Lectures de mars 2017
12- Les Films de ma vie (1975) de François Truffaut (Editions
Flammarion. Collection Champs
Contre-Champs, 1987)
Je pense qu’après avoir vu tous
ses films, avoir lu quelques ouvrages (livres et revues) sur sa vie et son œuvre,
je connais plutôt bien François Truffaut. Et pourtant, mis à part quelques
articles célèbres régulièrement republiés (notamment Une certaine tendance du cinéma français), je n’avais jamais lu ses
textes sur le cinéma (écrits alors qu’il était critique ou déjà cinéaste). En lisant Les
Films de ma vie, on a vraiment le sentiment de déjà le connaître tant
certains passages sont passés à la postérité. Citons pour la bonne bouche les
célèbres : « Un metteur en scène d’aujourd’hui doit accepter l’idée
que son travail sera éventuellement jugé par quelqu’un qui n’aura peut-être
jamais vu un film de Murnau » ou « Le cinéma c'est de l'art de faire
faire de jolies choses à de jolies femmes ».
Ce recueil de texte délaisse l’aspect polémique
du travail de Truffaut critique (à part une très belle critique acerbe du Ballon rouge de Lamorisse) pour se
concentrer sur les coups de cœur du cinéaste. Moyen de constater qu’il n’a pas
toujours attaqué Autant-Lara (il surestime même, à mon avis, La Traversée de Paris) et qu’il était
beaucoup moins « sectaire » que ce que certains ont prétendu. Dans sa
superbe préface, il revient sur le métier de critique, son évolution : « Ai-je
été un bon critique ? Je ne sais pas mais je suis certain d’avoir toujours
été du côté des sifflés contre les siffleurs et que mon plaisir commençait
souvent où s’arrêtait celui de mes confrères ».
Un peu plus loin, il écrit « je
continue à trouver absurde et haïssable la hiérarchie des genres », moyen
de rappeler à ceux qui la dénigrent actuellement que la « politique des
auteurs » s’est construite avant tout sur ce que l’on appelle le « cinéma
de genre ». Il s’agissait, pour ces jeunes critiques, de montrer que ce
que l’on prenait pour de simples produits manufacturés étaient en fait portés
par un véritable style et regard (Hitchcock, exemplairement).
Le livre débute par les maîtres qui
fascinent le plus Truffaut, ceux qui comme Gance ou Ford, Vigo ou Lang, Chaplin
ou Lubitsch ont débuté à l’époque du muet pour continuer leurs carrières au
temps du parlant. Les trois parties suivantes sont consacrées aux cinéastes
américains (Kubrick, Fuller, Sirk, Mankiewicz, Preminger) puis français
(Bresson, Cocteau, Becker, Ophüls, Guitry…) et enfin « les copains de la
Nouvelle Vague » (pris dans un sens très large puisqu’on va de Chabrol,
Rivette et Godard à Gérard Blain et Jacques Doillon).
Le talent de Truffaut, c’est qu’il
parvient à aborder le cinéma d’une manière entièrement subjective (il n’hésite
d’ailleurs pas à employer la première personne du singulier) tout en parvenant
à pénétrer en profondeur dans les œuvres qu’il évoque. Plutôt qu’une approche « littéraire »
(bon ou mauvais sujet, profondeur psychologique…), Truffaut se concentre
essentiellement sur la mise en scène, sur le style des œuvres et trouve un
équilibre passionnant entre une approche « objective » et
sentimentale.
A travers cet ensemble de critique se
dessine le portrait d’un homme passionné qui livre ici sa vision très
personnelle du cinéma et, de fait, de la vie. Dans le puzzle Truffaut, ce livre
apparaît donc comme une pièce essentielle…
***
13- L'Esprit Positif : Histoire d'une revue de cinéma 1952-2016 (2017)
d’Edouard Sivière (Editions Eurédit, 2017)
Une superbe histoire de la revue Positif dont il a été question ici.
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14 et 16- Camera Obscura et Le Dico de Boro
(2017) de Daniel Bird et Michael Brooke (Editions Carlotta films, 2017)
En complément du magnifique
coffret DVD consacré à Walerian Borowczyk, deux livrets très instructifs sur le
cinéaste. Dans Camera obscura, après
avoir longuement présenté la carrière du cinéaste et les films réunis dans le
coffret, Daniel Bird réunit un ensemble de textes publiés sur lesdits films,
notamment deux articles de Patrice Leconte sur Théâtre de Monsieur & Madame Kabal et Goto, l’île d’amour publiés dans… Les Cahiers du cinéma. Pour finir, un autre document passionnant :
un long entretien de Boro paru également dans les Cahiers. Si cette interview est aussi dense, c’est sans doute parce
que Rivette mène le bateau et que c’est très intéressant d’écouter deux
cinéastes qui parlent de leur métier, surtout que leurs conceptions de la mise
en scène sont rigoureusement inverses.
Le Dico de Boro propose une très intéressante approche transversale
de l’œuvre du cinéaste et donne envie de découvrir tous les films de cet auteur
qu’il était plus que temps de réhabiliter.
***
15- On n’est pas des
chiens (1982) d’A.D.G. (Gallimard, Série noire n°1862, 1982)
Une jeune femme qui enquête sur
des trafics d’animaux et soupçonne les gitans du coin rend visite à Serguïe
Djerbitskine (alias Machin), journaliste déjà apparu chez l’auteur (Pour venger pépère). Pourvu de son
acolyte, l’avocat Pascal Delcroix, ils devront mener l’enquête puisqu’un
meurtre va ensanglanter cette affaire. Comme toujours chez A.D.G., le style
néo-hussard (avec gallicismes, formules à l’emporte-pièce…) se mêle aux
intrigues les plus rocambolesques et débridées. L’enquête a peu d’intérêt mais
on se laisse porter par le style rabelaisien et rentre-dedans de l’auteur. On
se prend d’ailleurs à relativiser l’image de l’odieux sympathisant d’extrême-droite
que traine l’auteur de La Divine surprise
puisque les gitans, d’abord soupçonnés de tous les maux, sont finalement
disculpés et présentés sous un jour qui n’a rien d’antipathique. En revanche,
A.D.G est moins tendre lorsqu’il s’agit de décrire des poissons rouges nommés…
Hallier et Aragon :
« Hallier, carassin doré à l’œil
unique, méditait dans la grotte de corail de l’aquarium à eau pulsée, les
nageoires caudales presque immobiles, obscur et ténébreux vertébré aquatique
aux branchies pleines de vent. Aragon, son compagnon de daphnies, plus vieux et
les barbillons tombant mélancoliquement sur les graviers du fond, frétillait de
la queue. C’est un spectacle bien instructif que les relations de deux poissons
rouges domestiqués courant sans cesse après des petites bulles d’air que
toujours ils prendront pour de la nourriture. »
***
17- Endetté comme une mule (1979) d’Eric Losfeld (Editions Tristram,
Collection Souple, 2017)
Les mémoires faramineux d’un des
plus grands éditeurs du siècle dernier. Eric Losfeld, créateur à la fois des
éditions Arcanes puis du Terrain vague est resté à jamais dans l’esprit des
bibliophiles comme l’éditeur qui a accompagné le mouvement surréaliste après la
seconde guerre mondiale. Mais c’est également à lui que nous devons les
premiers numéros de la revue Positif,
ceux de la mythique Midi-Minuit
Fantastique, des éditions de romans pornographiques sous le manteau, le
scandale de Barbarella comme celui d’Emmanuelle… Ce qu’il y a de passionnant
chez Losfeld, c’est cette manière qu’il a de se trouver toujours là où
bouillonne un certain esprit de la « contre-culture », capable de
faire se croiser l’avant-garde littéraire la plus pointue (Péret, Isou, Pieyre
de Mandiargues…) et le « roman de gare » (Maurice Raphaël), le cinéma
(avec les figures d’Ado Kyrou, Robert Benayoun…), la bande-dessinée, le dessin
humoristique (Siné, Gébé…) et la littérature érotique.
On dévore ce récit où Losfeld
alterne les anecdotes, les portraits et les réflexions où éclate la veine
pamphlétaire de l’éditeur qui n’a pas assez de mots pour vomir son mépris
contre les flics, les curés, le Pouvoir, les juges, les délateurs, l’armée…
Ces mémoires sont un panorama haletant
de la vie culturelle française de la deuxième moitié du 20ème siècle
puisque Losfeld y évoque aussi bien la guerre d’Algérie (il a signé le « Manifeste
des 121 » pour le droit à l’insoumission des soldats) que Mai 68 (y
compris l’affaire de la Cinémathèque et l’éviction de Langlois). Les portraits
qu’il peint (de Péret à Sternberg en passant par Vian et Breton) sont drôles ou
touchants, insolites ou sentimentaux : bref, incroyablement vivants.
Un exemple entre mille parmi les
anecdotes dont regorge ce livre. Losfeld raconte comment il a passé un soir de
Noël avec le père de son ami Michel Schmidt dans une auberge. Cet homme haut en
couleur qui souhaitait ouvrir la fenêtre, commence à se disputer avec un « monsieur
très distingué » :
« Le père Schmidt, à son
habitude, bougonne désagréablement. Le monsieur s’emporte : « vous
êtes un goujat. » Le père Schmidt, dont la dialectique était plutôt
fruste, se trouve à court d’arguments devant ce mot goujat. Il fixe la Légion d’honneur de son interlocuteur, et dit :
-Combien de fois tu t’es fait
enculer pour avoir ton ruban ?
Le vieux monsieur porte la main à
sa gorge, rougit, pâlit, suffoque, et tombe raide mort. »
Tout est de cette eau-là dans Endetté comme une mule où l’éditeur
révèle un anarchisme du meilleur aloi. Tout au plus peut-on noter une
différence de taille avec son collègue (son « meilleur ennemi »
dirons-nous tant leurs relations furent marquées par d’éternelles bisbilles et
un véritable respect mutuel) Jean-Jacques Pauvert : Losfeld est toujours
resté sur une position idéologique inflexible et a toujours refusé d’éditer les
auteurs avec lesquels il n’était pas d’accord politiquement. Du coup, il y a
quelques pages très sévères (et à mon avis, injustes) contre Céline et l’éditeur
reproche à Pauvert, par exemple, d’avoir réédité Rebatet.
Cette attitude peut aussi s’expliquer
par le parcours individuel du jeune homme marqué par les horreurs de la guerre
et ses origines juives. Fidèle à cette ligne de conduite, Losfeld construira
une trajectoire individuelle unique, marquée par de multiples procès, des
dettes à répétition mais une inlassable curiosité et une combativité qui forcent
le respect. Son catalogue est le plus beau qu’on puisse imaginer et son
empreinte n’a pas fini de fasciner ceux qui s’intéressent à la « contre-culture »…
***
18- Les Territoires interdits de Tobe Hooper (2017) de Dominique Legrand
(Playlist Society, 2017)
Un essai stimulant sur le cinéma
de Tobe Hooper dont il a été question ici.
***
19- Tokyo, mis en scènes (2015) d’Adrien Gombeaud (Editions Espaces et
Signes, collection Ciné voyage, 2015)
On entre avec un peu d’appréhension
dans cet essai dans la mesure où, n’ayant jamais été à Tokyo, j’avais peur d’être
un peu désorienté par cette promenade que nous propose Adrien Gombeaud. Mais la
collection est très bien faite dans la mesure où elle propose, en fin d’ouvrage,
des cartes pour se repérer et un index très utile. Du coup, passées les
premières pages, on se laisse délicieusement embarquer dans cette balade où l’auteur
revisite les traces laissées par le cinéma dans les divers quartiers de la
capitale japonaise. Qu’ils soient japonais (Kurosawa, Ozu, Kitano…) ou
étrangers (Resnais, Coppola…), de nombreux cinéastes ont proposé une vision de
Tokyo qu’Adrien Gombeaud regroupe de manière thématique (l’errance, les yakusas
et les filles de joie, le symbole de la modernité…)
Le côté le plus passionnant du
livre, c’est cet équilibre subtil qu’Adrien Gombeaud trouve entre l’analyse « objective »
des films cités (toujours très pertinente) et le côté « intime » de
cette visite puisque c’est moins le cinéma qui est l’objet du livre que de son
fantôme, des échos lointains qu’il a laissé dans tel bar ou telle rue (certains
lieux ayant disparu depuis les tournages).
Bref, ce petit ouvrage s’avère
parfaitement réussi et me donne envie de me plonger très rapidement dans
l’autre livre que l’auteur a écrit pour cette collection (sur Hong-Kong et
Macao).
Libellés : ADG, Ado Kyrou, Benayoun, Borowczyk, Cinéma japonais, Hooper, Losfeld, Positif, surréalisme, Tokyo, Truffaut
5 Comments:
Vraiment sympa ce site web
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Ton site est tout simplement superbe. Bravo a toi bisou
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Félicitations pour un très beau site
Je vous félicite pour ces merveilleux partages. Continuez ainsi !
Amicalement
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