La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

jeudi, avril 17, 2008

Bibliothèque idéale n°13 : la littérature lusitanienne

Le gardeur de troupeaux et les autres poèmes d’Alberto Caeiro avec Poésies d’Alvaro de Campos (1914) de Fernando Pessoa (Gallimard. Poésie 2006)


Retour à la bibliothèque idéale avec, ma foi, une catégorie qui ne va pas m’attirer de nombreux commentateurs, à savoir la littérature lusitanienne (entendez par là la littérature portugaise et brésilienne). Non seulement je n’avais lu aucun auteur de ces pays mais mis à part quelques noms propres (Pessoa, Amado) ou titres (Amour de perdition, parce que Manoël de Oliveira l’a adapté au cinéma), je n’ai pratiquement jamais entendu parler des livres cités dans la liste.

Difficile d’effectuer un choix dans ces conditions et j’ai été au plus simple en me ruant sur les poésies de Pessoa, le plus célèbre des auteurs lusitaniens (c’est aussi le plus simple –le seul ?- à trouver dans les librairies de province !).

J’ai envie d’écrire la même chose que ce que je disais à dans ma note consacrée à Eluard : difficile de « commenter » de la poésie. Notons cependant qu’au cours de son existence, Pessoa s’est plu à s’inventer de nombreux « doubles », offrant à chaque fois au lecteur une facette différente de sa propre personnalité.

Les poèmes signés Alberto Caeiro représentent la veine « païenne » de Pessoa, des textes marqués par un rapport au monde direct, aucunement troublé par une quelconque métaphysique ou pensée humaine. Tout passe par le regard chez Caeiro :

« Je regarde et je m’émeus.

Je m’émeus ainsi que l’eau coule lorsque le sol est en

pente.

Et ma poésie est naturelle comme le lever du vent. »

En dehors de ce regard, il n’y a rien : les choses sont les choses, indépendamment de ce que la pensée humaine veut leur prêter. Inutile alors d’espérer avoir la moindre influence sur le monde :

« Si les choses étaient différentes, elles seraient différentes, voilà tout.

Si les choses étaient selon ton cœur, elles seraient selon ton cœur.

Malheur à toi et à tous ceux qui passent leur existence

à vouloir inventer la machine à faire du bonheur ! »

Je ne sais pas si à ce point de détachement, on peut encore parler de stoïcisme mais la beauté des vers libres de Pessoa réside dans la manière qu’il a de faire ressentir physiquement la présence du monde environnant. Et parfois de laisser percer une certaine mélancolie face à son immuabilité qui contraste avec l’éphémère des passions humaines :

« Le souvenir est une trahison envers la Nature,

parce que la Nature d’hier n’est pas la Nature.

Ce qui fut n’est rien, et se souvenir c’est ne pas voir.

Passe, oiseau, passe, et apprends-moi à passer ! »

Alvaro de Campos incarne davantage le pendant « moderne » de Pessoa (parfois proche des futuristes italiens). Lorsqu’il écrit « Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde », j’ai songé au grand Arthur Cravan. Les poésies regroupées ici témoignent du même regard sur le monde même si la désillusion l’emporte désormais sur le total détachement. Pour preuve, ce passage que je trouve magnifique et qui fera office de conclusion :

« Nous avons tous deux vie :

la vraie, celle que nous avons rêvée dans notre enfance,

et que nous continuons à rêver, adultes, sur un fond de

brouillard ;

la fausse, celle que nous vivons dans nos rapports avec les

autres,

qui est la pratique, l’utile,

celle où l’on finit par nous mettre au cercueil. »

NB : Alors, messieurs dames, quels livres lusitaniens me conseillez-vous pour étayer ma très pauvre, en la matière, bibliothèque idéale?

Libellés : , , ,

2 Comments:

Blogger losfeld said...

A part Pessoa que j'ai un peu lu il y a longtemps mais dont je garde un bon souvenir (Le Livre de l'intranquilité)... rien j'avoue mon inculture. Par contre des amis (dont je partage les goûts et dégoûts) m'ont très fortement conseillé Miguel Torga dont j'ai acheté 2 ou 3 livres toujours pas ouverts... à suivre donc.

7:43 PM  
Anonymous voyance serieuse rapide said...

Très bel article, je suis totalement d’accord avec toi.

12:30 PM  

Enregistrer un commentaire

<< Home