Lectures d'avril
Et c’est parti pour un petit panorama de mes lectures d’avril.
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19- Je suis la brume
(1974) de Pierre Suragne (Fleuve Noir. Collection Angoisse, 1974)
Comme je le disais dans ma note précédente, je réserve mes
chroniques sur les livres de la collection Angoisse pour un projet à venir.
Contentons-nous de souligner que ce roman du jeune Pierre Pelot séduit par son
atmosphère poisseuse et étrange.
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20- Andromaque, je
pense à vous ! (2011) de Jaime Semprun (L’encyclopédie des nuisances,
2011)
Il s’agit moins d’un ouvrage de Jaime Semprun que d’un
ensemble de fragments compilés après sa mort en 2010. Le texte qui donne son
titre au livre est un hommage de Semprun à sa mère à l’occasion du premier
anniversaire de sa disparition. On y retrouve le style étincelant et
mélancolique du grand essayiste et pamphlétaire. Suivent des Notes sur des
tableaux qui devaient servir de préface à une monographie sur le peintre Pascal
Vinardel et des notes passionnantes pour un essai sobrement intitulées Pourquoi
il n’y a pas d’art contemporain. Quelques aphorismes cinglants comme « Il
n’y a pas d’art social. La teneur
artistique s’évapore dans l’art socialement
dirigé » ou « Il est bon d’entrer dans la vie l’insulte à la
bouche… » font regretter amèrement que Semprun n’ait pu mener son
projet à bien…
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21- Relevé provisoire
de nos griefs contre le despotisme de la vitesse à l’occasion de l’extension des
lignes du TGV (1991) (L’Encyclopédie des nuisances, 1998)
En guise de postulat, rappelons que toutes les publications
de L’Encyclopédie des Nuisances méritent d’être lues. Même si ce court texte
fut édité, à l’origine, sous forme de brochure à l’occasion d’un événement bien
précis (l’extension des lignes du TGV), il n’a pourtant rien perdu de son
acuité dans la mesure où il dénonce les aménagements autoritaires de l’état et la soumission de plus en plus oppressante de l’individu à l’ordre
industriel. Du TGV à l’aéroport de Notre-Dame des Landes, rien n’a changé !
Au-delà de la dénonciation ponctuelle d’une manifestation
éclatante de ces nuisances, le pamphlet est une remise en question
particulièrement percutante d’une société industrielle qui organise chaque « moment »
de la vie de l’homme aliéné : « Les salariés perdent leur temps à
gagner leur vie, et les consommateurs perdent leur vie à gagner du temps. ».
A ce « despotisme de la vitesse » et à la séparation de plus en plus effective de l’individu,
les auteurs opposent dans la lignée des théories situationnistes une
réappropriation du temps vécu : « Quant à la seule croissance qui
mérite qu'on s'y arrête, c'est celle, qualitative, de l'existence humaine, la
seule qui permette de sortir de cette obscure préhistoire économique.»
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22- 15 ans de cinéma
suédois contemporain (2015) d’Aurore Berger Bjursell (Stilkr, 2015)
Je dirais de l’essai d’Aurore Berger Bjursell qu’il n’a qu’un
défaut : celui de renvoyer le lecteur à son inculture crasse en matière de
cinéma suédois contemporain. Du coup, je dois avouer que les parties consacrées
à des films précis sont un peu moins intéressantes dans la mesure où il n’est
pas forcément évident de saisir les références à des films qu’on n’a pas vus.
En revanche, la grande réussite du livre, c’est de donner une grande envie de
se plonger dans cette cinématographie relativement mal connue en France où l’on
en est resté à quelques grands noms (Sjöström, Stiller, Bergman…) et à quelques
figures de la « nouvelle-vague suédoise » (Widerberg, Sjöman…).
Aurore Berger Bjursell nous propose un panorama très complet
et très instructif de cette cinématographie, notamment en analysant les structures
étatiques qui régissent ce cinéma et en
étudiant ses particularités locales (chapitre passionnant).
De la même manière, plutôt que de proposer une analyse
détaillée des œuvres, l’auteur regroupe avec un bel esprit de synthèse les
thèmes principaux du cinéma suédois et les différents genres abordés, des films
pour la jeunesse aux polars dont la réputation est arrivée jusqu’à nous.
Un essai indispensable, donc, pour ceux qui voudrait tout
connaître de l’évolution du cinéma suédois d’aujourd’hui.
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23- François Mitterrand :
sa vie est un roman (2015) de Jean-Pierre Bouyxou (Chêne. Paris-Match 2015)
A l’occasion des 20 ans de la mort de Mitterrand, Paris-Match
a sorti ce beau livre consacré à l’ancien président de la République. Pour
Jean-Pierre Bouyxou qui signe les textes, c’est assurément un
travail de commande mais il s’acquitte de la tâche avec beaucoup de talent. Il
retrace le parcours assez chaotique de l’homme, de son enfance à ses deux
septennats en passant par les zones sombres de sa jeunesse (la francisque), son
arrivisme politique et sa double-vie amoureuse. Pour ma part, je n’ai pas la
moindre sympathie pour François Mitterrand et c’est donc avec un peu d’appréhension
que j’abordai ce livre. Mais Bouyxou n’est pas plus mitterrandien et évite avec
malice les pièges de l’hagiographie. Tout en soulignant parfois les mesures qui
font honneur à l’ancien président (la dépénalisation de l’homosexualité, l’abolition
de la peine de mort…), il parvient à égratigner l’image du politicard cynique,
menteur et opportuniste que fut aussi Mitterrand. Superbement illustré (« le
choc des photos », bien entendu), ce beau livre réjouira à la fois les
admirateurs de l’homme (mais en reste-t-il ?) tout comme ses adversaires
(car, après tout, c’est aussi un demi-siècle de l’Histoire de France que
retrace aussi Bouyxou).
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24- Ciné à mateurs (1980) de Claude Razat
(Editions du Bébé Noir. Collection Plaisir, 1980)
Deuxième roman de Jean-Pierre Bouyxou écrit pour les éditions
Bébé Noir et première franche réussite de l’auteur qui va ensuite enchaîner les
petits chefs-d’œuvre. Dans Ciné à mateurs,
un journaliste d’extrême-droite, Sidoine Aubry, se rend sur le plateau d’un
film pornographique pour y effectuer un reportage. Il se trouve que ce triste
sire, chevalier d’un ordre moral malmené, est également un épigone de Mark
Lewis, le cinéaste tueur du chef-d’œuvre de Michael Powell Peeping Tom. Avec beaucoup d’adresse, le livre mêle deux registres :
d’une part, une évocation amusée et extrêmement vivante des plateaux des films
pornos en cette fin des années 70 ; de l’autre, une intrigue criminelle
avec tueur en série et « snuff movie » qui évoque l’univers du giallo
(les meurtres, particulièrement sanglants, sont effectués à l’arme blanche).
Bouyxou connaît parfaitement l’univers du cinéma porno :
outre le fait qu’il a tourné deux films de ce genre (très recommandables, entre
parenthèses), il fut longtemps l’assistant de Jean Rollin qui apparaît ici sous
le patronyme transparent de Michel Radin (« Michel » comme Michel
Gentil, le pseudonyme que le cinéaste adopta pour tourner ses pornos, « Radin »
comme le péché mignon proverbial du cinéaste). Petite anecdote rigolote :
Bouyxou a laissé passer une coquille et appelle son personnage Jean Radin à la
page 60 du roman ! Les spécialistes reconnaîtront également quelques
figures du cinéma pornographique parmi les acteurs qui peuplent ce roman (j’ai
cru reconnaître un portrait peu flatteur de Barbara Moose). Mais ce qui séduit
surtout, c’est ce mélange de bonne humeur, d’esprit libertaire et séditieux qui
semble régner sur le plateau. On baise pour de l’argent et les films sont
tournés dans des conditions désastreuses mais il surnage pourtant un doux
parfum d’utopie et de volonté d’assouvir ses désirs. Le regard de Bouyxou sur ce petit monde est à
la fois tendre, lucide et amusé. Ce décor lui permet également d’introduire les
scènes hard du roman pour satisfaire
aux cahiers des charges de la collection sans pour autant qu’elles paraissent
plaquées artificiellement. Et l’intrigue policière lui permet également de
railler avec beaucoup d’humour les contempteurs de la pornographie, toujours
prompts à y voir le déclin d’une civilisation et à fantasmer un cinéma où l’on
tuerait vraiment devant la caméra les acteurs (on rappelle que l’existence des « snuff
movies » n’a jamais été avérée).
Si la scène finale est plutôt fruste, bien dans la tradition
de ce « polar de gare » que Bouyxou a toujours défendu, elle vient en
toute logique conclure un roman très réussi et parfaitement jubilatoire.
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25- La Clinique de la
mort (1974) de Dominique Rocher (Fleuve Noir, Collection Angoisse, 1974)
Un roman qui lorgne davantage sur le thriller à la Agatha
Christie que sur le fantastique. Mais nous en reparlerons plus tard…
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