des vieillards cauteleux ou des jeunes mal dégrossis :
« Il a conservé de son séjour sous les drapeaux un certain sens de la
discipline, qui l’a incité à garer son vélomoteur à la grille du parc. Mais l’indolence
et le laisser-aller qui sont de règle dans la fonction publique n’ont pas tardé
à exercer une influence lénitive sur un dynamisme qui ne se pratique plus guère
à notre époque. »
Le sens du sarcasme et l’humour
pince-sans-rire du roman évoquent même parfois certains des petits ouvrages libertins
de Pierre Loüys, à l’image de ce conseil plein de bon sens : « En outre, son empressement et son aisance
confirment l’intérêt de sodomiser les filles de bonne heure, car le sphincter
est encore assez souple pour héberger sans problème les hommages des gens du
monde. »
Bref, Vulvette ou Deux fesses pour expier est un petit roman espiègle,
plein de charme(s) et qui, à l’image de l’illustration du grand Aslan, renvoie
des effluves d’un temps désormais révolu où les choses paraissaient plus simples
et légères…
Libellés : Eurédif, Pierre Genève, Pornographie, Walter de Roanac
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