Les abimes de la passion
Camille
(2005) de Léo Barthe (La Musardine, 2015)
Chaque roman de Léo
Barthe/Jacques Abeille (du moins, ceux que j’ai pu lire) est un mélange du plus
extrême des raffinements et de la plus abrupte des crudités. L’auteur parvient
ainsi à estomper la distinction oiseuse entre érotisme et pornographique pour
nous livrer des œuvres qui explorent les territoires les plus enfouis du désir
humain.
Comme dans La Demeure des lémures, le récit de Camille est un huis clos situé dans des
temps reculés (le début du XIXe siècle) et qui met en scène un jeune homme
vivant dans une vaste demeure abandonnée avec un oncle solitaire et reclus. L’arrivée
dans cet univers où tout semble figé d’un jeune homme prénommé Camille va
rompre cet équilibre.
D’emblée, Léo Barthe
instaure une atmosphère à la lisière du fantastique en nous plongeant dans un
décor oppressant où se disputent la chaleur et l’ennui. Gérard, le jeune homme,
passe son temps à lire et noue, lorsqu’il est enfant, une relation privilégiée
avec sa domestique jusqu’au jour où il la surprend dans les bras d’un homme et
que cette vision le plonge dans un effroi indélébile. L’arrivée de Camille
décuple le caractère électrique et suffoquant du climat général. Les deux
jeunes gens se rapprochent et si leur complicité est, dans un premier temps,
purement intellectuelle (Camille initie Gérard à certains auteurs), elle
devient assez rapidement charnelle même si le jeune invité du château refuse de
se déshabiller totalement au cours de leurs ébats.
J’invite tous mes lecteurs
qui voudraient découvrir ce livre totalement vierges à stopper leur lecture ici :
même s’il n’est pas vraiment surprenant et qu’il intervient vite, je vais
révéler un rebondissement important de l’histoire.
En effet, nous découvrirons
assez vite avec Gérard que Camille, en dépit de ses habits de garçons, est une
jeune femme qui va poursuivre son initiation, en refusant d’abord de se donner « naturellement »
puis en vivant une relation passionnée et sans retour possible avec le jeune
châtelain.
Si Léo Barthe ne recule
devant aucune description physiologique sans prendre de pincettes, le style
reste constamment superbe (« Oints d’un miel chaud, des rideaux de chair
se disjoignaient avec un voluptueux regret pour revenir palper de toute leur
fiévreuse avidité le brandon qui les séparait et les repoussait ») et c’est
une certaine flamme romantique qui embrase chaque page de ce roman. En faisant
de son jeune héros un peintre, l’auteur cherche à fixer dans le marbre de l’œuvre
d’Art ce qui constitue les atermoiements et états mouvants du sentiment
amoureux. D’un côté, Camille devient l’image idéalisée d’un amour absolu (dans
une perspective assez proche de « l’amour fou » surréaliste), de l’autre,
elle symbolise également les abimes du désir que Barthe ausculte avec la plus
grande verdeur. Si la relation entre Gérard et Camille est d’abord placée sous
le signe de l’androgynie, elle glisse tout doucement vers le sadomasochisme et
dérape même jusqu’à la zoophilie (un thème que Barthe traitera dans L’Animal de compagnie). Dans ces deux
dimensions peuvent surgir des éléments qui constituent les composantes les plus
enfouies du désir humain : d’un côté, l’animalité la plus brute et à l’opposé
du spectre, la mise en scène la plus
raffinée dans la cruauté.
Le roman oscille donc entre
une sorte de vision très romantique (noire) de l’amour et une espèce d’effroi
qui vient de chez Georges Bataille qui définissait l’érotisme comme « l’approbation
de la vie jusque dans la mort »
: « Oui, je la voyais,
fasciné d’horreur, s’acheminer avec délices, les yeux révulsés, les flancs
luisants de sueur et la face couleur de plâtre, vers un état paroxysmique qui
ressemblait à la mort. »
C’est cet équilibre entre
une sorte de désir de « pureté » et la noirceur indicible des abimes
de la passion qui fait l’intérêt de ce très beau roman.
Libellés : amour fou, érotisme, Jacques Abeille, Pornographie, surréalisme, zoophilie