La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, janvier 31, 2016

Lectures de janvier

J'ignore si j'aurai le temps d'alimenter cette rubrique mais je relance mon blog en vous proposant, au moins, un petit panorama mensuel de mes lectures :

1- Gueule de bois d'Olivier Maulin (2014. Denoël).


A la faveur d'un prix littéraire réservé aux lycéens, j'ai pu il y a quelques années découvrir le premier roman d'Olivier Maulin, En attendant le roi du monde. Je me souviens que ce livre avait provoqué des polémiques au sein de la communauté enseignante et que certains voulaient le retirer de la vue des élèves en raison de certains passages très crus. Avec le recul, je pense pourtant que c'est le meilleur livre jamais sélectionné dans le cadre de ce prix qui a pourtant distingué quelques grands noms de la littérature contemporaine (Modiano, Péju, Holder, Khadra, Monnier, Martin Page, Guenassia, De Kerangal...). Je le regrette mais je n'ai pas lu les romans suivants de Maulin et c'est un peu par hasard que je suis retombé sur lui avec ce réjouissant Gueule de bois.
Le livre est divisé en deux parties : dans la première, nous suivons les pérégrinations d'un journaliste, Pierre, qui de cocktails mondains en bistrots populaires, rencontre des individus décalés et aussi alcoolisés que lui. Il y a du Céline dans cette manière qu'à Maulin d'égratigner les travers de ses contemporains à travers le prisme de ces personnages farfelus et leurs aventures extravagantes. Gueule de bois est une farce hénaurme où l'humour rabelaisien se mêle à une satire très « politiquement incorrecte » des mœurs actuelles. Parti au vert pour enquêter sur les loups dans la deuxième partie, Pierre rencontre à nouveau des personnages excentriques et Maulin ne se montre pas plus tendre pour le monde comme il ne va pas, que ce soit l'idéologie écologiste (celle des parisiens et des bureaucrates) ou les pratiques journalistiques et leur novlangue.
Alors, « réac » Maulin ? Sans doute, mais hilarant et doté d'un style incisif. Pour preuve, un couplet contre la pub d'une grande justesse :

« Il lui expliquait qu'on avait réussi grâce à la pub à faire désirer aux pue-la-merde ce qu'on avait programmé pour eux dans notre seul intérêt. Pas de matraque, pas de camp, pas de violence. Et on leur laisse croire qu'ils sont libres par-dessus le marché ! C'est génie ou c'est pas génie ? Venez consommer librement les petits pioupious, c'est vous qui décidez de tout... La baronne commençait à piger : elle s'est mise à mouiller ! Transformer leurs désirs en besoins ! Les rendre compulsifs, dépendants du bonheur dans l'achat ! Un coup de déprime ? Lèche une vitrine, connasse ! Génie, oui, je l'affirme ! Grâce à la pub, ils avaient renoncé à produire eux-mêmes ce dont ils avaient besoin et ils étaient heureux ! Contents de bouffer de la merde de cheval surgelée ! Ravi de s'empoisonner de raviolis aux os broyés, nerfs et tendons ! Guillerets de préparer des purées en flocons ! Éplucher une patate ? Plus le temps ! Trop de boulot ! Mais je m'éclate, rassurez-vous ! J'abandonne mes enfants tous les jours à des nourrices inconnues, je pue des bras à cause du stress, je donne du poison à mon bébé mais je suis plus épanouie qu'au treizième siècle, hihihi ! Et puis je pars en week-end à l'étranger et je finirai en maison de retraite tout confort. La pub, meilleur dressage de l'histoire de l'humanité ! Tout en douceur et en cajolerie, lait maternel et régression ; pornographie pour impuissants, les exciter un peu, qu'ils s'imaginent être vivants... Le choix pour les rebelles : choisir une autre marque. »

Certains passages pourront faire grincer les dents mais je me suis régalé...

2- Le roi créole : récit des années 60 d'Alain Paucard (L'âge d'homme. 1999)


Une jolie petite fable où Alain Paucard mêle deux récits parallèles. D'un côté, un roman d'apprentissage mettant en scène un jeune parisien en vacances chez ses grands-parents dans un village de l'Yonne. Passionné de rock et de cinéma (on devinera immédiatement la dimension autobiographique du livre), il décide avec quelques copains de monter un spectacle de rock au cours d'une fête paroissiale. De l'autre, Paucard fait parler son idole Elvis Presley dans une sorte de monologue intérieur qui revient sur la destinée tragique de l'idole.
Entre l'évocation nostalgique d'une époque révolue et une réflexion sur les mystères de la destinée et de la renommée, l'auteur parvient à nous faire sourire et nous toucher avec ce très court roman d'une cinquantaine de pages.

3- Terrence Malick et l’Amérique d'Alexandre Mathis (Playlist Society. 2015)


Pure player culturel, Playlist society se lance dans l'édition avec des livres aux maquettes élégantes et épurées. C'est Alexandre Mathis qui ouvre le bal avec un essai sur Terrence Malick (suivront un livre sur le cinéma argentin et un essai sur Michael Mann). Avec minutie, Mathis revient sur les thèmes chers au cinéaste : le territoire américain, l'innocence perdue, la violence, le sacré... Le propos est sérieux et circonstancié, balayant l’œuvre rare et désormais controversée du cinéaste. Deux petites réserves, davantage imputables à moi qu'à l'ouvrage à proprement parler. D'abord, mon propre rapport à Malick qui est un cinéaste qui m'intéresse mais ne me passionne pas. A part son premier film (Badlands), j'avoue n'avoir jamais été transporté par ses autres films que je ne connais d'ailleurs pas tous (je n'en ai vu que la moitié). Ensuite, Alexandre Mathis opte pour une approche très « universitaire » (ce qui n'est pas un reproche!) et si son essai me paraît une excellente synthèse, j'ai parfois du mal à percevoir la subjectivité de l'auteur qui pourrait apporter un regard neuf sur l’œuvre.
Mais encore une fois, tel n'est pas son but et il n'y a donc pas lieu de lui reprocher.

4- Jess Franco ou les prospérités du bis d'Alain Petit (Artus Films. 2015)

Mon compte-rendu sur cet indispensable essai se trouve ici.

5- Les ficelles du pantin de Yak Rivais (Attila. 2012)

Yak Rivais est surtout connu pour son abondante production destinée à la jeunesse. Pourtant, outre son chef-d’œuvre Aventures du général Francoquin, ses autres livres « pour adultes » méritent le détour à l'instar de cette farce grinçante débutée...en 1972 et achevée en 2012.
A la manière de Brecht, Rivais met en scène un président qui, à la veille de l'élection, refuse de céder sa place et met tout en œuvre pour conserver le pouvoir. Inspiré à la fois par Tacite (l'élection oppose Vitellius à Vespasien) et Jarry (pour le côté « hénaurme »), Rivais décrit avec une rare acuité les mécanismes du Pouvoir et la corruption d'un système politique à bout de souffle (toutes ressemblances avec une situation existante...).
Les Ficelles du pantin n'épargne personne : les politiques, bien entendu, mais également les médias ou le peuple avachi toujours prompt à se rallier à la force (une scène d'émeute et de liesse populaire est très impressionnante).
Le livre est une petite merveille d'ironie et de lucidité, à l'image de ce passage sur les connivences entre le Pouvoir et la presse :

« -Par exemple, toi tu es une idiote, tu lis la presse gratuite. Bon. Dedans, c'est de la propagande pour moi tous les jours. Donc le propriétaire est un ami. Ou bien la télévision ! Tu la regardes. Elle me fait de la propagande. Les patrons sont mes amis : tous les patrons de quelque chose, et tous les responsables de n'importe quoi qui me rend service où ils sont casés. C'est donnant-donnant. Les très riches, par exemple, je baisse leurs impôts, et pour me remercier, ils me reversent une partie de leurs économies à titre privé pour que je puisse mener mes campagnes. Tu piges ? »


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