La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

jeudi, janvier 26, 2006

Journal de guerre


La trahison (2005) de Philippe Faucon avec Vincent Martinez




Dans la mesure où nous n’étions que sept dans la salle, il ne me semble pas inutile de vous rappeler qu’est sorti hier un joli film traitant de manière intelligente un point délicat de l’Histoire (si vous pensez que Spielberg a déjà fait une œuvre historique, vous êtes restés bien naïfs !). Et si d’aventure 20six ne nous empêche pas de publier ces humbles mots, nous nous empresserons de faire l’éloge de ce cinéaste discret qu’est Philippe Faucon.
Depuis une quinzaine d’années, de films en téléfilms, de L’amour à Samia en passant par Sabine, Muriel fait le désespoir de ses parents et Mes 17 ans, Faucon a bâti une œuvre sensible et juste loin de tout effet tapageur ou d’ostentation « auteurisante ».

Jusqu’à présent, son cinéma était principalement axé autour de destins adolescents, son attention se portant particulièrement sur des figures féminines (voir les titres de ses films). Avec la trahison, Faucon nous embarque dans un univers totalement étranger au sien (une section de troufions appelés en Algérie en 1960 pendant la guerre) tout en restant fidèle à son style. Et puisque nous pouvons définir son style comme « réaliste », cela va nous donner l’occasion de revenir sur cette idée et de préciser certains points.

Il semblerait, au vue des commentaires qu’elle a suscités, que ma note sur le voleur de bicyclette ait été pris comme une attaque en règle contre le « néoréalisme » et l’affirmation de l’impossibilité du réalisme à l’écran. En fait, elle se voulait plus un écho à certains débats que nous avons eu avec mes amis de l’équipe de Matière focale qui n’ont jamais caché, eux, leur préférence pour un cinéma beaucoup plus baroque. Ce n’est pas forcément mon cas et j’admire énormément de nombreux cinéastes que l’on peut qualifier de « réalistes » (Cassavetes, Pialat, Eustache, Rohmer…). Mais chez ces gens-là, le Réel est recréé par des moyens uniquement cinématographiques (par la mise en scène). Or bien souvent, les cinéastes qui invoquent le réalisme ne font pas de mise en scène et réduisent le Réel à un ensemble de notations idéologiques, sociologiques, psychologiques… Je pense toujours à ce film de Tavernier, ça commence aujourd’hui, où chaque séquence est traitée pour être significative, où la figure de l’instit représente l’idéal du cinéaste (un saint laïc comme Ariane Ascaride dans Mon père est ingénieur) et où tout finit par ressembler à du mauvais théâtre réaliste.

Il suffit alors de comparer La trahison avec d’autres films sur le même sujet (la question de Heynemann, R.A.S de Boisset) pour se rendre compte que Faucon fait l’inverse des autres. D’une part, il laisse advenir le réel en filmant le quotidien de sa section en gommant toute notation spectaculaire liée à la guerre. Nos hommes traquent le fellaga , fouillent les maisons où ils ne trouvent que femmes et enfants murés dans le silence, déplacent les populations…C’est la guerre vue par le petit bout de la lorgnette mais qui la rend encore plus pesante et effrayante. Il suffit d’un cri hors-champ pour nous laisser deviner toute l’horreur de la torture pratiquée par les français.
D’autre part, Faucon évite tout personnage emblématique, toute idée reçue et cherche d’avantage à rendre l’épaisseur du Réel, son opacité et toutes les contradictions qui se jouent au sein d’une simple patrouille pour ensuite permettre d’en tirer, éventuellement, des idées générales (alors que Boisset et Heynemann partent d’idées générales et utilisent le cinéma comme simple illustration de ces idées). Mais je me rends compte que je n’ai pas parlé de l’enjeu principal du film, à savoir que dans cette patrouille en question, il y a quatre jeunes musulmans appelés pour leur service en Algérie, comme tous les français de leur classe d’âge. C’est chez eux que se nouent tous les dilemmes de l’époque, entre servir un pays qui est censé être le leur (mais malgré leur statut, ils resteront toujours des « bougnouls », des « bicots » !) ou rallier la cause du FLN.

Cette chronique sobre et retenue frappe toujours par sa justesse. Faucon évite tous les pièges du manichéisme, des personnages caricaturaux. A un moment donné, un des bidasses français photographie les habitants d’un village que la patrouille traverse. Je me suis posé la question de savoir si l’appareil, qui me semblait relativement moderne, était bien d’époque. Et à travers cette question totalement anecdotique, je me suis dit que ça n’avait aucune importance puisque Faucon ne cherche pas à reconstituer (travail d’artisans laborieux) mais à restituer un moment d’histoire. Du coup, c’est l’ensemble qui sonne juste et pas seulement d’un point de vue historique (il faut saluer cette manière de capter l’Algérie baignée par le soleil, cette façon de faire vibrer le cadre naturel).

Sans bruit, mais avec une rare finesse, la trahison arrive à saisir une certaine vérité (avec ce que cela suppose de contradictions, de dilemmes, de cas de conscience) d’une page sombre de l’histoire de France.
C’est suffisamment rare pour être signalé…

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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Là aussi je suis le premier! Dilemne: quel site mettre en lien? T'as une preference? Si oui envoie moi un petit mail!

Dr D.

8:51 PM  
Anonymous Anonyme said...

Je vous propose de mettre le lien de site qui aborde des sujets interessantes:
journal-algerien

5:22 PM  

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