La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mardi, juin 10, 2008

Bibliothèque idéale n°24 : Distorsions

La disparition (1969) de Georges Perec (Gallimard. L’imaginaire. 1993)


Par « distorsions », il faut entendre ici tous les textes littéraires qui mettent de côté le récit traditionnel pour jouer sur la forme par divers moyens (les calligrammes d’Apollinaire, les collages surréalistes, les pastiches, le nonsense…).

Le hasard de mes découvertes aux puces (50 centimes le livre !) m’a poussé vers Perec alors que j’affectionne bien plus certains auteurs dans le genre (Jarry, Topor, Fourier, Picabia, Sternberg…).

Tant pis ! Je me suis toujours dis qu’il fallait bien, un jour, s’atteler à lire La disparition. Et pour être tout à fait franc, ce ne fut pas une partie de plaisir (loin de là !).

Nul n’ignore désormais le dispositif du roman où la disparition évoquée en titre renvoie à celle de la voyelle « e » dont Perec s’est dispensé pour écrire son livre.

300 pages sans e, il fallait le faire et je ne conteste en aucun cas la virtuosité de l’écrivain qui s’amuse comme un petit fou à contourner les difficultés (un personnage se met sur son « vingt-huit plus trois » afin d’éviter le piège !).

Mais ce qui aurait pu être réjouissant dans le cadre d’un exercice de style à la Queneau pendant une page devient très rapidement fastidieux et d’un incommensurable ennui.

Le récit n’est qu’un simple prétexte à l’exhibition d’un savoir-faire assez vain où Perec joue souvent à épuiser tous les possibles d’un champ lexical (ex : les animaux. Ca donne quelque chose comme : « Il voyait un vautour qui planait, haut dans l’azur. Tout autour du lit, un ramas d’animaux- gros rats noirs, mulots, souris, campagnols, cafards, crapauds, tritons- faisait faction, à l’affût du corps raidi, chair à charognards. Un faucon fondrait sur lui. Un chacal accourrait du fond du Sahara. »)

Tout le livre est construit de cette manière et sent un peu trop la liste de mots préparés par avance.

Je ne dis pas que certains passages ne sont pas assez drôles (j’aime plutôt bien les pastiches des poésies de Hugo, Mallarmé et du Voyelles de Rimbaud :

« A noir (Un blanc), I roux, U safran, O azur :

Nous saurons au jour dit ta vocalisation :

A, noir carcan poilu d’un scintillant morpion

Qui bombinait autour d’un nidoral impur, ») mais l’ensemble est bien trop long et surtout très lassant.

Je sais que certains exégètes ont vu dans ce livre une métaphore sur la disparition de la famille de l’écrivain dans les camps et une manière détournée de parler de la Shoah mais cette interprétation me laisse assez perplexe.

Pour moi, ça reste un exercice de style qui, contrairement à certains écrits dans le cadre de l’OULIPO, s’avère bien trop long et surtout, complètement vain…

NB : A vous de jouer : quels livres de « distorsions » placeriez-vous de toute urgence dans votre bibliothèque idéale ?

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6 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Ce n'est pas un livre que je conseille mais une émission de radio chaque semaine le dimanche pendant plus d'une heure sur France culture: Les papous dans la tête, et il y a un podcast...

Bernard Alapetite

7:27 AM  
Blogger Dr Orlof said...

Bon choix Bernard, qui nous ramène d'ailleurs à l'OULIPO et au collège de pataphysique...

8:17 PM  
Anonymous Anonyme said...

Je suis entièrement d'accord avec toi, et je voudrais souligner qu'il faut aujourd'hui un certain courage pour oser émettre quelques réserves, voire de sérieuses réserves, sur la valeur littéraire de cet interminable pensum. Eh bien oui, La Disparition n'est qu'un épate-bourgeois, ou plutôt un épate-khâgneux, de plus. Un objet esthétique qui ne fascine que par l'énormité du tour de force qui le constitue... Mais si on explique qu'on n'aime pas cela, on se fait très vite taxer de surdité à l'art moderne, de penchant réactionnaire, etc. Dans ma bibliothèque réelle, il y a aussi « Nombres » et « Lois » de Philippe Sollers, deux savants dispositifs textuels où l'auteur s'amuse, entre autres exercices de haute voltige, à pasticher des passages de Freud et de Hegel (que le lecteur se doit d'identifier du premier coup, sinon bonjour le mal de tête). Ne méritent le détour que pour la performance intellectuelle qu'ils exigent de leurs lecteurs.

1:11 AM  
Blogger Dr Orlof said...

Pour moi, Perec (je parle de "la disparition") comme Duras ou "Robe-Grillée", ce n'est pas de la littérature moderne mais le pur spectacle de la modernité. Un recyclage des formes héritées des vrais avants-gardes (Dada, surréalisme...) adapté à la consommation culturel (un peu le même phénomène en littérature que le "pop art" en peinture).
Je n'ai pas lu les bouquins que tu cites de l'ignoble Sollers mais je ne doute pas un seul instant qu'ils relèvent de la même catégorie...

10:05 PM  
Anonymous Anonyme said...

Je te trouve bien sévère avec Duras, qui a écrit une poignée de très bons romans. Bien sûr pas le bête et caricatural Moderato cantabile, mais l'étonnant Ravissement de Lol V. Stein, par exemple...
Quant à l'ignoble Sollers, je reste sidéré par sa maîtrise du style et de la langue dans la plupart de ses livres, qualité devenue très très rare aujourd'hui (sur ce plan-là, il est à cent coudées au-dessus d'un Philippe Claudel !). Cette maîtrise demeure à mes yeux le minimum exigible de tout écrivain qui se respecte - et qu'on peut respecter comme écrivain... Mais je ne devrais pas dire des choses pareilles, qui me feront passer pour un infâme réactionnaire !
Enfin, je dois avouer que je ne partage pas ton enthousiasme pour Breton et pour ses compères surréalistes. Le texte d'Éluard que tu as cité un jour ne m'a pas semblé manifester d'autre vigueur que celle d'un masturbateur de l'imprécation boutonneuse qui va à la ligne après un nombre aléatoire de mots enfilés, nullement celle de la poésie (« C’est entendu je hais le règne des bourgeois / Le règne des flics et des prêtres / Mais je hais plus encore l’homme qui ne le hait pas / Comme moi », etc.). Et j'aime Lautréamont et ses parodies potaches moins que Baudelaire, que Rimbaud ou qu'Hugo.
Mais je ne veux pas insister davantage sur les divergences qui existent entre nos goûts et nos approches respectives de la littérature. Je préfère rappeler l'intérêt et le plaisir de lecture que suscitent en moi tous tes textes, qu'ils portent sur la littérature ou sur le cinéma, et mon impatience à lire chaque nouvelle critique que tu mets en ligne.

12:39 AM  
Blogger gludure said...

Dans la categorie textes distordus, la prose d'Evguenie Sokolov de Gainsbourg mérite un sérieux coup d'oeil. "Vente, Sokolov, sur ce monde luxueux et dérisoire, et quand dans ces miroirs brisés par tes tracés se dessinent en surimpression les nymphettes se refaisant les lèvres, que ton ubiquité soit le reflet multiplié des vices de la terre"

9:27 PM  

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