Conscience féminine
Les
Dix Japonais (1970) de Léone Guerre (La Musardine, 2020) Sortie le 23 janvier 2020
Ce nouveau titre de l’excellente
collection « Lectures amoureuses » de la Musardine a en fait 50 ans.
Publié chez Losfeld en 1970, ce court roman est l’œuvre d’Agnès Duits, épouse
du poète et peintre surréaliste Charles Duits (qui fit paraître également chez le même
éditeur des ouvrages érotiques : La
Salive de l’éléphant, Les Miférables).
Distingué par André Pieyres
de Mandiargues, Les Dix Japonais
narre les aventures sensuelles d’une jeune femme (Léone Guerre) à Marseille.
Elle débarque dans la ville sans presque rien et vit au jour le jour, au fil
des rencontres qu’elle effectue avec des amants de passage. On ne saura
quasiment rien de cette héroïne mis à part un « flash-back » où elle
relate sa première relation sexuelle avec un vieux professeur alors qu’elle
avait quinze ans. Il s’agit moins de faire le portrait psychologique d’une
jeune femme que d’épouser les méandres de sa conscience. Si l’on me permet la
comparaison, Léone Guerre applique, dans le cadre de l’érotisme, les leçons de
Virgina Woolf en s’attachant aux « courants de conscience » de son
héroïne et à une trajectoire où elle se contente « d’être » au monde :
« Tous ceux qui me
rencontraient alors avaient la rage de me posséder, sans doute parce que j’étais
semblable à un fantôme et que nul ne pouvant posséder un fantôme, ils
accouraient tous vers lui comme vers le mirage le plus provocant. L’érotisme
aime les mirages et les choisit plutôt que des femmes de chair réelle. Ceci lui
permet de demeurer infiniment en cet enfer sensuel qui l’enchante. »
C’est cet attachement à une
conscience féminine qui fit dire à Jean-Jacques Pauvert, autre admirateur du
livre, qu’il était « d’un féminisme bien plus subtil et plus fort en
définitive que celui du MLF ». Léone Guerre explore effectivement avec
style et force les zones troubles où se mêlent plaisir, abandon et soumission.
Le titre de son récit vient d’un moment où elle se laisse guider par un amant
japonais qui l’entraine dans une étrange et envoûtante cérémonie érotique, au
milieu de dix hommes. Assumant tous ses désirs, elle en souligne la
souveraineté face à la médiocrité de jouissance masculine :
« Oh, je
connais l’étreinte des hommes : pour celle qui leur dispense semblable
jouissance, ils ne gardent que la haine. Moqueries seront ce qui en moi fut
prières et évasion. Ils n’auront que des rires et de la rage en parlant de moi, s’ils
en parlent entre eux parfois. A cet état de douceur succédera l’imbécillité, je
le sais. »
Cette manière de ne pas
quitter ce point de vue flottant fait des Dix
Japonais une œuvre envoûtante, qui navigue entre un érotisme assez
cru (les choses sont dites sans fioritures même si jamais l’auteur ne recourt
aux subterfuges classiques de la pornographie littéraires) et une sorte de
rêverie opiacée, le songe d’une jeunesse libérée de tout carcan (qu’il soit
social ou moral).
Gageons que les lecteurs
avertis goûteront à la singularité de cette évocation sensuelle…
Libellés : érotisme, féminisme, La Musardine, Léone Guerre, Losfeld, Virginia Woolf