Lectures de mai 2017
25- Hong Kong et Macao
mis en scènes (2016) d’Adrien Gombeaud (Espaces&Signes,
Collection : ciné voyage, 2016)
Après Tokyo, Adrien Gombeaud nous
propose un nouveau « guide du routard » cinéphile et nous emmène sur
les traces des films tournés à Hong-Kong et Macao. Des aventuriers étrangers
trouvant dans ces paysages leur comptant d’exotisme (de Belmondo chez De Broca au
Batman de Nolan, de William Holden à James Bond) jusqu’aux polars contemporains
utilisant les ressources visuelles d’une métropole au cœur de béton en passant
par les fantasmes d’une Macao « enfer du jeu », l’auteur dresse le
panorama d’une ville qui a inspiré de nombreux cinéastes, certains plongeant
leurs personnages dans l’anonymat de la foule tandis que d’autres cherchaient à
échapper à cette masse. Analysant également les rapports ambigus avec la Chine
continentale (l’immigration, la rétrocession en 1997), Gombeaud nous offre un
joli panorama à la fois géographique et sentimental de ces deux villes.
Bénéficiant d’une présentation toujours aussi agréable (index détaillés, cartes
utiles…), cet essai paraît peut-être un tout petit moins habité que celui
consacré à Tokyo. L’auteur et son écriture, précise et élégante, ne sont bien
évidemment pas en cause mais peut-être que les films tournés dans ces villes se
prêtent moins aux évocations mélancoliques (mis à part ceux de Wong Kar-Wai, à
mon avis les plus belles pages du livre) ou, tout simplement, me touchent
moins. Mais l’ensemble demeure une jolie réussite.
***
26- Entre-temps : Blake Edwards (2016) de Nicolas Truffinet
(Playlist society, 2016)
Ma critique de cet essai très réussi se trouve ici.
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27- Brassens (1963) d’Alphonse Bonnafé (Seghers, Poésie et chanson n°2,
1971)
Après quelques ouvrages consacrés
à des cinéastes, j’ai attaqué mes exemplaires des fameuses collections Seghers
dédiés à la chanson. Celui consacré à Georges Brassens fait la part-belle aux
textes du grand auteur-compositeur tandis que la partie analyse se révèle
plutôt réduite. Alphonse Bonnafé ne s’étend pas trop sur la biographie de
Brassens mais cerne avec justesse les principales caractéristiques de son
style. Le plaisir du lecteur tient donc surtout à la lecture des textes du
guitariste. Si l’on retrouvera tous les « classiques » de Brassens,
on pourra à nouveau s’émerveiller de la beauté de cette langue, de la richesse
de ces vers et de la puissance de ces chansons. Car Brassens n’est pas
seulement un grand artiste : c’est une véritable conscience pour tous ceux
qui préfèrent les « chemins qui ne mènent pas à Rome » et qui restent
couchés dans leurs lits douillets le jour du 14 juillet. Bonnafé revient
bien évidemment sur la dimension anarchiste mais aussi profondément
individualiste et humaniste de l’œuvre de Brassens en rappelant d’ailleurs les
scandales que ces chansons purent provoquer.
A noter, en guise de curiosité,
la présence d’une strophe inédite (et très violente) de la chanson Le Mauvais sujet repenti.
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28- Gainsbourg (1986) de Lucien Rioux (Seghers, Poésie et chanson n°54,
1986)
Petite surprise : on ne
trouvera aucun texte de Gainsbourg antérieur à ceux écrits pour le sublime
album Histoire de Melody Nelson. En
fouillant un peu, j’ai découvert la raison de ce choix : Lucien Rioux
avait déjà consacré un livre au chanteur dans la même collection en 1969. A
priori, il ne s’agit pas d’une simple réédition puisque la monographie,
relativement copieuse, évoque surtout le Gainsbourg des années 70/80 : son
écriture, ses thèmes de prédilection, son rapport aux femmes et à l’argent et,
bien entendu, son goût pour le scandale. Rioux montre parfaitement l’évolution
d’un artiste d’abord « maudit » et qui a fini par se forger une image
sulfureuse lorsqu’il a compris qu’elle lui apportait une certaine notoriété et,
par là même, une totale liberté. Comme le compositeur l’écrit dans une de ses
célèbres chansons :
« Docteur
Jekyll un jour a compris
Que c'est ce Monsieur Hyde qu'on aimait en lui
Mister Hyde ce salaud
A fait la peau du Docteur Jekyll »
Que c'est ce Monsieur Hyde qu'on aimait en lui
Mister Hyde ce salaud
A fait la peau du Docteur Jekyll »
L’intelligence de Lucien Rioux est de ne
pas rester à la surface des provocations illustres de Gainsbourg et de montrer
comment l’artiste est parvenu à tirer son épingle du jeu au cœur du grand
cirque médiatique. On pourra regretter que certaines chansons très réussies à
mon sens ne figurent pas dans ce recueil (Sensuelle
et sans suite, Par hasard et pas rasé…)
tandis que des plus mineures ont été sélectionnées (Des vents des pets des poums). Mais à cette réserve près, les
textes de Gainsbourg révèlent une fois de plus leurs grandes beautés. Comment
résister, par exemple, aux sublimes et ensorcelantes Variations sur Marilou ou sur les très belles chansons offertes à
Jane Birkin (Les Dessous chics, Fuir le bonheur de peur qu’il se sauve…) ?
Comme Brassens, Gainsbourg était un homme libre et un très grand artiste.
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29- Mes
inscriptions (1945-1963) de Louis Scutenaire (Allia, 2017)
La tentation est toujours grande, lorsqu’il
s’agit d’évoquer Louis Scutenaire, de se contenter d’une anthologie de ses
paradoxes les plus piquants, de ses aphorismes les plus dévastateurs, de ses
adages les plus drôles. Il est aussi tentant de le rattacher à la tradition
surréaliste belge (alors que l’auteur prétendait qu’il n’était « ni poète,
ni surréaliste, ni belge » !) puisqu’il a été proche de Magritte et
qu’il a participé à la fameuse revue de Marcel Mariën Les Lèvres nues. Mais Scutenaire est peut-être aussi le chaînon
manquant entre les Poésies de
Lautréamont et les détournements situationnistes. Lorsqu’au vieux précepte
« Il y a des choses avec lesquelles on ne plaisante pas », Scutenaire
ajoute un « Pas assez » détonant, on comprend que son entreprise n’a rien à
voir avec le simple pastiche rigolard. Si l’auteur « détourne » des
proverbes, des dictons, des adages, c’est pour leur donner un sens nouveau et
rendre aux mots leur puissance explosive (« Mais démolissez d’abord !
Démolissez d’abord. »). Toutes ces « inscriptions » sont
empreintes d’un esprit séditieux et d’une volonté parfaitement lucide de mettre
à nu les mensonges de l’organisation sociale :
« Je suis révolutionnaire bien plus contre le monde inacceptable qui me
tient que pour le monde souhaitable
qui va le remplacer ».
Bref, il faut lire et relire Scutenaire et
succomber à la puissance de ses aphorismes cinglants comme un coup de
trique :
« La plupart des criminels sont des
moralistes »
« La violence du langage n’est pas
souvent le langage de la violence »
« N’oublions pas que nos maîtres ont
des âmes d’esclave. »
« Ce sont des hommes publics :
ils sont sortis de l’ombre pour entrer dans la boue. »
« La vie sera bonne quand le travail
sera pour tout le monde un luxe. »
« J’ai autant de répulsion envers ceux
qui exploitent l’humanité qu’envers ceux qui se sacrifient pour elle. »
« Les femmes nues jamais n’ont fait de
mal à personne. »
« Les pauvres n’ont pas la poche vide,
ils ont dedans la main des riches. »
« Science, religion, philosophie sont
poubelles, barbelés, mitrailleuses. Et bavardage, hélas ! »
***
30- Pierre
Chevalier, l’homme des possibles entretiens avec Philippe Martin (Séguier,
2017)
Pierre Chevalier, c’est d’abord pour moi
l’initiateur de la saga Tous les garçons
et les filles de leur âge, une collection unique de neuf téléfilms qui
permit à certains cinéastes (Téchiné, Assayas, Mazuy, Denis) de réaliser leurs
meilleurs films. En l’apercevant au Salon du livre non loin du stand où je
dédicaçais modestement il y a quelques mois, je suis allé lui prendre son livre
d’entretiens et échanger deux ou trois mots avec lui. Directeur de l’unité
Fictions d’Arte de 1991 à 2003, il est à l’origine (producteur ou coproducteur)
de plus de 300 téléfilms réalisés par les cinéastes les plus prestigieux (Garrel,
Lars Von Trier, Guédiguian, Cantet, Ferran…). Au-delà de cette impressionnante
carte de visite, on ne connaît pas cet homme qui déclare n’avoir eu aucune vie
privée et qui apparaît comme un travailleur acharné discret, pudique et humble.
Pierre Chevalier retrace son parcours professionnel étonnant, évoque son
affection pour son oncle Pierre Boulez et sa jeunesse passée en compagnie des
époux Deleuze. A travers ces pages se dessine le portrait impressionniste d’un
« homme de l’ombre » ayant une haute idée de l’art et de la création
et ayant réussi à imposer sa griffe sans jamais se mettre en avant.
***
31- Maintenant
(2017) du Comité invisible (La Fabrique, 2017)
A la veille des pires élections
présidentielles qu’ait connu la cinquième République, le Comité invisible a
fait paraître son troisième essai où il est largement question de la situation
politique et sociale actuelle en France et des événements qui ont secoué
l’hexagone au printemps 2016 (la contestation de la « Loi travail »).
Je vous épargnerai ici une longue analyse
de cet essai pourtant fort riche et toujours passionnant. Deux réflexions
cependant. La première, c’est qu’à l’heure actuelle, le comité invisible nous
offre les meilleures analyses de la situation en cours. Dans la lignée des
situationnistes auxquels ils doivent beaucoup –y compris dans le style-, les
membres de ce « comité » soulignent avec beaucoup de pertinence
l’effondrement d’un monde devenu de plus en plus ingouvernable. Leurs
réflexions sur l’imposture politicienne (qu’elle soit de gauche ou de droite),
la tentation « constituante » et idéologique de phénomène comme
« Nuit debout », ainsi que sur la nécessité d’en finir avec le
travail et l’économie sont sans doute les thèses les plus roboratives du
moment. Plutôt que de réciter le catéchisme traditionnel de la plupart des
mouvements gauchistes, le Comité invisible s’inspire des théories
situationnistes et les adapte à notre époque et à ses évolutions technologiques
permettant la « spectacularisation » de tous les recoins de
l’existence.
En revanche, et c’est mon seul petit bémol,
le livre paraît plus faible lorsqu’il s’agit d’évoquer les perspectives
d’avenir. Bien entendu, les auteurs savent éviter le piège du « manuel du
parfait révolutionnaire » promettant monts et merveilles dans
l’avenir (laissons ça aux staliniens !). Pourtant, il y a quelque chose
d’un peu faible dans l’exaltation de cette « vie » que les auteurs
voient jaillir dans une émeute ou le bris d’une devanture de banque. On retrouve
d’ailleurs dans cette exaltation quelque chose de la « mystique »
parfois un peu naïve de Raoul Vaneigem lorsqu’il s’agit d’évoquer la vie et les
désirs. Si l’idée communiste perçue comme « la détotalisation générale, et
non la socialisation de tout » a le mérite de nous épargner les
planifications toujours avides de couper les têtes qui dépassent, cette notion
de « destitution » du pouvoir, de retrait de l’économie paraît encore
un peu floue pour vraiment convaincre, surtout à une époque où les « révolutionnaires »
semblent avoir besoin de nouveaux maîtres (voir le succès relatif de
l’imposture Mélenchon aux dernières élections).
Au-delà de cet aspect, Maintenant est à lire sans la moindre hésitation…
***
32- Le
Metteur en scène polonais (2015) d’Antoine Mouton (Christian Bourgois,
2015)
Premier roman d’Antoine Mouton, Le Metteur en scène polonais met en
scène la folie qui gagne un célèbre metteur en scène de théâtre cherchant à
monter un spectacle en adaptant un roman d’un célèbre écrivain autrichien. Or
il se trouve qu’en relisant à chaque fois ce livre, notre héros constate que
l’histoire est différente, les personnages et les situations ne sont plus les
mêmes. Tout l’univers, de fait, vacille autour de lui… La grande réussite de ce
court récit, c’est de nous plonger immédiatement dans la perception de ce
metteur en scène par une construction « en spirale » où chaque
« micro-événement » est ressassé jusqu’à épuisement, notamment à
travers une succession d’objets qui reviennent de manière récurrente : une
fourrure sous laquelle est cachée une célèbre actrice, une armoire, un œuf dur
que le metteur en scène partage systématiquement avec tous ses interlocuteurs.
Cette écriture névrotique fait également vaciller les repères du lecteur qui se
retrouve plongé dans un univers aux contours chancelants. Si Antoine Mouton a
choisi de donner à son personnage la nationalité polonaise, ce n’est sans doute
pas par hasard puisqu’on retrouve dans ce livre un sens de l’absurde et de
l’humour noir polonais qui évoque aussi bien Gombrowicz que les premiers films
de Polanski (songeons à son court-métrage Deux
hommes et une armoire). D’ailleurs, la multiplicité des nationalités (un
traducteur tchèque, un philosophe grec, un auteur autrichien…) peut aussi se
voir comme une métaphore plus générale sur une certaine folie en train de
contaminer une Europe incapable de se raccrocher à un récit commun. Le
Metteur en scène polonais peut se résumer ainsi : une histoire de
contamination par les mots d’une folie qui gagne le personnage, puis le livre
lui-même avant de contaminer, qui sait, son lecteur…
Libellés : Anarchisme, Antoine Mouton, aphorisme, Brassens, Cinéma, Comite invisible, Gainsbourg, Hong-Kong, Les Lèvres nues, Pierre Chevalier, Scutenaire, téléfilm
3 Comments:
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