La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

vendredi, juin 13, 2008

Bibliothèque idéale n° 25 : Mémoires et autobiographies

L’origine (1975) de Thomas Bernhard (Gallimard. L’imaginaire. 2007)


Lorsqu’on aborde le genre littéraire des mémoires et de l’autobiographie, on se trouve souvent confronté à d’impressionnants pavés. C’est souvent passionnant (je vous recommande absolument les sublimes Mémoires de Casanova) mais il faut prévoir un certain laps de temps pour en venir à bout (voir le Cardinal de Retz ou Chateaubriand).

Surprise ! L’origine de Thomas Bernhard est un récit très court (environ 160 pages), sec comme un coup de trique et d’une impitoyable puissance d’évocation. Cela faisait un petit moment que je voulais me mettre à cet auteur autrichien, sans doute l’un des plus célèbre de l’après-guerre, et je n’ai pas été déçu par cette brève autobiographie où l’auteur se remémore ses années au lycée pendant la seconde guerre mondiale à Salzburg (autobiographie qu’il poursuivra avec La cave, le souffle et d’autres encore).

« La ville est peuplée de deux catégories de gens : les faiseurs d’affaires et leurs victimes. ».

La première phrase du récit nous met tout de suite dans le bain : L’origine sera un livre de haine, de rancoeurs et de douleurs.

Haine contre une ville réputée pour son patrimoine culturel mais que l’auteur qualifie d’invivable et où il voit une profonde dénaturation de l’être humain. Haine également contre l’institution scolaire et l’internat où il dut subir les réprimandes de directeurs tyranniques. Rancœur contre une famille qui l’a abandonné (Bernhard n’a jamais connu son père) et qui ne s’estompe que lorsque l’écrivain évoque la figure du grand-père libertaire qui l’a élevé.

L’origine, ce sont également les souvenirs d’une douleur constante d’un adolescent pris entre ses envies suicidaires et le chaos de l’Histoire qui traverse le récit le temps de quelques pages hallucinées sur les bombardements de la ville autrichienne.

Le livre est divisé en deux parties compactes. La première, intitulée Grünkranz, se situe justement pendant la guerre et la direction nationale-socialiste de l’internat. La seconde, Oncle Franz, raconte l’évolution de cet internat suite à la chute du régime et l’arrivée au lycée des curés. C’est d’ailleurs le même dégoût qui anime Bernhard envers les nazis et les catholiques qu’il assimile non pas de manière caricaturale mais en se fiant à l’impression que ces personnes produisirent sur son esprit adolescent. Pour le jeune homme souffrant qu’il était, aucune différence entre les méthodes nazies et catholiques, entre l’hommage à Hitler avant de manger ou les bénédicités, les cérémonies officielles du régime et la messe du soir…

« Intellectuellement coincés entre le catholicisme et le national-socialisme nous avons grandi et nous avons finalement été broyés entre Hitler et Jésus-Christ en tant que reproduction de leurs images, faites pour abêtir le peuple. »

Le style de Bernhard est le ressassement haineux : sa prose est incroyablement compacte (ouvrez un de ses livres au hasard : il n’y a jamais un alinéa !) et les phrases sont souvent répétées plusieurs fois avec de petites modifications de tournures. Ces répétitions pourraient tourner à l’afféterie si elles ne formaient pas l’essence d’un style mêlant la douleur au dégoût, le fiel au désespoir.

Il y a dans L’origine des passages très beaux où l’asocial Bernhard se prend d’affection pour les « réprouvés » du lycée : un élève handicapé et un professeur particulièrement laid enseignant, qui plus est, la géographie ! (« Seuls m’ont vraiment intéressé la géographie en tant que matière totalement inutile, le dessin et la musique, … »). Je ne résiste pas au plaisir de vous citer ce passage qui me paraît d’une lucidité absolue sur l’ostracisme subit par les êtres qui s’éloignent, pour une raison ou une autre, de la norme d’une communauté donnée :

« Ici également, au lycée, comme partout où les êtres humains sont ensemble et surtout où ils sont en masse aussi terrifiantes que dans les écoles, la souffrance d’un individu ou la souffrance de quelques individus, comme la souffrance de l’infirme de l’architecte ou celle du professeur de géographie, ne devenaient pour eux rien que des sujets de leur amusement abject- témoignage d’une perversité répugnante. (…) Dans une pareille communauté, dans un pareil établissement, on cherche d’ailleurs aussitôt une victime et on la trouve d’ailleurs toujours. (…) Là où il y a des êtres humains, on fait toujours de l’un d’eux un objet de dérision et une source inépuisable de rires moqueurs, que ces rires soient bruyants ou légers, qu’ils soient les plus sournois, donc les plus silencieux. La société en tant que communauté n’a point de cesse jusqu’à ce que l’un parmi beaucoup ou parmi un petit nombre soit choisi comme victime et à partir de ce moment devienne toujours, à toute occasion, celui que le doigt de chacun désigne et transperce. La communauté en tant que société trouve toujours le plus faible et l’expose sans scrupule à ses rires et à la torture toujours nouvelle, de plus en plus terrible, de ses moqueries et de ses sarcasmes. C’est en imaginant et en inventant la torture toujours nouvelle et toujours plus blessante de ces moqueries et de ces sarcasmes qu’elle se montre la plus inventive. »

Comme vous pouvez le constater, le ton de l’auteur n’est pas à l’optimiste ! Mais ce court récit autobiographique désespéré se révèle, au bout de compte, assez magistral et toujours poignant.

A vous de me conseiller des mémoires et autobiographies pour notre bibliothèque idéale…

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4 Comments:

Blogger mathieu said...

J'ai terminé il y a quelques semaines l'Autobiographie de John Cowper Powys.
D'abord je voulais te remercier car c'est en lisant une de tes critiques que j'ai découvert ce merveilleux écrivain. Merveilleux, oui c'est bien le mot qui désigne cette autobiographie, la plus belle que j'ai jamais lue. Powys m'a littéralement envoûté, que ce soit par le profond sentiment de vérité s'échappant de ses pages que par ses descriptions magnifiques des paysages du sud de l'Angleterre ou encore par un style magnifiant des propos à la fois émouvant et drôles.
John Cowper Powys m'a profondément touché, à un point jusqu'alors inconnu pour moi.
Je ne peux que te conseiller de la lire au plus vite.
Mathieu

9:54 PM  
Anonymous Anonyme said...

Eh bien, voilà un commentaire qui me fait rudement plaisir. Content de t'avoir fait découvrir Powys que j'aime énormément. Le paradoxe, c'est que je ne suis jamais parvenu à mettre la main sur cette "Autobiographie" que je ne connais pas et que je souhaite à tout prix lire...

3:33 PM  
Anonymous Anonyme said...

Il faut que je rattrape un peu mon retard sur cette bibliothèque idéale. Côté mémoires, je vais m'en tenir au cinéma. La plupart des autobiographies sont moyennes, voire pire. Heureusement, j'ai enfin lu cette année celle d'Ingmar Bergman, "Lanternae Magicae" qui est superbe et que je ne saurais trop recommander.

10:00 PM  
Blogger Dr Orlof said...

J'ai lu un autre livre de Bergman (le titre ne me revient pas mais c'est celui où il revient sur ses films) et c'est effectivement lumineux.
Nous avons déjà parlé de "mon dernier soupir" de Don Luis qui est aussi indispensable...
Ca me fait penser qu'une des seules "correspondance" à laquelle j'ai totalement adhéré, c'est celle de Truffaut que je trouve magnifique...

9:02 AM  

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