Disparitions
Chers absents (2017) d’Anne Teyssèdre (Editions Persée, 2017)
Pour tous les cinéphiles, Anne
Teyssèdre restera à jamais l’inoubliable héroïne de Conte de printemps de Rohmer. L’actrice avait disparu de la
circulation (pour des raisons de santé, découvre-t-on en quatrième couverture
de son livre) même si on a pu la revoir récemment devant la caméra de Gérard
Courant (à la fois dans son Cinématon
mais également dans la série Lire). C’est
donc avec grand plaisir que nous la retrouvons dans la défroque de l’écrivain.
Après des essais et des nouvelles, elle publie aujourd’hui Chers absents, un ouvrage regroupant deux récits liés par le même
thème : la perte d’un être cher.
L’auteur n’en fait pas mystère,
le deuxième récit évoquant la mort de son père est autobiographique tandis que
le premier a sans doute également une coloration personnelle : la femme
qui s’éteint en laissant quelques effets à ses trois nièces est probablement la
tante d’Anne Teyssèdre qui évoque parfois ses deux sœurs. Si je prends soin de
souligner cette dimension très intime, c’est parce que le lecteur, sachant
cela, aurait pu redouter une œuvre totalement refermée sur elle-même et n’intéressant
finalement que celle l’ayant écrite. Or très vite, on réalise qu’Anne Teyssèdre
ne tombe pas dans ce piège et qu’elle parvient à donner à ces deux récits un
caractère universel.
Pour cela, elle procède avec une
minutie d’orfèvre, dépouillant ces deux drames de tout pathos mais également de
toute psychologie. Pour évoquer la disparition de Madeleine à la suite d’une
longue maladie, elle se focalise sur un ensemble de petits gestes effectués par
Jean et procède comme un peintre impressionniste dessinant par petites touches
le portrait de son personnage. A travers des réminiscences et des émotions
retenues, Anne Teyssèdre parvient à trouver un bel équilibre entre le souvenir
de l’être aimé et la déchirure provoquée par son absence.
La déchirure est d’autant plus
violente qu’elle est provoquée dans le second récit par la disparition d’un
père incarnant jusqu’alors tous les repères de la petite Anne. Là encore, on
pourrait redouter le mélodrame et les épanchements lacrymaux. Mais l’écriture d’Anne
Teyssèdre reste constamment tenue, digne et précise. Ce drame, elle le raconte avec
une infinie délicatesse, nous faisant partager le point de vue d’une fillette
qui voit soudainement tout son univers s’écrouler. Les sentiments qu’elle met
en scène sont à la fois très personnels mais toucheront quiconque s’est trouvé
confronté à la disparition d’un proche. La réussite de ce livre, c’est
également de ne pas se contenter de décrire des sentiments et émotions attendus
mais de montrer leur complexité. Dans le premier cas, la mort de Madeleine est
aussi un soulagement pour Jean tandis que dans le second, la petite Anne se
reproche parfois de profiter de la situation pour apitoyer son entourage et
attirer la pitié.
Mais ce que rend palpable avec beaucoup de force l’écrivain,
c’est ce sentiment de vide et d’étouffement qui saisit lorsque nous sommes
confrontés à la mort et à l’absence. Dans L’Amant
d’un jour de Garrel, j’ai été frappé par la manière qu’a Esther Garrel de
suffoquer au début du film lorsqu’elle se sépare de son amour. Rarement on aura
aussi bien montré sur un écran ce sentiment d’étouffement qui vous étreint lorsqu’une
histoire se brise. On retrouve dans Chers
absents ce sentiment, cette sensation de vertige qui gagne lorsqu’on
réalise qu’on ne pourra plus jamais serrer dans ses bras l’être aimé, lui
parler et le voir.
Le livre n’est cependant pas
désespéré et se termine sur une note d’espoir lorsque la jeune femme redécouvre
les photos de son père (celle qui orne la couverture de l’ouvrage). D’un côté,
le temps permet de guérir partiellement les blessures, de l'autre, il n'arrivera jamais totalement à rogner ce qui a été et à atténuer la force du souvenir :
« jamais la mort ne pourra
nier ce qui a existé, jamais la mort ne pourra nier un instant vécu. Au-delà du
monde où elle fut éprouvée, la chose vécue est à jamais vécue. »
4 Comments:
Merci pour ces notes partagées toujours intéressantes et qui permettent de découvrir des livres et des auteurs, à signaler "New Moon" de David Dufresne au Seuil qui vient de sortir.
je me régale de votre ouvrage sur la Brigandine, beau travail !
Cordialement vôtre,
Erik Usher
Merci infiniment. J'ignorais la sortie de "New Moon" mais je vais aller voir ça...
Franchement vous êtes formidable d'avoir fait un site pareil
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