Lectures de février 2017
Le mois de février fut, comme
l’an passé, relativement calme en termes de lecture. Peut-être en raison des
vacances ou d’un mois écourté. Toujours est-il que nous avons découvert :
8- Ballades pour un voyou (1979) de Golo et Frank (Editions du Square,
Bouquins Charlie, 1979)
En 1979, Frank Reichert a déjà
débuté, sous le pseudonyme de Luc Vaugier, une solide « carrière » de
romancier populaire pour les éditions du Bébé Noir qui deviendront par la suite
La Brigandine. Au même moment, il devient également scénariste de bandes
dessinées pour Golo et ils collaborent tous deux au Charlie Mensuel de Wolinski. Ballades
pour un voyou est leur premier recueil et narre les (més)aventures d’un
jeune blouson noir tout juste sorti de prison et bien décidé à éviter par tous
les moyens les contraintes de « l’esclavage salarié ». Avec l’aide de
copains, il fomente un coup pour dérober des diamants… On retrouve dans cet
album l’univers de Frank Reichert : les blousons noirs, les bistrots
populaires, les quartiers chauds de la capitale (Pigalle) et un certain
désenchantement lié aux reflux des utopies. Si l’on cite volontiers ici les
ténors de la « subversion carabinée » (Makhno, Darien, Vaneigem…),
c’est une atmosphère poisseuse et désenchantée qui prédomine. Entièrement du
côté des « voyous », le récit ne ménage ni la flicaille, ni les
sycophantes ou les « braves gens » racistes et adeptes du viol…
Le trait de Golo est daté :
pas au sens vieillot mais en ce sens qu’il est assez caractéristique de son
époque. On y sent l’influence de la BD underground américaine, des comix et il
n’hésite pas à surcharger ses cases. Mais ce style sombre et rocailleux est en
parfaite adéquation avec le propos et donne une tonalité toute particulière à
l’ensemble. Un coup d’essai, donc, et une belle réussite…
***
9- Les Monte-en-l’air
sont là ! (1970) de Pierre Siniac (Gallimard, Série noire n°1320,
1970)
Il s’agit de mon premier Siniac
et d’une des premières « série noire » de l’auteur (la quatrième pour
être précis). Avec ce roman, Siniac emprunte la voie relativement classique du
récit de « casse ». Ces deux héros principaux sont des bras cassés
qui s’associent et mettent un plan pour dévaliser la chambre forte la mieux
gardée de toute l’Europe. D’emblée, l’auteur place ses personnages sous le
signe du cinéma et de l’hommage puisque « la feignasse » et Armie se
rencontrent dans des salles obscures où l’on donne des reprises de classiques
signés John Huston ou Jules Dassin.
Je n’en dirai pas plus sur les
péripéties mais sachez qu’elles sont agencées avec beaucoup d’humour et une
efficacité sans faille. Entre le pittoresque de la « série noire »
d’antan que l’on retrouve dans les portraits de ces personnages de populos
gouailleurs, ces petites frappes adeptes
de la combine et la minutie des descriptions de l’élaboration du coup, le
lecteur est happé sans la moindre réserve. Certes, on pourra trouver parfois
l’intrigue assez invraisemblable et tirée par les cheveux mais Siniac a le
génie du trait, de l’accélération fulgurante qui provoque un suspense et
empêche son lecteur de lâcher l’ouvrage.
Voilà qui, de mon côté, donne
envie d’en savoir plus sur cet auteur et de découvrir plus en profondeur son
abondante bibliographie…
***
10- Télex n°1
(1976) de Jean-Jacques Schuhl (Gallimard, L’imaginaire n°643, 2013)
Une œuvre rare récemment rééditée
en poche et que l’on hésite à qualifier de « roman ». Il s’agit
plutôt de bribes de fictions, de fragments, de silhouettes fantomatiques qui
viennent hanter les pages de ce livre. Schuhl se livre ici à une série de
variations dans un décor de chambres d’hôtel que vient peupler l’écho
d’histoires anciennes. On y croise aussi bien Louise Brooks que Rita Hayworth
mais aussi le mannequin Twiggy ou Eddy Merckx. Difficile d’en dire plus sur ce
livre alors il m’a pris l’envie de vous faire partager un passage qui le
traduit bien :
« (…) : méfiez-vous de ceux,
qui, à côté de vous, ne peuvent supporter cette discontinuité, ce polylogue
infini, toutes ces langues, cette absence de sens, de début, de fin,
d’anecdote. Ceux-là, ils sont du côté de l’autorité, de la famille, de l’Etat,
de la propriété privée, du racisme, du « ou bien ou bien », et du
« deux choses l’une » et du « Il faut une fin à tout ».
Faites avec n’importe qui l’expérience suivante : tournez le bouton sans
vous arrêter plus de vingt secondes sur un poste. Allez et venez. Que ce soit
sur une fréquence internationale – avec de préférence des langues non
occidentales. Faites ça pendant dix ou quinze minutes. Celui qui dit :
« Ou ferme le poste ou trouve un programme » est quelqu’un de
religieux) (…) »
Le dandy Schuhl est bien
évidemment du côté de cette discontinuité et l’on devine dans ce court
paragraphe toute l’utopie d’une époque désireuse d’en finir avec les immuables
piliers d’une société. Sauf que quarante ans après, il semblerait que le
capitalisme ait réussi à intégrer ces mots et à faire de nos existences une
succession d’instants séparés, un zapping général où il n’est désormais plus
question de voir à long terme, de comprendre le mouvement global du monde et la
possibilité de le renverser. L’univers a beau s’être morcelé au point de perdre
tout sens, la police veille toujours et on se prend à rêver de pouvoir se
raccrocher désormais à un « programme » (évidemment pas ceux proposés
par les grotesques partis politiques !)
***
11- Attouchements sans douleur (1982) de Gilles Soledad (Editions de
la Brigandine, 1982)
Nous retrouvons Frank Reichert
pour une œuvre brigandinesque particulièrement gratinée et très réussie. Qu’on
en juge : après avoir œuvré dans la fable apocalyptique (l’excellent Fête de fins damnés), Gilles Soledad
nous entraine sur les traces d’un couple de jeunes routards, Micky et
Maryvonne. Tout débute plutôt bien pour eux puisqu’ils filent vers la grande
bleue et prennent du bon temps en chemin (« Je me suis encore jamais fait
verger dans un verger »). Mais voilà qu’ils tombent entre les mains de
vieux libertins libidineux qui les emmènent sur une île tropicale pour les
transformer en gibier d’une chasse très particulière. Soledad/Reichert se
souvient ici du classique Les Chasses du
compte Zaroff qu’il réadapte ici, à la manière d’un Jess Franco dans La Comtesse perverse, pour nous offrir
un cocktail de sexe (violent) et de sang.
A travers cette fable qui lorgne
volontiers du côté du cinéma bis, Reichert parvient à interroger les mécanismes
du pouvoir et la violence de classes puisque les victimes de ces bourgeois
libertins sont de simples prolos. Le sexe n’y est jamais joyeux mais un instrument
d’oppression lorsqu’il est aux mains des classes dominantes. Néanmoins, et même
si on trouve de jolies phrases comme : "on se déplace plus facilement
parmi les idées
générales que dans les chicanes de la dialectique" qui devaient étonner le lecteur lambda
de romans de gare érotiques, ce récit fruste n’est pas un traité théorique et
séduit par son pessimisme radical et sa violence sans rémission…
Libellés : BD, érotisme, roman français, roman policier, série noire
6 Comments:
Vraiment très intéressant. Bonne continuation à vous !
Franchement vous êtes formidable d'avoir fait un site pareil,
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