Lectures de mars
Le mois de mars fut riche en
découvertes mais il se trouve que j’ai déjà parlé de la plupart de mes lectures
précédemment ou que je réserve mes impressions pour des projets futurs.
Essayons néanmoins de récapituler :
9- Kikobook (2016) de Gérard Kikoïne (Editions de l’œil, 2016).
J’ai évoqué le beau livre de
souvenirs du maître de la pornographie à la française ici.
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10- Ça, c’est Choron ! (2015) sous la direction de Virginie Vernay
(Glénat, 2015)
Georges Bernier, dit le
professeur Choron, fut assurément la personnalité la plus atypique de la
mythique équipe d’Hara-Kiri et Charlie-Hebdo. En dépit de quelques romans-photos
désopilants et de petits contes à l’humour très noirs, Choron ne fut ni
écrivain (comme Cavanna, par exemple), ni dessinateur (comme Reiser, Gébé ou
Cabu) et n’a pas laissé de véritable œuvre derrière lui-même s’il a tâté de
tout : le théâtre (Ivre mort pour la
patrie) et la chanson (une épopée retracée avec une certaine verve par
Berroyer et Lefred-Thouron).
Et pourtant, en dévorant ce très
beau livre, on réalise que la vie même de Choron fut une œuvre d’art,
constamment provocatrice et drôle. S’appuyant sur le beau livre de souvenirs
rédigés en collaboration avec Jean-Marie Gourio, Ça, c’est
Choron ! retrace l’existence haute en couleurs d’un homme qui passa
par la légion puis le colportage avant de devenir le fer de lance d’une des
aventures journalistiques les plus singulières de la deuxième moitié du 20ème
siècle. Richement illustré, le livre nous permet de revivre l’épopée
Charlie-Hebdo/Hara-Kiri et de redécouvrir le professeur dans ses œuvres. Émaillé de témoignages passionnants et de dessins hilarants (ceux de Vuillemin,
en particulier), il nous permet également de redécouvrir toutes les entreprises
de Choron dans le domaine de la presse après la fin d’Hara-Kiri (notamment le lancement de sa revue pour enfants Grodada).
Revenir sur la trajectoire de
Choron, c’est aussi réaliser à quel point l’humour (le vrai, celui qui va de
Swift à Desproges en passant par Sade, Jarry, les surréalistes et tutti quanti)
a aujourd’hui régressé. Entre les youtubeuses neurasthéniques et les jeunes
crétins en chemise blanche qui ne jurent que par le second degré Canal et les blagues qui prennent bien soin de n’égratigner
personne, de ne tirer que sur des
ambulances, on se dit que l’humour sans limite, anarchiste et dévastateur de
Choron nous manque cruellement…
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11- Loin devant
(2016) de Jérôme Leroy (L’éditeur, 2016)
J’ai parlé de ce recueil d’oraisons funèbres ici…
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12- Le Bruit du
silence (1955) de Kurt Steiner (Fleuve Noir, collection : Horizons de
l’au-delà, 1979)
Un roman fantastique angoissant, au style raffiné dont je
réserve la critique pour un projet consacré à la collection Angoisse du Fleuve
noir.
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13- Le Masochisme au
cinéma (1978) de Jean Streff (Editions Henri Veyrier, 1978).
Il a été question de cet admirable essai ici.
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14- Fasciste (1988)
de Thierry Marignac (Editions ActuSF, 2015)
Dans son très beau roman Le Bloc, Jérôme Leroy mettait en scène
deux prototypes d’individus ayant adhéré au parti d’extrême-droite du « Bloc » :
d’un côté, le déclassé brutal n’ayant aucun horizon dans une société française
dévastée par le chômage si ce n’est l’ennui et la misère ; de l’autre, l’intellectuel
décadent et nihiliste, s’engageant en politique par désir de tromper son ennui.
D’une certaine manière, l’anti-héros du premier roman de Thierry Marignac, Rémi
Fontevrault, est un peu la synthèse de ces deux personnages. Passé par les
paras, le jeune homme a le goût de l’action et de la violence et s’il choisit
un parti fasciste, c’est par esprit de contradiction (nous sommes en 1983, au
moment où Mitterrand amorce un virage à 180° de sa politique) et par nihilisme.
Mais d’un autre côté, c’est un fils de bourgeois et un intellectuel en mal de
reconnaissance. Comme certains modèles historiques (Drieu la Rochelle en
premier lieu), Rémi est obsédé par le déclin de l’Europe et par une volonté
romantique d’en découdre avec le monde entier.
La force du roman, c’est le style
implacable de Marignac. Ni roman noir édifiant et "citoyen" à la Daeninckx, ni
pamphlet d’extrême-droite, Fasciste
est le portrait glacial et tranchant d’un jeune homme en quête d’aventure.
Extrêmement documenté (le livre débute au moment des grandes manifestations
contre la loi sur l’école libre et Rémi côtoie les tristes individus du G.U.D),
le récit tente d’offrir à son personnage nihiliste une sorte d’épopée
romanesque. Marignac le précise : dix ans plus tôt, il aurait écrit un
livre sur les Brigades rouges. S’il s’intéresse au développement du Front
national, c’est qu’à l’époque, il s’agit d’un mouvement pestiféré et que, dans
la tête de son héros, c’est le seul qui offre une possibilité d’aventure (on
imagine mal, en effet, un roman qui s’appellerait Socialiste ou Républicain !).
Ce parcours est dénué toute posture morale facile mais également de
toute complaisance pour ce mouvement fasciste dont les méthodes sont décrites
avec précision.
L’ambiguïté fondamentale de ce
roman qui refuse tout point de vue sur ce qu’il décrit (Marignac dit avoir
voulu écrire un vrai « ready-made » dadaïste) en fait la force noire…
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15- Trafics de coquine (1979) de Claude Razat (Editions du Bébé noir.
Collection Plaisir, 1979)
Premier roman de Jean-Pierre
Bouyxou pour les mythiques éditions du Bébé noir, Trafics de coquine est sans doute son livre le plus « classique »,
loin des délires géniaux des Clystères de
Paris ou de ses romans les plus singuliers (La Loque à terre). Nous suivons ici les aventures d’un jeune homme
parti en Bolivie pour récupérer de la cocaïne et tenir le rôle de « mule ».
Stéphane est accompagné par une jeune fille, la petite amie de son
commanditaire, chargée de surveiller le bon déroulement des opérations. L’intrigue
est construite de manière tout à fait classique : méfiance envers tout le
monde une fois le couple arrivé en Bolivie, prise de contact avec les trafiquants, trahison
potentielle… C’est de la littérature de gare solide, bien écrite et menée sans
temps mort. Paradoxalement, ce roman le moins singulier de Bouyxou est sans
doute aussi son plus personnel (d’après ses propres dires). Il ne s’agit pas de
prétendre que Stéphane est l’auteur mais il est vrai qu’on retrouve des
aspirations qui lui son propre, notamment dans cette manière de défendre de
nouveaux rapports amoureux. Alors qu’il aime sa petite-amie qu’il a laissée à
Paris, Stéphane fait l’amour avec celle qui l’accompagne mais renforce ainsi ses
sentiments avec l’autre. Cet idéal libertaire, sans doute difficile à « tenir »
dans la vie (parce que la jalousie et les sentiments amoureux sont des émotions
qui ne se raisonnent pas), est assez touchant et fait le prix d’un roman qui
annonce déjà les futures grandes réussites de Bouyxou.
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16- L’ennemi dans l’ombre (1971) d’Agnès Laurent (Fleuve noir.
Collection Angoisse, 1971)
Un thriller fantastique mâtiné de
romance à l’eau-de-rose un peu fade mais dont je parlerai également pour le
projet que j’évoquais plus haut.
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17- François Truffaut (2014) sous la direction de Serge Toubiana. (Flammarion,
2014)
J’ai parlé du catalogue de cette
exposition Truffaut à la Cinémathèque française ici.
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18- Les
Situationnistes et l’anarchie (2012) de Miguel Amoros (Editions de la Roue,
2012)
Comme son titre l’indique, Amoros
analyse ici les liens (et discordes) qui ont pu exister entre les membres de l’Internationale
situationniste et le mouvement anarchiste. Avouons-le d’emblée, l’essai est
parfois un peu anecdotique, notamment lorsque l’auteur présente en détail les
luttes intestines au sein de la Fédération anarchiste et les conflits entre
groupuscules (l’inepte Maurice Joyeux étant devenu, par exemple, un des plus
réguliers contempteurs des situationnistes). De la même manière, la conclusion est
un peu brutale et on pourrait reprocher à l’auteur de manquer un peu de
perspectives.
L’essai est néanmoins intéressant
parce qu’en partant d’une analyse de certaines thèses de La Société du
spectacle où Debord évoque la question anarchiste, Amoros souligne ce qui
rapproche et distingue le mouvement situationniste et l’anarchie. Si les forces
vives du mouvement anarchiste (Makhno, Durutti et les illégalistes) ont
intéressé Debord et son groupe, il est clair que l’IS arrive à un moment où l’anarchie
se fige en idéologie fossile. On peut regretter d’ailleurs, à ce titre, que
quelqu’un comme Benjamin Péret soit passé totalement à côté des forces vives
situationnistes.
A travers le scandale de
Strasbourg en 67 et les mouvements contestataires à Nanterre début 68, l’auteur
montre les conflits et points d’accord entre les situationnistes et certains
éléments issus de l’anarchie. Mais le chapitre le plus intéressant du livre est
sans doute celui où Amoros analyse l’échec des situationnistes à entrer en
contact avec les éléments les plus avancés (Murray Bookchin) de l’anarchie anglo-saxonne. Si, là encore, on
peut trouver qu’il entre un peu trop dans les détails, il parvient à prendre un
peu de hauteur et à montrer à quel point les « forces révolutionnaires »
dépendent d’un contexte historique et social précis. Pour être plus explicite,
il montre comment les situationnistes ont eu raison de se méfier du happening à
la française (Jean-Jacques Lebel), véritable "spectacle de la rébellion" tout
en ayant tort de passer à côté d’expériences similaires en Amérique, dans un
contexte historique totalement différent. La démonstration est assez
convaincante et si on aurait aimé qu’Amoros creuse peut-être davantage son
sujet (pourquoi s’arrêter avant Mai 68 ? Pourquoi ne pas aller plus loin
dans l’analyse théorique des deux mouvements ?), on peut sans hésiter se
plonger dans cet essai original.
Libellés : Amoros, Anarchisme, Angoisse, Bébé Noir, Bouyxou, Charlie-Hebdo, Choron, Fascisme, Fleuve noir, Hara-Kiri, Internationale situationniste, La Brigandine, Marignac Thierry