La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, juillet 01, 2007

De la musique avant toute chose

Monsieur Croche et autres écrits (1901-1917) de Claude Debussy (Gallimard. L’imaginaire. 1998)

Parallèlement à sa carrière de musicien, Debussy s’exerça également à l’exercice de la critique et livra dans divers journaux (essentiellement dans La revue blanche, Musica et Gil Blas) un certain nombre de textes où se révèlent son indépendance d’esprit et sa verve sarcastique. Le recueil proposé par Gallimard est d’autant plus intéressant qu’ont été adjoints à la version originelle de Monsieur Croche, antidilettante une série d’interviews où le compositeur évoque ses conceptions musicales et offre un nouvel éclairage à ses chroniques critiques.

Pour quelqu’un qui ne connaît rien à la musique « classique » (appelons la comme cela pour plus de commodité) comme c’est le cas de votre serviteur (je n’en suis pas fier, croyez le bien !) ; il serait presque plus intéressant d’attaquer la lecture de ce livre par cette partie « entretiens ». Debussy s’y livre plus clairement et on comprend alors mieux ses conceptions : volonté de s’inscrire dans la lignée de la musique classique « française » (Rameau est sans doute le musicien qu’il cite avec le plus d’admiration) et de s’opposer à la fois au romantisme (Berlioz) et post-romantisme allemand (Wagner, Strauss) comme aux véristes italiens ; désir de composer une musique « impressionniste » (à propos de Pelléas et Melisandre : « Ma mélodie est intentionnellement ininterrompue, sans nulle trêve, car elle vise à reproduire la vie elle-même ») qui traduise le plus possible les couleurs et les lumières de la vie.

C’est également dans ses entretiens qu’il explique ses rudes coups de griffes contre le prix de Rome et ses jugements parfois très sévères contre Wagner et Gluck.

Les articles de Monsieur Croche m’ont, je dois l’avouer, fait un petit peu lorsque j’ai commencé de les lire. En ne connaissant pas grand-chose, je le répète, à la musique (si ce n’est le nom des compositeurs) ; j’avais un peu peur de me retrouver devant des textes spécialisés totalement hermétiques puisque renvoyant à des œuvres ne me parlant pas.

Or si Debussy évoque, effectivement, des œuvres qui me sont inconnues ou partiellement connues (je connais quand même certaines symphonies de Beethoven, quelques ouvertures d’opéra de Wagner et la chevauchée des Walkyries, merci Coppola !) ; la verve du compositeur empêche la lassitude de s’installer. Debussy n’a rien d’un critique « professionnel », se perdant dans les considérations techniques des musicologues et des universitaires. Son regard est, également, impressionniste et délicieusement iconoclaste.

Prenons l’exemple de Wagner, puisqu’il s’agit sans doute du musicien le plus cité dans les pages de Monsieur Croche : si Debussy se montre parfois très persifleur et très critique envers l’auteur de la Tétralogie, c’est moins contre l’artiste (qu’il respecte totalement et dont il n’hésite pas à reconnaître le génie) que contre une influence qu’il juge néfaste et contre la déférence religieuse dont font preuve ses thuriféraires. S’il cherche à puiser son inspiration dans une lignée « française », c’est moins par nationalisme (même si certains propos sont malheureusement un peu trop cocardiers mais peuvent se comprendre à l’époque) que pour se débarrasser des conventions de son époque et retrouver une véritable liberté en musique.

Féroces, les textes de Debussy sont aussi assez drôles car il cultive joyeusement son ironie et a le sens de la formule sarcastique (Mendelssohn qualifié de « notaire élégant et facile »). De plus, le musicien dépasse souvent le cadre du compte-rendu critique pour livrer des considérations sur l’art qui n’ont pas vieillies : « Beaucoup trop de gens s’occupent d’art à tort et à travers. Comment, en effet, empêcher quiconque se supposant quelque éducation artistique, de se croire immédiatement apte à pouvoir faire de l’art ? C’est ce qui me fait craindre qu’une diffusion d’art trop généralisée n’amène qu’une plus grande médiocrité. Les belles floraisons de la Renaissance se sont-elles jamais ressenties du milieu d’ignorance qui les a vues naître ? Et la musique, quoiqu’elle ait dépendu de l’Eglise ou d’un Prince, en a-t-elle été moins belle ? En vérité, l’amour de l’art ne se donne pas plus qu’il ne s’explique. »

De la même manière, il fustige avec une incroyable lucidité le relativisme en art au point de souhaiter une crise « car, si la caractéristique de notre époque est dans la plus grande liberté, son acceptation de toutes espèces de formules, sans discussion, marque une mollesse, une indifférence presque désobligeantes pour l’art. »

C’est ce ton incisif qui fait que Monsieur Croche se lit avec grand plaisir et qu’il donne envie, ce n’est pas le moindre de ses mérites, de se plonger dans le grand bain de la musique classique.

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