La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

lundi, juin 02, 2008

Bibliothèque idéale n°22 : la nouvelle

Trois femmes (1924) suivi de Noces (1911) de Robert Musil (Le Seuil. Points. 1995)


Pour alimenter ma « bibliothèque idéale » dans la catégorie « nouvelle », je me suis dirigé vers Robert Musil, écrivain que j’avoue à ma grande honte n’avoir jamais lu et qui m’attire irrésistiblement.

Trois femmes et Noces sont deux recueils qui regroupent les cinq nouvelles que l’auteur de L’homme sans qualités a écrites dans sa vie. Pour être tout à fait franc, je n’y ai pas été sensible et j’avoue même avoir peiné pour arriver au bout de Noces. Voilà le type même d’ouvrage qu’on ne peut lire qu’à une table de travail (dans une bibliothèque, par exemple), le stylo à la main et en s’arrêtant dix minutes sur chaque page pour comprendre où l’auteur veut nous mener !

Je caricature un peu mais l’abord de ces nouvelles est malaisé. Les deux nouvelles de Noces ont pour héroïnes deux femmes qui courent après l’amour. Ou plus précisément un état très spécifique de ce sentiment que Musil tente d’approcher par cercles concentriques qui n’ont rien de narratifs (pour le dire sauvagement : il ne se passe rien d’un point de vue « dramatique »). Ces courts récits se composent donc d’une succession de descriptions très précises d’états d’âmes évoluant fugitivement, prenant soudainement une couleur différente. L’auteur s’approche au plus près des sensations les plus infimes en prenant en compte la manière dont « l’environnement » (le Réel auquel participe et dans lequel évoluent les personnages) influe sur les caractères.

Le résultat m’a paru plutôt hermétique mais peut-être m’y replongerai-je dans quelques années, à tête reposée…

Les trois nouvelles de Trois femmes inversent la donne et mettent en scène trois personnages masculins qui se heurtent à trois « énigmes » féminines. Mis à part un très beau passage métaphorique (celui de l’agonie d’un petit chat), j’avoue n’avoir pas plus adhéré à la portugaise qu’aux nouvelles de Noces et pour des raisons somme toute assez proches.

Par contre, et pour ne pas me montrer complètement borné, j’ai trouvé la nouvelle Tonka absolument remarquable. Si j’en crois la préface de Philippe Jaccottet, ce texte est en partie autobiographique et aborde un thème qui hantera également L’homme sans qualités.

Le narrateur est un jeune homme issu d’une famille aisée. Intellectuel, il est pourtant séduit par une jeune femme d’origine modeste, Tonka, avec qui il a une liaison. Elle finit par tomber enceinte alors que le jeune homme ne peut en aucun cas être le père de cet enfant. Pourtant, Tonka persiste à nier son infidélité…

Dans ce court récit fort émouvant, Musil joue sur les oppositions entre le masculin et le féminin, la culture et la nature, le doute et la foi, la raison et la croyance. L’homme cherche à imprégner sa marque sur le monde par la parole, l’intellect et la raison mais se heurte à l’énigme de la femme et à quelque chose qui le dépasse, un quelque chose « immense comme l’amour ». Au caractère assez velléitaire du narrateur s’oppose la force tranquille et naturelle de cette jeune fille qui l’aime et le mystère d’un amour inconcevable sans la confiance qu’il requière (croire en la fidélité d’une femme alors qu’elle est mystérieusement enceinte). L’écriture très méticuleuse de Musil m’a touché cette fois-ci car elle s’incarne dans des personnages qui m’ont paru mieux dessiné. C’est, à mon sens, la meilleure de ses nouvelles.

Quant à la dernière (la première du recueil), Grigia, elle aborde exactement le même thème que Tonka mais avec moins de force et de précision (l’homme qui soudain trouve l’amour chez une femme d’origine modeste et, par là, un nouveau sens à sa vie).

Peut-être aurais-je été plus sensible à ces nouvelles si j’avais mieux connu l’œuvre de Musil. Je vous redirai ça si je me lance un jour dans les désarrois de l’élève Törless ou l’homme sans qualités

NB : Voyez-vous des recueils de nouvelles indispensables pour notre bibliothèque idéale ? (Exemples ici)

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1 Comments:

Blogger losfeld said...

Je ne sais pas si je t'en ai déjà parlé vu qu'en ce moment j'en parle à peu près à tout le monde dans le monde réel, sur le net et ailleurs... Il faut lire La Ville, un recueil de nouvelles de jeunesse de Friedrich Dürrenmatt. Je n'ai pas lu un tel chef-d'oeuvre depuis des années et je pèse mes mots. Ce sont des nouvelles qui font penser à Kafka ou au cinéma expressionniste. Chaque image est restée gravée dans ma mémoire. Je ferai peut-être un post à mon retour sur le Carrefour, si je trouve les mots justes pour parler d'une telle merveille...

9:35 AM  

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