Les apparences sont trompeuses : même si je publie régulièrement des notes sur mon « journal cinéma », je n’ai pas une minute à moi et j’ai du mal à alimenter cette cave. Alors que j’espérais faire une note spécifique pour chacun des ouvrages dont je vais vous parler, je dois me contenter d’un petit panorama lapidaire.
Commençons par
Les En-dehors : anarchistes, individualistes et illégalistes à la « Belle-époque » d’Anne Steiner (L’échappée). Comme son titre l’indique, il s’agit du récit « romancé » de l’épopée anarchiste au début du 20ème siècle. Tous les faits relatés sont historiques mais Anne Steiner choisit de raconter cette histoire par le prisme d’un personnage (Rirette Maîtrejean) et de le faire sous une forme narrative proche du roman.
Rirette Maîtrejean est un personnage assez fascinant puisqu’il s’agit d’une anarchiste et d’une femme émancipée qui quitta un giron familial d’origine modeste pour ne pas être condamnée à l’esclavage réservé aux gens de sa condition. Elle « monte » à Paris où elle fait la connaissance d’Albert Libertad, rédacteur du journal l’anarchie et de Victor Serge qui sera son compagnon. Avec beaucoup de souffle et de verve, Anne Steiner nous conte l’histoire de cette jeune femme qui participa activement aux grandes heures de la geste anarchiste et fut assez proche des membres de la future « bande à Bonnot » (Raymond Caillemin était un grand ami de Victor Serge). Par le biais de Rirette, l’auteur revient sur l’épopée sanglante des « bandits tragiques » et les luttes intestines au sein du mouvement anarchiste autour de la question de l’illégalisme.
Alors qu’elle avait repris avec Victor Serge la direction du journal l’anarchie au moment de la mort de Libertad, Rirette Maîtrejean et son compagnon sont jetés en prison au moment du procès Bonnot. C’est alors Ernest Armand (Anne Steiner perpétue l’erreur de l’appeler Emile) qui reprendra les rênes du baveux.
Pour ceux qui ne connaissent rien aux différents visages du mouvement anarchiste, ce livre palpitant est une excellente entrée en matière.
Poursuivons par l’ouvrage le plus à la mode du moment (tant mieux !), à savoir le fameux
l’insurrection qui vient du Comité invisible (La Fabrique). L’arrestation scandaleuse de Julien Coupat et de ses compagnons a mis sous le feu des projecteurs cet excellent essai théorique où en un minimum de pages, les auteurs décrivent la situation insurrectionnelle qui est celle de nos sociétés occidentales (l’exemple récent de la Grèce prouve que le livre est plus qu’un libelle anarcho-gauchiste). Contrairement à ce que ces imbéciles de journalistes ont pu prétendre, il ne s’agit en aucun cas d’un manuel du parfait petit saboteur mais d’un ouvrage qui s’inspire énormément de la théorie situationniste et qui l’adapte à notre époque.
La première partie est un hommage à Dante et à ses cercles infernaux. Avec une véritable acuité, le comité invisible pointe tous les signes de décomposition de notre époque. Cette manière quasi « stratégique » de quadriller le terrain du désastre rappelle celle de Debord tandis que les thèses sur la « soumission durable » aux impératifs du « Bien » (protection de l’environnement, citoyenneté…) rappellent celles d’un René Riesel.
La deuxième partie propose des solutions concrètes et actualise les projets d’autogestion conseilliste nés dans la foulée de 68. Les conseils ouvriers laissent place aux « communes » et à leur libre association. A lire absolument.
Dans le même registre, j’ai découvert le fameux manifeste Unabomber (
L’avenir de la société industrielle. Editions du Rocher). Unabomber, c’est ce fameux « terroriste » qui envoyait des colis piégés à divers parasites de la société (patron d’agence publicitaire, universitaires…) pendant une vingtaine d’années et qui promis d’arrêter ses attentats si les journaux à grands tirages publiaient son manifeste. Un peu après cette publication, il fut arrêté.
Que dire de ce manifeste ? Dans sa préface, Annie Le Brun parle « d’art brut » ou encore de « bombe artisanale ». Effectivement, il y a quelque chose de bricolé, d’un peu lourd et pas très profond dans ce manifeste. Pourtant, certaines intuition d’Unabomber sont très pertinentes, notamment sa virulente critique de la gauche et cette manière très juste de montrer comment le « politiquement correct » est une des idéologies permanentes tant elle tend à soumettre les individus au nom du Bien (là encore, j’ai perçu des ressemblances avec les thèses de Riesel et il ne me paraît pas étonnant que le manifeste d’Unabomber ait été réédité chez « l’encyclopédie des nuisances »). En revanche, je suis moins convaincu par sa volonté de destruction totale du système industrielle. Qu’une révolution soit nécessaire, nous en sommes convaincu ; mais qu’elle amène à une situation encore moins séduisante que ce peut nous offrir le présent (je ne vois pas qui pourrait adhérer à son projet de retour benêt à la nature et de se passer de réfrigérateur !), voilà qui nous laisse un peu perplexe.
Comment concilier alors le savoir-faire technologique et le « confort » moderne avec une véritable émancipation de l’individu, la question reste ouverte ?
Jean Rollin fit partie, dans sa jeunesse, de la fédération anarchiste. Mais même si ses mémoires témoignent qu’il n’a pas désavoué ses amours de jeunesse (sa haine des chasseurs et des militaires comme de toute autorité est assez réjouissante), il sera surtout question de cinéma dans
Moteurcoupez ! Mémoires d’un cinéaste singulier (E/dite). Certains n’ont pas manqué de le remarquer, l’ouvrage est parfois un peu fouillis et conduit le cinéaste à se répéter. Mais à cette petite réserve près, le livre est passionnant et fourmille d’anecdotes savoureuses. Rollin évoque le souvenir de sa mère (qui connut fort bien Blanchot et Bataille) et de ses jeunes années cinéphiles (la cinémathèque de Langlois). Puis il détaille, film après film, sa carrière singulière, émaillant ses récits de détails piquants ou surprenants (ses histoires de fantômes). Il raconte avec une passion communicative son goût pour les vampires, la littérature populaire, les illustrés et la BD. Il évoque avec une certaine gouaille ses années X et prouve en quelques pages enlevées que le cinéma porno des débuts n’avait rien à voir avec l’ignoble industrie qu’il est devenu.
Un autre reproche, tout de même (qui n’en est pas un !) : l’ouvrage est si palpitant qu’on regrette énormément que Rollin n’en dise pas plus. On aimerait qu’il parle plus de Losfeld et Kyrou dont il fut très proche. On regrette qu’il ne s’appesantisse pas plus sur sa carrière « littéraire »… Même s’il avait fait 800 pages, je crois que j’aurais dévoré ces mémoires de la même manière.
Un détail : je pense que le livre peut intéresser tout le monde, y compris ceux qui n’ont que peu d’appétit pour la « série Z ». A ne pas louper, donc…
J’ai été suffisamment long pour aujourd’hui : je ne parlerai donc pas des belles images d’Hara-Kiri si ce n’est pour vous dire que c’est absolument génial : féroce, subversif, du plus mauvais goût imaginable et constamment hilarant. Vive Choron et son équipe !
Libellés : Anarchisme, Anne Steiner, bande à Bonnot, Comite invisible, Jean Rollin, Libertad, Riesel, Rirette Maitrejean, terrorisme, Unabomber, Victor Serge