Bibliothèque idéale n°12 : la littérature italienne
Conversation en Sicile (1937-38) d’Elio Vittorini (Gallimard. L’imaginaire 2005)
Ayant découvert il y a peu Sicilia !, le très beau film des époux Straub ; j’avais très envie de lire le livre dont il était tiré. Heureuses coïncidences : ce récit figure à la fois dans la « bibliothèque idéale » et il est en plus édité par Gallimard dans la collection L’imaginaire (inutile de redire l’affection que je porte à ladite collection !). Elle est pas belle la vie ?
Dans un premier temps, j’ai constaté l’absolue fidélité des Straub au texte de Vittorini même si les cinéastes ont épuré une trame pourtant déjà « sèche » et sans fioriture. Dans le livre, on comprend mieux, par exemple, les raisons (même si elles demeurent assez abstraites) qui poussent le narrateur (Sylvestro) à retourner voir sa vieille mère en Sicile alors qu’il est désormais installé aux Etats-Unis (à la fois une lettre de son père qui lui annonce son départ du domicile conjugal et une volonté d’aller voir ce qui se passe en Europe en cette douloureuse fin des années 30).
Nous reconnaissons très bien les premières parties du livre (l’arrivée au port de Messine, les conversations dans le train vers Syracuse, le face-à-face avec la mère…) et je dois dire que ce fut un plaisir assez inédit que d’avoir à l’esprit les très belles images du film en retrouvant ces longues suites dialoguées. Même lu en français (je ne connais pas l’italien), j’avais l’impression de réentendre l’accent sicilien et les senteurs et lumières de cette île que les Straub ont su si bien capter.
Par contre, on réalise aussi à quel point les cinéastes ont opéré des choix dans leur adaptation pour élider tout ce que le livre peut avoir de symbolique et de métaphorique. Ils se sont concentrés véritablement sur l’aspect « minéral » de cette Sicile que montre le roman : la pauvreté des habitants, la misère des habitations frustes, les souvenirs douloureux des jours où trouver de la nourriture était difficile… De Conversation en Sicile, les Straub ont voulu faire un film universel et immémorial : ils ont donc éliminé tout ce qui dans le livre est plus précisément « daté » (les allusions à la guerre, par exemple).
A travers les mots du rémouleur (la scène reste extraordinaire, aussi bien lue que vue), le message de résistance persiste mais le livre, à la suite de ce personnage, montre bien plus clairement sa logique antifasciste et reste aujourd’hui une critique impitoyable du régime du Duce.
Au départ, Sylvestro suit sa mère dans le village où elle fait des piqûres aux habitants malades. Les scènes sont à la fois plus légères (avec ces belles femmes qui font les coquettes et refusent de se faire piquer devant Sylvestro avant d’accepter et de le troubler par la vision de cette chair nue) mais aussi plus métaphoriques. Souvent, Vittorini place ce petit peuple dans l’ombre des maisons. Le narrateur peut l’entendre mais ne le voit pas : image très belle d’un peuple souffrant dans l’ombre, sous le joug d’un régime odieux. Filant la métaphore, l’écrivain nous lance sur les traces d’une bande d’hommes qui va boire au café et discuter sur « la douleur du genre humain offensé ». Sylvestro se cuite et le temps d’une extraordinaire scène onirique, il dialogue avec son frère mort à la guerre (on n’imagine pas une scène pareille chez les Straub, cinéastes totalement « matérialistes »).
Conversation en Sicile devient alors une méditation très belle sur le sacrifice d’un peuple, sur la vacuité de donner son sang et sur cet héroïsme bidon qui ne consolera jamais les mères de la perte de leurs fils.
Le livre n’a pourtant rien d’un manifeste et s’avère beaucoup plus subtil que ça. Même si une sorte de drapeau rouge flotte à la devanture d’un drapier, cette couleur n’est que le fruit du hasard (vraiment ?). C’est surtout un hommage émouvant à des gens de peu qui souffrent en silence et qui seront, d’une manière ou d’une autre, les éternels sacrifiés.
Un beau livre de résistance, en somme…
NB : Question rituelle : qui me conseillez-vous comme auteur italien pour poursuivre notre bibliothèque idéale ? (pour ma part, j’aime beaucoup les quelques contes que j’ai lus de Boccace, Le héron de Bassani et les nouvelles fantastiques de Buzzati)
Libellés : Bibliothèque idéale, Fascisme, littérature italienne, Straub, Vittorini
6 Comments:
Pour un lecteur d'humeur joueuse, je conseillerai les livres d'Italo Calvino, surtout les villes invisibles, si par une nuit d'hiver..., le vicomte pourfendu, etc.
Plein d'autres idées de conseils, mais pas le temps ce matin...
Je pense qu'il faut avoir lu au moins une fois dans sa vie un livre de Curzio Malaparte, du moins La peau ou bien Kaputt.
Kaputt est le récit de son expérience de correspondant de guerre sur le front de l'est en 1943 et La Peau est celui de la libération de l'Italie et plus particulièrement de Naples la même année.
Pour ma part, je n'ai lu que La Peau. Malaparte y raconte et décrit des scènes souvent très éprouvantes et il le fait très crûment. La lecture n'est pas vraiment de tout repos mais je la crois indispensable. On sort du livre épuisé et plutôt mal à l'aise. Un livre très marquant qu'on a du mal à oublier.
Calvino, Malaparte, oui, comme il n'est pas encore cité, je mettrais en avant "Le guépard" de Tomasi di Lampedusa, qui m'a presque autant plu que le film. Sinon, Boccace et date sont indispensables. Il faudrait que je mette à Petrarque aussi.
Je citerais également le polar "Sous un ciel de plomb" de Giuseppe Genna, Leonardo Sciascia pour ses écrits sur la Sicile et Primo Levi qui a écrit aussi des romans ("Maintenant ou jamais" et "La clef à molette" sont superbes).
"date", n'importe quoi ! C'est bien sûr Dante qu'il faut lire.
Ah oui, Dante, j'approuve !
Et aussi Calvino, Primo Levi, Rosetta Lay...
Moravia s'éloigne? Ce fut pour moi des lectures de l'adolescence importantes... Tout à fait d'accord sur Malaparte (quelle belle maison il possèdait à Capri, à voir) et sur Calvino où le fantastique fait bon ménage avec l'humour.
Bernard Alapetite
Enregistrer un commentaire
<< Home