Paris vécu
Le piéton de Paris (1939) de Léon-Paul Fargue (Gallimard. L’imaginaire. 2007)
Contrairement à ce qu’a pu vous faire penser ma dernière notule, je n’avais pas prévu Sébastien Faure dans mon abécédaire et il s’agissait juste d’une petite pause libertaire bienvenue. Reprenons le cours normal des choses et confions sereinement la satisfaction que m’apporte ce système très arbitraire de choix des livres par ordre alphabétique. Pour tout dire, je crois que j’ai entamé cette méthode juste dans l’idée de tomber un jour nez à nez avec un livre comme Le piéton de Paris. Comprenons-nous bien : mon premier abécédaire m’a permis de lire de très, très grands livres (ceux d’Ellroy, de Muray, de Céline, de Roussel ou Léautaud) mais tous sont des auteurs que je connaissais auparavant ou que j’aurais forcément rencontré un jour ou l’autre. Alors que sans cet abécédaire, il est probable que je n’aurais jamais lu une seule ligne de Léon-Paul Fargue, vague archipel perdu dans l’immense océan de la littérature dont je n’avais que trop rarement entendu le nom. Et je serais passé à côté d’un admirable chef-d’œuvre !
En lisant les quelques lignes biographiques consacrées à l’auteur au début de l’ouvrage, je me suis dit que Fargue représentait une sorte de quintessence de l’homme de lettres français entre les deux guerres : poète individualiste, dilettante, raffiné, ami de Jarry et proche des collaborateurs de la NRF (Larbaud, Valéry, Paulhan…).
Le piéton de Paris est un recueil de courts textes où Fargue évoque le Paris qu’il a connu autour de 1900. Cela va de son quartier de La Chapelle jusqu’aux hôtels et palaces parisiens en passant par ces hauts lieux que sont Montmartre, Saint-Germain-des-prés et le Marais. Ces évocations ne sont pas exactement de la poésie en prose mais le style étincelant de Fargue (je me suis régalé de cette écriture fine, merveilleusement ciselée) le fait toujours éviter la lourdeur descriptive et le rapproche parfois des surréalistes (mais c’est beaucoup, beaucoup mieux que Le paysan de Paris et ça vaut, dans une veine dissemblable, l’éblouissant Nadja de Breton).
Surréalisme parce que le Paris de Fargue est peuplé de fantômes et l’on imagine très bien le poète flâner à travers ces rues et lieux chargés d’histoire pour s’imprégner des atmosphères, des odeurs, des couleurs et les retranscrire pour le lecteur. Le livre est un beau mélange de mélancolie, d’humour délicat, d’anecdotes savoureuses et de nostalgie souriante.
Et pour ceux que passionne, comme moi, la vie artistique et littéraire de la France à la Belle Epoque, le livre est une mine. Car à travers tous ces lieux que revisite Fargue, c’est le tableau minutieux de tout un monde aujourd’hui disparu qu’il restitue.
Cela va de la ballade chez les bouquinistes sur les quais de Seine où l’on aperçoit les silhouettes d’Anatole France « prince des chercheurs et vieil ami des marchands » et de Barrès (« qui méprisait la poussière mais adorait l’air léger de ce quartier ») à l’évocation d’une conversation avec Proust à l’hôtel du Ritz. C’est encore les souvenirs de tous ces cafés célèbres de Saint-Germain-des-prés : les Deux Magots, le Café de Flore, considéré comme le berceau de l’Action Française ou encore la Brasserie Lipp : « sorte de mer intérieure où se jettent tous les ruisseaux, tous les fleuves politiques de ce singulier XXe siècle. »
Fargue dresse également la typologie du parisien et de la parisienne (rien de caricatural, rassurez-vous), fréquente toutes les classes sociales, des salons mondains les plus snobs aux clochards des quais et nous rappelle la richesse d’une ville qui fut à cette époque l’un des phares du monde (lisez le chapitre consacré à Montparnasse : on y croise à la fois Trotski et Picasso, Derain et Jarry, Modigliani et le douanier Rousseau).
Une fois terminé ce recueil, on n’a plus qu’une envie : brûler tous les guides touristiques de Paris et marcher sur les pas de Fargue à la recherche de ces fantômes qu’il fait si bien revivre.
A la suite du Piéton de Paris, j’ai pu découvrir dans le même volume un autre recueil d’impressions parisiennes intitulé D’après Paris. Pour le coup, il s’agit vraiment de poèmes en prose et parfois en vers. C’est toujours aussi bien écrit mais j’avoue que ça m’a un peu moins touché, même si quelques vers m’ont paru sublimes, comme ceux du poème Plainte dont les dernières lignes résument, à mon sens, parfaitement l’impression que me laisse les films de Wong Kar-Wai :
« O vie, dans ce moment qui passe
et que nous voudrions pour toujours ressaisir,
Cesse de dérober le secret de nos jours… »
Fargue fait désormais partie des auteurs que je brûle de connaître mieux. Coup de chance : beaucoup de ses textes ont été réédités dans la collection l’imaginaire…
Libellés : 1900, Aragon, Belle-Epoque, Breton, Fargue, Paris, surréalisme, Wong Kar-Wai
2 Comments:
Les deux coffrets de dvd Les heures chaudes de Montparnasse (éditions DORIANE Films) qui regroupent la série que réalisa Jean-Marie Drot sont une mine de savoirs et d'images en particulier pour Léon-Paul Fargue, toute une émission lui est consacré intitulé "Léon-Paul Fargue, le piéton de Paris.
<<...Léon-Paul Fargue reste le poète de la solitude, face à un monde dont il pressent, avec plus d'intuition et de finesse encore qu'un Paul Valéry, la désagrégation prochaine. On pourrait aussi se demander pourquoi Fargue n'est jamais ressorti du purgatoire littéraire où l'a précipité la mort. Prenant son temps comme toujours, patient, désormais il s'intéresse à la fuite des nuages comme de son vivant il a supervisé la circulation des trains à la lisière de sa chère gare de l'Est. Fargue attend. Quoi? La reconnaissance de son talent? Peut-être...>> Jean-Marie Drot
Tu touches un point sensible là en effet je pense aussi que c’est un manque de confiance en moi.
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