La page blanche
Adios
Schéhérazade (1970) de Donald Westlake (Rivages/Noir,
2007)
A Maud...
Edwin Topliss écrit sous
pseudonyme des romans pornos à la chaine jusqu’au jour où il tombe en panne d’inspiration
et accumule le retard dans la livraison de son manuscrit. On connaissait déjà l’humour
et la fantaisie de Donald Westlake mais davantage dans le registre du roman
noir et/ou social (Le Couperet). Ici,
il en use pour investir un classique du genre : le récit de l’écrivain
face à la page blanche. Mais l’originalité d’Adios Schéhérazade (qui a pu donner quelques idées à De Broca pour
son Magnifique), c’est que le héros
du roman œuvre dans le cadre très particulier de la littérature populaire en
général et de l’érotisme en particulier. Et dans la mesure où j’ai eu la chance
de pouvoir rencontrer un certain nombre d’écrivains abattant le même genre de
travail (Jean-Pierre Bouyxou, Jean-Marie Souillot, Frank Reichert, Pierre Laurendeau…),
le roman de Westlake prend une saveur toute particulière tant les descriptions
des méthodes de travail et les anecdotes semblent plausibles.
Ed ne parvenant pas à pondre
son nouveau livre en dépit de techniques éprouvées qu’il décrit précisément
(divers types de scénarios, de personnages, de situations, jeux avec la
typographie et la pagination…), il digresse et puise dans sa vie personnelle
(sa rencontre avec son épouse, sa « première fois », ses aventures
extra-conjugales dont le lecteur ignore si elles sont réelles ou fantasmées…)
et c’est à partir de ce moment que les choses se gâtent.
Sans en révéler trop, Adios Schéhérazade fonctionne sur le
principe de la « réaction en chaîne » et de l’accumulation. Plus Ed
peine à écrire son roman, plus il se dévoile et plus ses déboires s’entassent. Inutile
de préciser que ces péripéties sont la plus part du temps hilarantes et que la
construction du récit est à la fois riche et offre de nombreux niveaux de
lecture. Westlake jongle merveilleusement entre la « réalité » et sa
retranscription dans le cadre d’une fiction, celle-ci se nourrissant constamment
de celle-là. Il faut voir comment un épisode de la vie de l’écrivain, décrit de
manière plutôt crue, se retrouve quelques temps plus tard réécrit dans un style
à la fois plus châtié mais également un peu plus ridicule (les clichés et le style
empathique de rigueur pour un roman érotique « soft » et de bon
goût). Ou encore cette façon dont les états d’âme de l’auteur phagocytent
constamment le récit qu’il tente d’élaborer et qu’il doit sans cesse reprendre
en procédant par collages, retours en arrière, mélanges divers…
Adios
Schéhérazade peut se lire comme une réflexion sur l’écriture
et le métier d’écrivain, la manière dont l’Art vous oblige à puiser dans la vie
tout en vous en tenant à distance, mais le roman est bien trop enlevé et
fantaisiste pour être lesté par les grandes théories (que Westlake raille à l’occasion).
Les préoccupations d’Ed sont beaucoup plus prosaïques : gagner de l’argent
pour continuer de manger, tenter de sauver son couple puis échapper à de nouveaux
dangers qui ne cessent de s’accumuler.
Avec au bout du compte cette
question qui revient hanter le roman : l’Art (qu’il soit « populaire »
ou non) dit-il la vérité et doit-il chercher à l’atteindre ? Avant de
répondre à ce vaste sujet, on aura d’abord pris soin de se régaler en dévorant
ce roman pittoresque, enlevé et d’une drôlerie (derrière le drame en train de
se nouer) constante.