La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, juillet 15, 2007

La comédie du langage

La cantatrice chauve suivi de La leçon (1950) d’Eugène Ionesco (Gallimard. Folio.2005)

Nous connaissons tous l’adage d’Adorno selon lequel l’Art, et en particulier la poésie, ne serait plus concevable après Auschwitz. De fait, après la seconde guerre mondiale, la littérature va entrer dans ce que l’on a appelé « l’ère du soupçon », marquée par une certaine déréliction et la désertion du sens.
Le théâtre n’échappera pas à la règle et c’est ainsi que va se développer ce qu’on a regroupé de façon un brin arbitraire sous l’étiquette de théâtre de l’absurde. Pourtant, il me semble qu’il subsiste de grosses différences entre le dernier des grands tragiques (Beckett) et les pièces du sieur Ionesco que j’aime plutôt bien mais sans réelle passion. Il faudra un jour que je développe plus longuement mes réticences pour certains courants dits « d’avant-garde » d’après-guerre (le nouveau roman , le pop art… » ) qui ne me paraissent n'être que du vilain recyclage des vrais novateurs d'antan. Recyclage publicitaire ôtant de surcroît toute la charge subversive des précurseurs.
Ionesco fait un peu partie de cette mouvance et il est à Beckett ce que le sinistre Warhol et la sénile Duras sont à Duchamp et Picabia !
Néanmoins, je situe l’auteur des Chaises un peu plus haut en raison de l’humour constant dont témoignent ses pièces et de cette capacité rare à s’inscrire dans un courant assez rare en France pour être signalé : le nonsense.
La cantatrice chauve reste sa pièce la plus célèbre (je ne sais pas depuis combien de temps elle est jouée à la Huchette sans interruption mais ça commence à faire!) et la plus caractéristique de son art. Le dramaturge met en scène une soirée classique entre deux couples anglais appartenant à la bourgeoisie. Les Smith et les Martin échangent des propos fort banals, se font interrompre par un capitaine des pompiers avant de se disputer pour des broutilles.
Dans cette manière qu’a l’auteur de faire dire à ses personnages les lieux communs les plus plats, d’agencer les formules toutes faites de la manière la plus absurde qui soit (les Martin, entamant une conversation très courtoise pour finir, au bout du compte, par réaliser qu’ils sont mari et femme), on songe un peu aux derniers films de Luis Buñuel (le charme discret de la bourgeoisie, le fantôme de la liberté). Comme chez le grand cinéaste, Ionesco prend les clichés au pied de la lettre et c'est la manière de les mettre en scène qui, soudain, fait que le sens fait défaut.
La fin de la pièce, succession sans logique de proverbes et d’adages remis au goût du jour (dont le fameux «Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux ! ») est un exemple frappant de cette perte de sens totale dont est frappé le langage, réduit à véhiculer les pires des platitudes.
Cette manière de vider la langue de son sens est également un moyen, pour Ionesco, de dresser de cruelles satires. Ainsi en est-il de cette Leçon (que je préfère presque à la Cantatrice chauve) où un maître de plus en plus cruel inculque d’ineptes principes à une élève de plus en plus amorphe et malmenée. Là encore, toute tentative de transmission du sens par le langage se révèle inopérante. Les leçons se réduisent à des additions que la jeune fille parvient à résoudre tout en se montrant incapable d’effectuer la moindre soustraction. L’éducation n’est ici que répétition par cœur de leçons toute faite et absurdes, sans le moindre raisonnement logique (de fait, c’est à un cours de philologie que se livre de façon symptomatique le professeur).
Sur la fin, le pédagogue endosse même un uniforme qui pourrait ressembler à celui d’un nazi. Une inquiétude enveloppe alors la pièce qui semble nous dire que toutes les leçons du passé ne servent finalement à rien et ne nous conduisent qu’à des catastrophes. Les structures circulaires des deux pièces (la fin annonçant le recommencement de la même chose) montre à quel point l’univers est désormais régi par des lois absurdes destinées à se répéter sans arrêt.
C’est intéressant même si je trouve que tout cet univers (mais là, je parle plutôt des autres pièces d’Ionesco car ces deux là font partie des meilleures) finit par tourner en rond (si j’ose dire) et qu’il n’est pas dénué d’une certaine gratuité, content qu’il est de ne proposer aucune intervention sur le monde.
Je le redis : Ionesco m’est néanmoins plus sympathique que beaucoup d’autres parce que ses pièces, je n’ai pas assez insisté là-dessus, sont très drôles et que cette manière de déshabiller les clichés lui permet d'accoucher d’un style nonsensique assez inédit en nos francophones contrées…

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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Rien lu d'autre que LA CONTATRICE CHAUVE et donc LA LECON de Ionesco... mais effectivement, ce coté absurde et l'humour omniprésent font que j'y suis retourné à plusieurs reprises ces dernières années ;-)

SysTooL

5:24 PM  
Anonymous voyance mail gratuite said...

Je viens de découvrir votre blog aujourd’hui et je pense que je vais passer plusieurs jours dessus.

2:03 PM  

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