La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

lundi, juillet 30, 2007

Perturbations

Pour rester dans l’air du temps de ces vacances moroses, je vous annonce quelques perturbations au cœur de mon abécédaire. En effet, ayant pris un an de plus il y a peu (quelle misère !), me voilà donc en possession d’une dizaine de bouquins qu’il va bien me falloir écluser avant de reprendre les chemins de l’imaginaire.

Commençons par deux gros pavés dégottés par mon frère chez un libraire du Caire. Le premier est signé André Suarès. J’avais très envie de découvrir cet auteur, que je ne connaissais pas, après avoir lu les beaux éloges de son Voyage du Condottiere chez des gens aussi différents que Michel Onfray (qui reprend la figure du condottiere dans les premiers chapitres de La sculpture de soi) ou Marc-Edouard Nabe (qui évoque souvent Suarès dans son journal intime et qui le défend dans un article de Oui).

Voici l’homme se présente comme un imposant recueil de réflexions, d’aphorismes et d’évocations poétiques en prose sur des thèmes aussi différents que l’Art, la force, Dieu, l’individu, l’amour…Suarès se définit ainsi : « Je suis athée pour les gens d’église et clérical pour les athées. Trop libre pour les gens d’ordre ; trop d’ordre pour les gens de chaos. Blanc pour les noirs, noir pour les blancs, parce que j’ai plus d’une couleur, et qu’ils sont, blancs ou noirs, gris de poussière. » Sur les traces de Nietzsche, il dessine les contours de l’artiste en « surhomme » et fait l’apologie du « triomphe de la volonté » et de la force de l’individu.

Lorsque Suarès s’en tient à une approche purement esthétique, son livre est passionnant et assez revigorant. C’est d’ailleurs, à mon avis, cette dimension qui touche Nabe : cette espèce de mysticisme esthétique, cette manière de placer l’Art et le Beau au-dessus de tout dans une quête éperdue de l’absolu. Corollaire logique : Suarès se montre impitoyable pour tout ce qui s’éloigne de cet absolu. Il n’a pas de mots assez durs contre la plèbe, les femmes, la presse (« qui peut toucher un journal sans dégoût, n’est pas digne d’ouvrir un beau livre »), la multitude (« De toutes les idées, la plus vile est celle qui mesure la valeur au succès ») ou les scientifiques.

Pour être tout à fait franc, j’avoue que cette littérature me lasse un peu même si je reconnais ses qualités et qu’il m’arriva souvent d’être époustouflé par la force d’une phrase ou d’une réflexion. J’ai un peu de mal également avec une certaine ambiguïté de ce nietzschéisme louchant parfois bizarrement vers l’apologie de la force et du despotisme (je caricature mais il y a un peu de ça).

Intéressant mais sans plus.

Le deuxième pavé que je me suis enfilé est un livre de l’historien Maurice Dommanget. Celui-ci s’est spécialisé dans l’histoire du socialisme et outre des classiques comme l’histoire du drapeau rouge ou l’histoire du premier mai, on lui doit un nombre impressionnant d’ouvrages sur Blanqui. Avec son essai sur Le curé Meslier, Dommanget s’intéresse à l’une des figures les plus atypiques du « socialisme » au 18ème siècle. Jugez plutôt : Jean Meslier fut, sous Louis XIV, un anonyme curé de campagne dans les Ardennes, officiant pendant près de 40 ans dans sa paroisse d’Etrépigny sans le moindre problème si ce n’est quelques bisbilles avec le seigneur du coin qui lui vaudront quelques remontrances de sa hiérarchie. Or, lorsque ce brave curé meurt en 1729, il laisse derrière lui un testament où il confesse avoir prêché toute une vie pour un Dieu auquel il ne croit pas et prône des idées politiques et sociales totalement subversives, allant jusqu’à faire l’apologie du tyrannicide et lançant un fameux mot d’ordre, à savoir « que tous les grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec les boïaux des prêtres » qui sera repris sous diverses formes jusqu’en Mai 68 (Voltaire à Helvétius : « Est-ce que la proposition honnête et modeste d’étrangler le dernier jésuite avec les boyaux du dernier janséniste ne pourrait amener les choses à quelques conciliations »).

Dommanget dresse donc le portrait de ce curé communiste et athée et cherche à saisir l’influence qu’il a pu avoir dans l’histoire. Son livre est avant tout un livre d’historien : rigoureux, documenté, plein de références…, il souffre peut-être de cette sécheresse pour quiconque aime l’histoire racontée avec plus de panache et de souffle épique (à l’instar de la biographie que Bernard Thomas a consacré au grand Marius Jacob).

Mais c’est néanmoins passionnant car la destinée du Testament fut, elle-même, assez curieuse.

Au milieu du 18ème siècle, c’est effectivement Voltaire qui va « lancer » Meslier en publiant des extraits de son testament. Mais curieusement, l’auteur de Candide s’en sert uniquement pour ses propres desseins et fait de Meslier une sorte de déiste (non plus l’athée qu’il était) et supprime toute la dimension « communiste » du Testament.

Sous la Révolution, époque où apparaît un autre fameux « curé rouge » (Sylvain Maréchal), Meslier est timidement redécouvert, notamment par Anarchasis Cloots qui, au moment de « déprêtriser » le pays, propose l’érection d’une statue du curé d’Etrépigny.

A part ça, Meslier reste relativement inconnu (son athéisme heurte, finalement, les grands zélateurs du « culte de la raison ») et ce n’est qu’en 1869 qu’est publié intégralement (en Hollande) le fameux Testament.

Dommanget donne envie de lire l’œuvre de Meslier et de mieux connaître cet OVNI qui fut, avant tout le monde, totalement athée et communiste et révolutionnaire. Voilà qui n’est pas banal pour un prêtre !

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1 Comments:

Anonymous voyance par mail said...

Merci pour tous ces conseils, je vais essayer de les appliquer !

1:57 PM  

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