"Lagarde et Michard" rose
Eros :
anthologie de littérature érotique (2019) de Claudine
Brécourt-Villars (La Table ronde, 2019) En
librairie depuis le 4 avril 2019
A quoi ressemble cette
« anthologie de littérature érotique » ? A une grosse boite de
friandises où le lecteur aura le choix de picorer au gré de ses envies, de ses
préférences ou, comme moi (je suis consciencieux !), de tout dévorer dans
l’ordre des entrées chronologiques choisies par Claudine Brécourt-Villars.
Lorsqu’il consulte la table
des auteurs sélectionnés, de Rabelais à Virginie Despentes, le lecteur constate
qu’il n’y a pas de quoi faire monter le rouge aux joues des dames patronnesses :
Zola, La Fontaine, Balzac, Flaubert, Rimbaud, Maupassant, Proust, Gide,
Corneille, Voltaire, Breton, Duras, Valery… Eros,
par certains côtés, ressemble à un « Lagarde et Michard » rose, un
panorama de la littérature française dans ce qu’elle a de plus « classique »
tout en montrant que l’érotisme est finalement une des composantes essentielles
de l’Art et que tous les grands écrivains ou presque s’y sont adonné. Le livre permet également de mesurer les
différentes manières d’aborder la question du sexe en littérature, de l’extrême
crudité de Sade aux premiers émois du jeune Marcel lorsqu’il croise le regard
de Gilberte dans Du côté de chez Swann
en passant par le premier rendez-vous galant avorté entre Candide et Cunégonde.
L’un des plaisirs de cette
anthologie tient au contraste qu’il peut exister entre des extraits relevant de
la pornographie la plus frontale tandis que d’autres jouent la carte de la
suggestion, de l’allusion, du contournement pudique… Mais dans les deux cas, ce
qui importe reste le plaisir des mots, qu’ils soient transgressifs, amusés et
amusants, potaches ou tragiques…
Tous les courants sont
représentés dans ce florilège : les « classiques » de l’érotisme
qu’on s’attend à retrouver (Sade, Nerciat, Restif de la Bretonne, Loüys,
Bataille, Pauline Réage…) mais aussi les libertins du XVIIIe siècle, les
incontournables de la « littérature sous le manteau » (Thérèse philosophe, Margot la ravageuse…), les fantaisies surréalistes d’Aragon et
Péret, les exubérances de la littérature « fin de siècle » (Mirbeau,
Huysmans, Lorrain…) et les fastes de la poésie romantique et post romantique (Baudelaire,
Rimbaud, Lautréamont)…
De la même manière, Claudine
Brécourt-Villars passe en revue les différents genres littéraires ayant permis
l’éclosion de cet érotisme, de la poésie au roman en passant par les
correspondances sulfureuses (Musset et Sand, Maupassant, Léautaud…), le blason
(délicieux poème de Queneau), le journal intime, la confession, le manifeste, l’épigramme…
L’anthologie nous permettra également d’explorer en profondeur (si j’ose dire)
les tours et détours du fantasme, du désir et du plaisir. Seront évoquées les
passions les plus bénignes (le fétichisme des bottes dans Le Journal d’une femme de chambre de Mirbeau, le voyeurisme chez Madame
de la Fayette ou Raymond Guérin, la masturbation chez Paul Bonnetain…) et les
plus sulfureuses comme la nécrophilie (chez Nelly Kaplan et Gabrielle Wittkop)
ou la pédophilie (Flaubert confessant son inclination pour les (très) jeunes
garçons égyptiens lors de son séjour au pays des pharaons, la poésie de Julien
Cendres). L’amour s’y exprimera d’une façon romantique (la cristallisation chez
Stendhal) ou enflammée et, surtout, sous toutes ses formes : célébration
de la femme par les hommes (Marot célébrant le « beau tétin » tandis
que Ronsard glorifie la « merveillette fente » et que Jules Verne
narre les déboires d’un « poil de cul »), de l’homme par la femme (Deforges
fantasmant sur un beau camionneur tandis qu’Alina Reyes s’emballe pour son
boucher) mais également les amours homosexuelles masculines (Cocteau, Genet, Gide
ou la crudité bouleversante d’Hervé Guibert) et féminines (Renée Vivien, Violette
Leduc…).
Encore une fois, c’est la
puissance des mots qui permet de repousser les limites et d’explorer les champs
infinis du fantasme, y compris dans ce qu’il peut avoir de plus « violent »
et inavouable. Si Jean-Jacques Rousseau confesse le plaisir qu’il a pris,
enfant, à recevoir une fessée, d’autres exploreront avec plus de brutalité les ambiguïtés
de la domination/soumission, notamment Xavière, Catherine Robbe-Grillet ou
André Pieyre de Mandiargues dans le délirant L’Anglais décrit dans le château fermé où une adolescente de 13 ans
est pénétrée par des poulpes ( !) et livrée à des molosses. Ce que Sade
avait compris, et Lautréamont, Apollinaire et Péret à sa suite (entre autres),
c’est le pouvoir sans limite de la littérature et des mots, la plus parfaite
liberté qu’ils permettent pour explorer les recoins les plus masqués de l’âme
humaine.
A l’heure où certains
aimeraient mettre les mots en cage, cette anthologie rose vient remettre les
pendules à l’heure. Je parlais de « friandises » en début de note. Il
vaudrait peut-être mieux évoquer un apéritif, des mignardises qui ouvrent l’appétit
et qui donne envie de se replonger dans tous les livres sélectionnés par les
bons soins de Claudine Brécourt-Villars.
Libellés : Claudine Brécourt-Villars, érotisme, Pornographie
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