Lectures de juillet
36- Effusions démentes (1980) de Jérôme Fandor (Editions du Bébé Noir,
collection Plaisir, 1980)
Une petite anecdote à propos de
ce quatrième roman de Jean-Pierre Bouyxou pour le Bébé Noir (et le dernier
puisque les suivants porteront l’estampille de la Brigandine) : tandis que
les précédents bénéficiaient d’un plan ou, au moins, d’une idée générale, Effusions démentes fut le premier que
l’auteur écrivit au fil de la plume. N’ayant aucune idée d’histoire à raconter,
Bouyxou estima seulement que le roman devait débuter sur des chapeaux de roues.
Et c’est ainsi que le roman débute par cette phrase : « L’affaire a commencé sur les chapeaux de
roues » !
Après une très belle incursion
dans le fantastique (Frankenstein, de
fille en aiguilles), Effusions
démentes nous plonge au cœur d’un petit village où les habitants, chauffés
à bloc par des notables crapuleux, décident de former une sorte de milice pour
aller casser du travailleur immigré. Le héros, Marc Lacoste, a obtenu un emploi
de directeur intérimaire d’une banque mais il se rallie volontiers à la cause
des pauvres bougres exploités par les esclavagistes modernes. Avec beaucoup de
verve, Bouyxou joue la carte des antagonismes sociaux et raille avec la superbe
d’un Mocky une notabilité française arc-boutée sur ses privilèges mais
corrompue jusqu’à la moelle. Moins nihiliste que le futur Ton corps est tatoué où pauvres et bourgeois sont renvoyés dos à
dos avec la même fureur nihiliste, l’auteur nous décrit quelques personnages
« populaires » (des travailleurs noirs et arabes, une prostituée…) à
qui il offre toute sa sympathie. Pour les autres, ce court passage résumera
parfaitement la teneur anarchisante du roman :
« Ça ne doit pas se rencontrer tous les jours, un gérant – intérimaire ou
non- du Crédit rural et industriel qui rêve de trouer le bide des politicards,
patrons, flics, ratichons et autres enfoirés dont la douce France est
infestée ! »
Entre parenthèses, ce n’est pas
non plus tous les jours que l’on rencontre de telles envolées dans le cadre du
roman de gare ! Au-delà de cette dimension libertaire commune à tous les
romans de Bouyxou, Effusions démentes
séduit aussi par sa manière d’aborder les passages pornographiques prévus par
le cahier des charges de la collection. Lorsqu’il met en scène des personnages
de notables, l’auteur n’hésite pas à recourir à la violence et à une vision
totalement dégradée de la sexualité uniquement perçue comme moyen d’asservir
l’individu. En revanche, lorsque Marc couche avec une petite serveuse ou avec
une prostituée, Bouyxou joue la carte de la tendresse, de la complicité, des
désirs partagés et des plaisirs affinés. A sa manière, il tente de sortir la
pornographie de ses ornières phallocrates pour nous offrir des visions
heureuses et joueuses de la sexualité…
***
37- Voyage au bout du jour (1988) de Béhémoth (Editions Patrick Siry,
Maniac, 1988)
Quiconque a lu l’indispensable
ouvrage que David Didelot a consacré à la collection « Gore » sait
que son directeur de collection, Daniel Riche, a quitté le Fleuve Noir en 1988
et qu’il a fondé, grâce à Patrick Siry, une nouvelle série intitulée Maniac en
débauchant d’ailleurs quelques auteurs phare de ladite collection Gore. Sous le
pseudonyme de Béhémoth se dissimule Pascal Marignac, aussi connu sous le
pseudonyme de Kââ et celui de Corsélien qu’il adopta pour ses quatre romans
publiés sous la bannière Gore.
Voyage au bout du jour suit les traces d’un expert-comptable hanté
par la mort de sa femme, invité par son patron à prendre des vacances, et qui
roule jusqu’à l’île de Ouessant en embarquant avec lui une jeune femme
rencontrée pendant son périple. Sur place, il découvre qu’une gigantesque
pieuvre est en train de faire de nombreuses victimes dans les environs…
Si le roman semble dans un
premier temps emprunter quelques ficelles classiques au genre fantastique (le
brouillard épais qui envahit tout, la créature monstrueuse qui sème la terreur…),
il se distingue assez vite des schémas des films de Carpenter (style Fog ou The Thing) ou même des romans de Lovecraft et leur manière de
suggérer l’indicible. La singularité de Voyage
au bout du jour, c’est une atmosphère poisseuse et un désespoir existentiel
qui nimbent tout le récit. S’il fallait trouver une comparaison, c’est plutôt –
toutes proportions gardées- du côté des romans pessimistes de Jacques Sternberg
qu’il faudrait chercher, notamment en raison de la manière qu’a Marignac de
décrire les femmes comme des créatures « aquatiques » et languides,
échappant ainsi à l’absurdité d’un monde trop rationnel.
Si la pieuvre tient son rôle de
créature destinée à provoquer l’horreur lors de passages les plus sanglants,
elle est surtout le symbole même du Mal niché au cœur de l’Homme et de son
désir d’asservir son semblable. Dommage que le dénouement du roman ne tienne
pas entièrement ses promesses et que Marignac ne parvienne pas totalement à
donner une dimension sadienne à cette œuvre étrange, oppressante et globalement
réussie.
***
38- Une année qui
commence bien (2013) de Dominique Noguez (Flammarion, 2013)
En 1993, Dominique Noguez
rencontre Cyril, un jeune homme fantasque et lunatique, dont il va s’éprendre
passionnément. Et c’est le récit de cette histoire amoureuse chaotique et
douloureuse dont il sera question dans Une
année qui commence bien que l’on serait tenté de classer dans le genre à la
mode de « l’autofiction ».
Pourtant, c’est peu dire que le
« récit » (et non pas « roman ») de Noguez se distingue des
livres d’une Christine Angot, par exemple. D’une part, parce que l’auteur ne
succombe pas une seconde à la complaisance geignarde qui fait office de
« sincérité » chez bon nombre d’écrivains en mal de confession. Au
contraire, on retrouve dans Une année qui
commence bien cette manière si agréable qu’a Noguez de saupoudrer ses
observations d’une touche d’humour et de conserver toujours une certaine
distance mi- amusée, mi- désabusée sur lui-même, sur sa propre naïveté et sur
cette histoire d’amour compliquée qu’il analyse sans le moindre cynisme mais
avec une lucidité incroyable. C’est cette distance, ce sens de la nuance (le
jeune amant est dépeint avec, parfois, une certaine cruauté sans que Noguez
s’assigne pourtant le rôle de la victime éplorée) et cette volonté de ne jamais
jouer les procureurs qui donne au livre un caractère universel extrêmement
touchant.
D’autre part, contrairement à ces
écrivains qui estiment qu’étaler leurs turpitudes et leur vie privée suffit à
bâtir une œuvre, Noguez n’oublie jamais qu’un récit, aussi autobiographique
soit-il, existe d’abord par le style. Et j’espère qu’on voudra bien me
pardonner le cliché mais, Une année qui
commence bien n’est pas un simple « coming-out » mais avant tout
de la (grande) littérature. Constamment, l’auteur s’interroge sur la question
autobiographique et nous offre quelques réflexions lumineuses sur la
« transparence » à tout crin de notre époque (« Autrement dit,
ménageons-nous à toute force le havre d’une vie
privée. C’est prudence dans les sociétés coercitives et sagesse dans toutes
les autres, notamment dans celles qui, comme la nôtre, se donnent de grands
airs de liberté et fonctionnent en réalité à l’émotion collective,
c’est-à-dire, le cas échéant, pour peu que l’air
du temps change brusquement, au lynchage – ne serait-ce que
médiatique. »)
Noguez, qui rédige par ailleurs
son « journal intime », s’interroge constamment sur sa propre
écriture et sur ce que pourrait impliquer ses révélations. Le temps d’une
dizaine de pages remarquables en tout point, il analyse sa position par rapport
à la communauté homosexuelle et explique son désir de ne pas vouloir être
réduit à cette seule identité sexuelle, de ne pas se trouver enfermé dans un
ghetto. Il y a chez lui un attachement irréfragable à l’idée d’Universalité et
à la complexité de l’Individu qu’on ne saurait réduire à quelques étiquettes :
« Je ne me sens pas moins, mais pas plus solidaire des homosexuels que de
n’importe quel autre groupe victime d’une discrimination. Si je n’agissais pas
ainsi, il me semble que c’est la part de l’hétérosexuel en moi qui serait niée
– et toutes les innombrables parts de moi qui n’ont rien à voir avec
l’homosexualité, ni avec la sexualité tout court. »
Les professionnels de
l’indignation vertueuse qui pullulent sur les réseaux sociaux devraient
d’ailleurs prendre de la graine du magnifique couplet que Noguez dédie à
l’humour et à la distance face à la « propension à trouver paranoïaquement
de l’homophobie partout » !
Parfois cru mais toujours
pudique, Noguez parvient à conserver son « jardin secret » et un
certain mystère tout en se mettant à nu (à tous les sens du terme). Et c’est ce
va-et-vient porté par un style lumineux qui nous touche et nous émeut à la
lecture d’Une année qui commence bien.
***
39- Aphorismes et
insultes (1818-1851) d’Arthur Schopenhauer (Arléa, 2012)
Il n’est évidemment pas question
de remettre en question la philosophie de Schopenhauer dans le cadre de ces
modestes impressions de lecture. Mais il est vrai que ce recueil d’aphorismes
et d’insultes ne va pas très loin philosophiquement parlant. Est-ce à dire,
comme le suggère le préfacier Didier Raymond, que Schopenhauer n’a été l’homme
que d’un seul livre (Le Monde comme
volonté et comme représentation) ? Toujours est-il que cet essai-phare
n’est quasiment jamais cité dans le recueil qui puise davantage dans des œuvres
où les idées générales et le ressentiment semblent être de rigueur (notamment
pour ses « collègues » Hegel et Fichte).
Deux éléments rendent néanmoins
très intéressant ce petit recueil de méchanceté. D’une part, le côté purement
gratuit de l’insulte qui rend certaines réflexions assez drôles pour qui aime
la parole pamphlétaire et la méchanceté littéraire. D’autre part, si
Schopenhauer s’avère par certains côtés absolument détestable (on aura ici une
preuve de sa légendaire misogynie – pour une fois, le terme n’est pas galvaudé !),
il se révèle plutôt progressiste lorsqu’il s’agit de dénoncer l’esclavage, les
mauvais traitements contre les animaux ou de brocarder les religions (« Les
religions sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut l’obscurité. »)
Finalement, sans être très
profond, ce recueil offre une vue assez rapide du pessimisme foncier du
philosophe : « Il semble que le bon Dieu ait créé le monde au profit
du diable : il aurait mieux fait de s’abstenir » et donne envie de se
plonger davantage dans son œuvre.
***
40- Calembours et
autres jeux sur les mots d’esprit (1770-1777) du Marquis de Bièvre
(Editions Payot et Rivages, Petite bibliothèque Payot, 2006)
Même s’il est aujourd’hui bien
oublié, le Marquis de Bièvre connut à la fin du 18ème siècle une
vraie renommée. Prince du calembour, il fut l’une des figures les plus célèbres
de la cour et des salons. Comme le souligne Antoine de Baecque dans son
excellente et passionnante présentation, les textes farfelus de Bièvre donnent
une autre vision de ce 18ème siècle des Lumières, marqué par le
culte de la Raison. D’une certaine manière, ces calembours raillent l’esprit
scientifique trop sérieux et ces jeux avec les mots relativisent cette volonté
de tout rationaliser en faisant sortir de langage de ses gonds. Nul doute que
des vers comme :
« Je sus, comme un cochon, résister à leurs armes,
Et je pus, comme un bouc, dissiper vos alarmes »
mettent à mal toute une tradition
de l’épopée tragique. Néanmoins, ce goût pour les blagues à double-sens, le
calembour navrant traduit également un certain esprit français très en vogue alors et qui n’a pas totalement perdu
de son aura.
Si Victor Hugo écrivait que « le
calembour est la fiente de l’esprit qui vole », Bièvre s’inscrit dans une
tradition irrévérencieuse qui perdurera jusqu’au génial Boby Lapointe :
celle pour qui le langage reste avant tout un immense terrain de jeu, offrant
la possibilité de porter un coup fatal à l’esprit de sérieux…
Libellés : Anarchisme, aphorisme, Autobiographie, Autofiction, Bébé Noir, Bouyxou, calembour, Gore, homosexualité, Marignac, Marquis de Bièvre, misogynie, Noguez, Pascal, philosophie, Schopenhauer
8 Comments:
Un tout grand merci pour votre site. C’est un plaisir pour toutes & tous.
Bonne continuation
Merci beaucoup votre site et vos conseils sont super !
Grâce à votre site je viens d’appendre plusieurs choses. Continuez !
Bravo pour ce superbe travail !!!
Bravo pour ce superbe travail !!!
Vraiment sympa ce site web
Franchement vous êtes formidable d'avoir fait un site pareil,
voyance mail
Félicitations pour un très beau site
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