Lectures de février
En me lançant, de front,
dans deux livres faisant respectivement plus de 700 pages pour l'un
et 660 pour l'autre, il ne fallait pas s'attendre à une moisson
impressionnante pour le mois de février. La voici :
6- Midi-Minuit
fantastique : l'intégrale, volume 2 (2015) sous la
direction de Michel Caen et Nicolas Stanzick. (Rouge Profond. 2015)
Une absolue merveille
dont j'ai déjà parlé ici
***
7- Science et vit
(1982) de Philarète de Bois-Madame (La Brigandine. 1982)
Pénultième roman des
quatorze que Jean-Pierre Bouyxou a écrits sous les bannières du
Bébé noir et de la Brigandine. Torché en quelques jours, il
s'agit de l'aveu même de son auteur de son plus mauvais livre.
Difficile, effectivement, de sauver quelque chose de cet improbable
roman de science-fiction où un brave paumé rencontre dans un bar
une sulfureuse extra-terrestre puis sa sœur. Ces deux créatures
sensuelles l'embarqueront dans un voyage intersidéral plutôt
stupéfiant (à tous les sens du terme).
Le problème de ce genre
de livre de SF vient sans doute du fait que l'auteur part dans un
délire qui n'appartient qu'à lui et peine le plus souvent à donner
une cohérence à l'univers qu'il décrit. Du coup, on sent que
Bouyxou tire parfois à la ligne, notamment lorsqu'il imagine une
langue extra-terrestre à base de poings écrasés sur les touches de
sa machine à écrire (exemple : azogjazbhzqsr) ou qu'il met en
scène un long passage avec des schtroumpfs à qui nous n'aurions pas
prêté de telles mœurs !
S'il ne renoue que trop
rarement avec la géniale fantaisie de L'Odieux tout-puissant,
Science et vit ne mérite pourtant pas l'opprobre. Même dans
un jour sans, Bouyxou parvient à émailler son récit de trouvailles
drolatiques qui empêchent l'ennui. Il se permet même une excellente
digression sur l'écrivain Félicien Champsaur, aussi absurde
qu'enchanteresse, qui nous rappelle que même dans un roman plutôt
raté, l'auteur parvient toujours à glisser quelques très bonnes
pages. Ce n'est pas la première Christine Angot venue qui pourra en
dire autant !
***
8- Maryan Lamour dans le
béton (1999) d'Alexandre Mathis (Éditions Encrage. 1999)
Se lancer dans ce roman,
c'est plonger la tête la première dans un fleuve impétueux. 660
pages mais un format atypique ( petite police de caractères,
paragraphes compacts sur des pages entières...) qui équivaudrait,
dans une présentation plus classique, à un livre de plus de mille
pages.
Avant ce roman, Mathis
était avant tout connu par les cinéphiles puisqu'il avait consacré
un livre à Benazeraf sous son véritable nom (Paul-Hervé Mathis) et
qu'il a beaucoup écrit sur les films (que ce soit dans
Libération ou dans Sex
Star Systems). Il arrête toute activité de ce genre en
1979 et il faudra attendre vingt ans pour qu'il publie ce premier
roman étonnant.
Si l'on se fie à son
titre, Maryan Lamour dans le béton renvoie à l'univers du
polar et on imagine déjà le cadavre d'une femme coulé dans du
béton. Il y aura bien un flic dans ce roman et un tueur en série
mais Mathis prend bien soin de désarticuler totalement le genre,
d'en faire exploser les conventions. Prenons un exemple précis :
Marianne, l'héroïne du roman, vient de perdre sa meilleure amie
assassinée par ledit tueur. Elle rencontre alors Molard,
l'inspecteur, et ils se plaisent. L'enquête que le lecteur est en
droit d'attendre est alors complètement éludée et notre couple
disserte pendant une cinquantaine de pages sur le cinéma, aussi bien
John Ford et Aldrich que Jess Franco et le cinéma porno. Tout le
roman fonctionne de cette manière tempétueuse : quelques
événements dramatiques (notamment un viol très éprouvant qui
renvoie Irréversible de Gaspar Noé au rang d'aimable
bluette) et de longues digressions, le flux ininterrompu de
réflexions, de voix intérieures, de phrases cassées et d'éclats
sombres du Réel... La comparaison a souvent été faite mais on
songe régulièrement à Céline, notamment dans cette manière
unique qu'a Mathis de transcender le sordide des situations par une
écriture d'une rare puissance.
Car pour revenir au
titre, Maryan Lamour dans le béton renvoie évidemment au
décor dans lequel évolue les personnages : des banlieues
grises au début des années 80, des cinémas de quartier en voie de
disparition, des appartements glaciaux, des stations-services
grisâtres... Comme dans ses futurs romans (notamment
l'extraordinaire Fantômes de M.Bill), Mathis flirte à la
fois avec le fait-divers et l'instantanée pour restituer dans toute
sa complexité une époque révolue. Il sera donc beaucoup question
de musique dans ce livre, notamment des tubes diffusés à la radio.
Mais on y verra aussi les mutations d'une ville et les résidus d'une
civilisation qui paraît désormais très lointaine.
Dans ce décor, l'auteur
fait évoluer quelques personnages qu'il fait vivre avec beaucoup de
talent : Marianne, son héroïne, une actrice porno et une
maîtresse SM, un flic désabusé et quelques autres silhouettes plus
ou moins inquiétantes...
Une œuvre dense, parfois
asphyxiante mais qui remue en profondeur son lecteur et lui donne le
sentiment d'être face à de la grande littérature...
Libellés : Alexandre Mathis, Bouyxou, La Brigandine, roman policier