La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

samedi, avril 05, 2008

Bibliothèque idéale n°11 : la poésie française

La vie immédiate (suivi de La Rose publique et de Les Yeux fertiles et précédé de L’évidence poétique) de Paul Eluard (Gallimard. Poésie. 1974)


Peut-être n’est-ce pas le cas pour vous mais, pour ma part, je suis bien incapable de « commenter » de la poésie. En abordant cette catégorie de la « poésie française », j’en ai donc profité pour découvrir celle de Paul Eluard que je connaissais assez mal (mis à part le fameux Liberté que je ne peux pas supporter !)

Poésie surréaliste qu’Eluard définit plutôt bien dans L’évidence poétique : adopter le mot d’ordre de Lautréamont (« la poésie doit être faite par tous. Non par un »), s’inscrire dans la lignée des écrivains irréductibles à toute forme de pouvoir (bel hommage à Sade) et réinventer les notions de Bien et de Beau (« C’est ce bien, c’est ce beau asservis aux idées de propriété, de famille, de religion, de patrie, que nous combattons ensemble. »).

La vie immédiate est un exemple assez convaincant de cette poésie surréaliste libérée de toute contrainte, ne servant qu’elle-même et dont la force subversive vient de sa forme même (d’où les reproches adressés plus tard à Eluard par le grand Benjamin Péret lorsqu’il placera à nouveau sa poésie au service du drapeau et autres calembredaines du même style !)

Pour être tout à fait franc et même si j’ai une passion que je n’ai jamais cherché à dissimuler pour le surréalisme ; je trouve que la poésie d’Eluard a un peu vieilli et ne possède pas l’évidence et la drôlerie de celle d’un Péret (toujours lui !). Disons que le recours systématique à l’inconscient, aux images incongrues, aux rapprochements insolites a été tellement usé en 80 ans qu’on en viendrait presque à ne voir dans Eluard que la « version publicitaire » du surréalisme (celle qui abonde aujourd’hui).

J’exagère, bien entendu, mais c’est pour vous faire comprendre que ces pages marquées par les thèmes surréalistes (l’amour fou, l’onirisme, la révolte contre la dictature du sens…) ne sont pas celles que je préfère du mouvement.

Finalement, Eluard retrouve une seule fois la vigueur subversive de ses petits camarades, le temps d’une Critique de la poésie qui est le moment que je préfère :

« C’est entendu je hais le règne des bourgeois

Le règne des flics et des prêtres

Mais je hais plus encore l’homme qui ne le hait pas

Comme moi

De toutes ses forces.

Je crache à la face de l’homme plus petit que nature

Qui à tous mes poèmes ne préfère pas cette Critique de la poésie. »

Dont acte…

NB : Au niveau de la poésie française, pas de surprise quant à moi : j’adore (comme tout le monde !) Rimbaud, Baudelaire et, peut-être encore plus, l’immense comte de Lautréamont. J’aime également Tristan Corbière, Xavier Forneret et les merveilleux poèmes de Benjamin Péret.

J’apprécie aussi Verlaine et Apollinaire (diable, que je suis classique !). Et vous, qui placeriez-vous dans votre Bibliothèque idéale ?

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11 Comments:

Anonymous Anonyme said...

A Benjamin Perret je préférerais toujours Jacques Perret l'auteur du splendide "Caporal épinglé" qui est également un beau film et "Bande à part"...
En ces temps de rampant je conseillerais "Les trophées" de José Maria de Hérédia.

Bernard Alapetite

7:14 PM  
Anonymous Anonyme said...

Quant à moi je compléterais la bibliothèque idéale avec quelques volumes d'Antonin Artaud (L'ombilic des limbes/Le Pèse-nerfs/Pour en finir...)

8:48 PM  
Blogger losfeld said...

Pierre Péret... Non je déconne, je reste aussi sur Benjamin. Je rajouterais aussi Beckett pour ses trop rares poèmes, Breton poir "L'union libre", le seul poème qui m'ait littéralement fasciné, Michaux, Pessoa, Charles Cros... Que ces lectures sont anciennes, tu m'as donné envie de relire de la poésie tiens...

3:00 AM  
Anonymous Anonyme said...

Sans hésitation aucune :
"et le veilleur s'en va la casquette sur la
tête
l'oiseau blessé dans le creux de la main
le chat de gouttière tient la lanterne
et il leur montre le chemin."
Et pour mémoire :
"Gloire à qui n'ayant pas d'idéal sacrosaint
Se borne à ne pas trop emmerder son voisin"
"Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues."
"Il y a là-bas cette fille qui enfle son souffle et ses jupes
Pareille à une corolle en suspens
Plus elle danse, plus elle flambe..."
"Or dansions sur la corde raide
François, mes joyeux compagnons,
Dans le duvet d'une vie tiède
Endormys comme bons couillons."

Sujet inépuisable...

10:20 AM  
Anonymous Anonyme said...

Bernard : tu m'intrigues avec Hérédia que je ne connais que de nom. Faudra que j'aille y jeter un œil (je connais surtout ses filles puisque l'une d'elle fut la maîtresse de Pierre Louÿs et la femme d'H de Regnier. C'est cette femme, ses deux soeurs et leur mère qui inspira à Louÿs le délicieux "Trois filles de leur mère"...

Rafaël : J'aime assez Artaud mais j'avoue ne pas connaître sa poésie.

Losfeld : Même si je ne le place pas au niveau de Benjamin, je reconnais avoir une vraie sympathie pour Pierre Perret et j'adore certaines de ses chansons ("le café du canal" par exemple). Breton, c'est comme Artaud : je connais les romans et les essais mais je n'ai pas lu sa poésie. Michaux : je découvre avec bonheur. Quant à Pessoa, comme il n'est pas français, nous en parlerons peut-être plus tard...

Vincent : oui, moi aussi j'aurais pu citer sans peine Prévert et Brassens...

7:03 PM  
Anonymous Anonyme said...

De la famille Hérédia Léon Daudet en dresse un portrait croquignolet (ah le journal de Léon Daudet avec les chroniques de Vialatte ce sont de véritables remèdes contre la tristesse. Pour en revenir au Trophées c'est dans la ligne de le légende des siècles de Hugo que j'aime beaucoup aussi.

Bernard Alapetite

2:55 PM  
Anonymous Anonyme said...

J'ai toujours eu quelques doutes sur Heredia. Personnellement, j'aime le lire de temps à autre, mais il devient écoeurant à trop s'y plonger. Je trouve qu'il évoque des images lourdes de lumières excessivement brillantes, figées et, à la longues, mortes.
Je lui préfère de loin le musical et plus subtil "La gloire des rois" de Saint-John Perse, en particulier "Amitié du prince".

6:17 PM  
Blogger Dr Orlof said...

Daudet, Vialatte : je reconnais bien en toi l'homme de goût! Te souviens-tu dans quel tome de son journal Léon Daudet évoque Hérédia? J'aimerais m'y replonger...

7:04 PM  
Anonymous Anonyme said...

Du Baudelaire, bien sûr (surtout le Spleen de Paris). Puis Apollinaire, Verlaine, Ponge, Tristan Corbière...

8:58 PM  
Anonymous Anonyme said...

Et Ferré dans tout ça ? ;-)

La poésie contemporaine ne chante plus. Elle rampe.
Elle a cependant le privilège de la distinction, elle ne fréquente pas les mots mal famés, elle les ignore.
Cela arrange bien des esthètes que François Villon ait été un voyou.
On ne prend les mots qu'avec des gants: à "menstruel "on préfère "périodique ", et l'on va répétant qu'il est des termes médicaux qui ne doivent pas sortir des laboratoires ou du codex.
Le snobisme scolaire qui consiste à n'employer en poésie que certains mots déterminés, à la priver de certains autres,
qu'ils soient techniques, médicaux, populaires ou argotiques, me fait penser au prestige du rince-doigts et du baise-main.
Ce n'est pas le rince-doigts qui fait les mains propres ni le baise-main qui fait la tendresse.
Ce n'est pas le mot qui fait la poésie, c'est la poésie qui illustre le mot.
L'alexandrin est un moule à pieds.
On n'admet pas qu'il soit mal chaussé, traînant dans la rue des semelles ajourées de musique.
La poésie contemporaine qui fait de la prose en le sachant, brandit le spectre de l'alexandrin comme une forme pressurée et intouchable.
Les écrivains qui ont recours à leurs doigts pour savoir s'ils ont leur compte de pieds ne sont
pas des poètes: ce sont des dactylographes.
Le vers est musique; le vers sans musique est littérature. Le poème en prose c'est de la prose poétique.
Le vers libre n'est plus le vers puisque le propre du vers est de n'être point libre.
La syntaxe du vers est une syntaxe harmonique - toutes licences comprises.
Il n'y a point de fautes d'harmonie en art; il n'y a que des fautes de goût.
L'harmonie peut s'apprendre à l'école. Le goût est le sourire de l'âme;
il y a des âmes qui ont un vilain rictus, c'est ce qui fait le mauvais goût.
Le Concerto de Bela Bartok vaut celui de Beethoven.
Qu'importe si "l'alexandrin" de Bartok a les pieds mal chaussés, puisqu'il nous traîne dans les étoiles !
La Lumière d'où qu'elle vienne EST la lumière.
La poésie est une clameur. Elle doit être entendue comme la musique.
Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie.
Elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l'archet qui le touche
Nous vivons une époque épique qui a commencé avec la machine à vapeur et qui se termine par la désintégration de l'atome.
L'énergie enfermée dans la formule relativiste nous donnera demain la salle de bains portative
et une monnaie à piles qui reléguera l'or dans la mémoire des westerns...
La poésie devra-t-elle s'alimenter aux accumulateurs nucléaires et mettre l'âme humaine et son désarroi dans un herbier ?
Nous vivons une époque épique et nous n'avons plus rien d'épique.
A New York le dentifrice chlorophylle fait un paté de néon dans la forêt des gratte-ciel.
On vend la musique comme on vend le savon à barbe. Le progrès, c'est la culture en pilules.
Pour que le désespoir même se vende, il ne reste qu'à en trouver la formule. Tout est prêt: les capitaux, la publicité, la clientèle.
Qui donc inventera le désespoir ?
Dans notre siècle, il faut être médiocre, c'est la seule chance qu'on ait de ne point gêner autrui.
L'artiste est à descendre, sans délai, comme un oiseau perdu le premier jour de la chasse.
Il n'y a plus de chasse gardée, tous les jours sont bons.
Aucune complaisance, la société se défend.
Il faut s'appeler Claudel ou Jean de Létraz, il faut être incompréhensible ou vulgaire, lyrique ou populaire,
il n'y a pas de milieu, il n'y a que des variantes.
Dès qu'une idée saine voit le jour, elle est aussitôt happée et mise en compote, et son auteur est traité d'anarchiste.
Divine Anarchie, adorable Anarchie, tu n'es pas un système, un parti, une référence, mais un état d'âme.
Tu es la seule invention de l'homme, et sa solitude, et ce qui lui reste de liberté. Tu es l'avoine du poète.
A vos plumes poètes, la poésie crie au secours, le mot Anarchie est inscrit sur le front de ses anges noirs;
ne leur coupez pas les ailes !
La violence est l'apanage du muscle, les oiseaux dans leurs cris de détresse empruntent à la violence musicale.
Les plus beaux chants sont des chants de revendication.
Le poète d'aujourd'hui doit appartenir à une caste, à un parti ou au Tout-Paris.
Le poète qui ne se soumet pas est un homme mutilé. L'embrigadement est un signe des temps. De notre temps.
Les hommes qui pensent en rond ont les idées courbes. Les sociétés littéraires sont encore la Société.
La pensée mise en commun est une pensée commune.
Mozart est mort seul, accompagné à la fosse commune par un chien et des fantômes.
Renoir avait les doigts crochus de rhumatismes. Ravel avait une tumeur qui lui suça d'un coup toute sa musique.
Beethoven était sourd. Il fallut quêter pour enterrer Béla Bartok.
Rutebeuf avait faim. Villon volait pour manger.
Tout le monde s'en fout...
L'Art n'est pas un bureau d'anthropométrie !
La Lumière ne se fait que sur les tombes...
Avec nos avions qui dament le pion au soleil, avec nos magnétophones qui se souviennent de "ces voix qui se sont tues", avec nos âmes en rade au milieu des rues, nous sommes au bord du vide, ficelés dans nos paquets de viande, à regarder passer les révolutions.
Le vers doit faire l'amour dans la tête des populations.
A l'école de la poésie, on n'apprend pas: on se bat.
Place à la poésie, hommes traqués !
Mettez des tapis sous ses pas meurtris, accordez vos cordes cassées à son diapason lunaire, donnez-lui un bol de riz, un verre d'eau, un sourire, ouvrez les portes sur ce no man's land où les chiens n'ont plus de muselière, les chevaux de licol, ni les hommes de salaires.
N'oubliez jamais que le rire n'est pas le propre de l'homme, mais qu'il est le propre de la Société.
L'homme seul ne rit pas; il lui arrive quelquefois de pleurer.
N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres.
Je voudrais que ces quelques vers constituent un manifeste du désespoir, je voudrais que ces quelques vers constituent pour les hommes libres qui demeurent mes frères, un manifeste de l'espoir.

Préface de "Poète...vos papiers !" 1956

Deux albums ne pas manquer: "Ferré chante Verlaine et Rimbaud", "Ferré chante Aragon".

De pur joyaux...

(désolée pour la longue citation...)

7:29 PM  
Blogger gludure said...

Connaissez vous PAUL VALET? C'est la poésie du mec en cabane et qui se jette contre les barreaux, du sanglier traqué, de l'enfant brimé et du guerillero. C'est beau comme un electrocardiogramme qui s'essouffle mais lutte encore, ca te fait sentir invincible et te donne des envies de revoltes et d'incendies.Paul Valet, Cioran, ce vampire, l'adorait.

12:20 AM  

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