Idées fixes
Je
(2019) d’Anne Teyssèdre (Thierry Sajat, 2019)
Nous avions découvert Anne
Teyssèdre écrivain avec le très beau Chers
absents, deux courts récits liés par le thème de la disparition et du deuil
où elle parvenait à faire entendre une petite musique mélancolique, entêtante
et très belle. Elle revient aujourd’hui à l’écriture avec un recueil de
nouvelles intitulé sobrement Je.
« Nouvelle » n’est d’ailleurs pas le terme le plus adéquat puisque se
mêlent ici de courts textes ironiques et incisifs (ne parlez pas à Anne
Teyssèdre d’art conceptuel !), des poèmes joliment troussés (« J’veux
les plaisirs élevés de la contemplation,
Et les plaisirs dépravés de
la consommation. ») et deux récits plus importants que l’on peut qualifier
de « nouvelles ».
S’il fallait trouver un fil
directeur à cet ensemble qui peut paraître, à première vue, hétéroclite, on
pourrait dire que tous ces textes sont systématiquement portés par une idée
fixe, obsessionnelle. Anne Teyssèdre s’amuse ensuite à suivre ces idées jusqu’à
l’absurde, jusqu’à ce moment où, par exemple, il faudra tirer sur l’homme dont
on espère en vain un regard pour attirer son attention.
Le recueil s’ouvre
d’ailleurs par une Crise de cerveau et une idée qui empoisonne la conscience de la
narratrice, qui la fait divaguer… Illustrant le fameux mot de Rimbaud
(« Je est un autre »), Anne Teyssèdre nous fait épouser un flux de
conscience qui, tout à coup, semble s’échapper et se perdre pour suivre les
méandres de l’idée fixe. La Cheminée, la plus longue nouvelle
du recueil, est exemplaire à ce titre. Après avoir entendu dans un diner
quelqu’un dire : « Une cheminée, c’est indispensable ! Tout le
monde devrait avoir une cheminée », la narratrice n’aura plus qu’une
obsession : faire installer ladite cheminée chez elle. Nous n’en dirons
pas trop pour ne pas gâcher le plaisir de lecture mais avec un humour mâtiné de
déraison (ou l’inverse !), Anne Teyssèdre signe un petit conte kafkaïen
(toutes proportions gardées) où l’absurde se marie volontiers avec une certaine
angoisse existentielle.
La nouvelle la plus
émouvante de cet ensemble est certainement L’Été de mes quarante ans et on la
devine très personnelle (lorsque la petite fille lui demande comment elle
s’appelle, la narratrice répond « les enfants m’appellent
« Tatanne », dis-je en pensant aux enfants de ma famille, neveux et
petits cousins. », soit un mot-valise pour « Tata Anne » ou
« Tante Anne »). Ce récit très simple narre la rencontre, au cours de
vacances d’été, entre une jeune femme et une petite fille solitaire et
singulière. Là encore, cette enfant devient une sorte d’« obsession »
pour l’adulte, à tel point que son mari lui conseille de ne pas trop
s’attacher. Par petites touches, Anne Teyssèdre parvient à décrire finement les
liens qui se tissent secrètement entre cette femme et cette petite fille. Bien
entendu, le titre souligne qu’il s’agit sans doute de la projection de l’enfant
qu’elle n’aura pas (« Je savais qu’il me faudrait du temps pour accepter
que l’enfant que j’aimais n’était qu’une petite fille de passage dans ma
vie ») mais en extrapolant un peu, on peut aussi y voir la propre image de
Tatanne ou ce qu’elle fut : une petite fille à part, pas comme les autres,
un peu solitaire mais avec toujours au cœur la nostalgie du monde magique de
l’enfance.
La beauté de Je réside peut-être dans ce subtil écart
entre des personnages coincés entre l’âge adulte et un certain imaginaire
enfantin, entre la raison et ces moments où elle « déborde » pour
suivre une idée fixe, entre la pesanteur du Réel et la possibilité de
l’exorciser par l’écriture…
1 Comments:
Votre blog est simplement génial. J'y ai découvert de superbes images, signatures, citations. Je ne ma lasse pas de le regarder.
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