La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

samedi, août 10, 2019

L'horizon jaune


Gilets jaunes : pour un nouvel horizon social (2018-2019). Collectif (Au diable Vauvert, 2019) 

Quoi qu’on en pense, il est incontestable que le soulèvement des Gilets jaunes fut (il ne faudrait d’ailleurs pas en parler au passé tant rien n’interdit de d'espérer un retour de flamme) un événement à la fois imprévisible et mal compris. Ignoré par les syndicats, boudé par les partis traditionnels avant quelques maladroites tentatives de récupération, il fit pousser des cris d’orfraies à tout ce que la France compte d’ « intellectuels » affidés au Pouvoir (d’ignobles rogatons comme Pascal Bruckner, Philippe Val ou Luc Ferry) et d’éditorialistes couchés.
On qualifia le mouvement de tous les noms d’oiseaux imaginables : populiste, factieux, d’extrême-droite, raciste, conspirationniste, antisémite, homophobe et j’en passe… Pourtant, il suffisait de se rendre dans les manifestations (ce que je fis assez tardivement, vers la fin décembre) pour constater que cette image véhiculée par les médias était totalement fallacieuse.
Heureusement, à côté des sinistres laquais de la macronerie triomphante (l’adipeux gribouilleur de pingouins Xavier Gorce, le toujours abject BHL, le cire-godasses Brice Couturier…), il y eut des écrivains et intellectuels d’une autre trempe qui osèrent porter un regard différent sur les Gilets jaunes et qui les soutinrent. Gilets jaunes : pour un nouvel horizon social nous offre un regard hors du chaudron de l’actualité immédiate et de la course au sensationnalisme. Une vingtaine d’auteurs (de Bégaudeau à Siebert en passant par Damasio, Pelot, Quadruppani et Laurent Binet) nous proposent, à travers des tribunes, des analyses, des poèmes, des nouvelles, une vision différente du mouvement. Si les contributions sont éclectiques, elles sont en majeure partie passionnantes. On pourra constater que Denis Robert affichera dès le 16 novembre (sur Facebook) son soutien aux Gilets jaunes. Dans les belles chroniques que Jérôme Leroy écrivit pour l’hebdomadaire communiste Liberté Hebdo se dessine une certaine évolution, assez partagée à l’époque, vis-à-vis du mouvement : d’abord une certaine méfiance face à une révolte contre l’impôt vue comme « poujadiste » et anti-écologiste (comme si les taxes de Macron sur l’essence étaient une mesure écologiste !) avant de glisser vers l’adhésion à un mouvement populaire qui a vite affiché de nombreuses revendications légitimes, « impur » (comme le souligne à juste titre Quadruppani), courageux et luttant avant tout contre l’amplification des injustices sociales.
Il ne s’agit pas de nier qu’il put y avoir certains dérapages au cours des premiers actes du mouvement (finalement très peu eu égard à son ampleur) mais Patrick Raynal a trouvé le plus belle des formules pour les relativiser : « Quand le peuple est en colère, c’est la musique qu’il faut entendre, pas les paroles. »
S’il fallait regrouper les textes de manière un peu arbitraire, on distinguerait d’un côté ceux qui s’attachent et rendent hommage aux « gens de peu » qui composèrent le gros des troupes des Gilets jaunes (Minna Sif, le magnifique Portrait d’une femme en jaune de Nicolas Mathieu…) et ceux qui tentent d’analyser le mouvement de façon plus théorique : ce qu’il a été (Bégaudeau, Annie Ernaux qui parle d’un « moment passionnant », Mordillat ou encore Binet qui raille à juste titre une certaine gauche faisant la moue face à ce mouvement social débraillé et mal fréquenté : « un mouvement social n’est pas une boite de nuit : on ne filtre pas à l’entrée. Ce n’est pas une entreprise : on ne vérifie pas les CV. Ni un dîner de gala : on risque de casser un peu de vaisselle. ») ou ce qu’il pourra devenir : Quadruppani dresse un bilan particulièrement pertinent début mars en réfléchissant aux perspectives tandis qu’Alain Damasio imagine une petite nouvelle d’anticipation assez réjouissante.
De cet ensemble se dégage le sentiment d’une grande urgence sociale. On aura beau jeu de dauber d’importance un mouvement qui « ne sait pas ce qu’il veut », l’essentiel reste qu’une grande partie de la population (quoi qu’en disent les boutiquiers du macronisme toujours prompts à réduire le Réel à des chiffres et pourcentages non représentatifs) sait ce qu’elle ne veut pas : la thatchérisation à outrance de la société, la privatisation de tous les domaines de la vie au profit d’intérêts privés et la résignation imbécile face aux coups de boutoir d’une mondialisation présentée comme une fatalité…

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1 Comments:

Blogger rosy123 said...


Super article comme d'habitude. Un grand merci pour tout ce que tu nous partages
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10:44 AM  

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