Redécouvrir Marcel Moreau
Kamalalam de Marcel Moreau. (L’âge d’homme. 1982)
Je profite de l’occasion qui m’est donnée de parler de Marcel Moreau pour louer en quelques lignes celui qui m’a fait découvrir cet auteur, à savoir Noël Godin. Si tout le monde connaît le fameux entarteur belge dont les exploits désopilants constituent un bon fond de commerce pour les bêtisiers télévisuels (au Japon, raconte Godin, la télévision a toujours pris les « attentartes » visant BHL pour un numéro de duettiste et considère le « néo-falosophe » comme une sorte de Jerry Lewis belge !) ; beaucoup ignorent que notre bonhomme est avant tout un fabuleux érudit, féru de cinéma (ses chroniques cinématographiques, qu’elles soient « sérieuses » ou totalement inventées, sont un régal à lire) et de littérature « pyromanesque » (comme dirait justement Moreau). En 1988, il publia une monumentale Anthologie de la subversion carabinée, recueil éminemment dissolvant des textes les plus malfaisants écrits par ceux que l’ineffable Charles Pasqua appelle les « professionnels de la déstabilisation » (de Diogène à Baudrillard en passant par les situs, les surréalistes, les anarchistes individualistes et les agitateurs et révolutionnaires de toute sorte). Autant dire que cette anthologie reste une mine où j’aime à aller puiser pour dégotter mes bouquins chez les libraires ou sur les quais de Seine !
C’est donc chez Godin que j’ai entendu parler de Marcel Moreau pour la première fois. De l’auteur de L’ivre livre et du Discours contre les entraves ; il écrit : « Des radjahs de « la littérature d’irrésignation au mal de vivre et de devoir mourir », il n’y a probablement en ce demi-siècle que Marcel Moreau (et le Vaneigem du Traité) à être vraiment arrivé, « par la force termitique des mots », à décider certains de ses lecteurs à « irréprimer ses instincts », à se laisser par eux « élever aux intempérances fécondes » qui « lardent de lames la ventrue réalité » bourgeoise. »
Voilà qui met, reconnaissez-le, l’eau à la bouche ! Seulement voilà, les livres de Moreau ne se trouvent guère facilement (encore que Denoël a réédité récemment quatre de ses premiers romans en brique). D’où ma joie et mon empressement à me jeter sur Kamalalam lorsque je l’ai découvert sur les rayonnages d’une grande librairie locale(1).
Que recouvre ce titre sibyllin (qu’il faut lire phonétiquement : « Qui a mal à l’âme ») ? Moreau le précise dès ses premières lignes : « Kamalalam, c’est moi, en éclair de folie. Mais il y a Emma. Et Emma, c’est moi, en lueur de raison. Lorsque Kamalalam fait l’amour à Emma, il en résulte ce que l’on appelle un « essai ». Quand il la viole, il écrit une œuvre qu’à défaut d’un autre terme je baptiserai « roman » ».
Pas question de « viol » ici puisque le film se présente à nous plutôt comme un « essai » ou, du moins, une sorte d’autoportrait où depuis ses ténèbres intérieures, l’écrivain jette un regard venimeux sur les atrocités et médiocrités qui composent notre monde et l’éclaire à l’aune de ses flammes vengeresses. Découpé en courts chapitres (38 pour 210 pages), Moreau jette sa gourme avec une verve imparable sur un certain nombre de sujets qu’il éclaire d’un œil neuf (Kamalalam et Dieu, Kamalalam et la bourgeoisie, et la morale, et l’anarchisme, et le racisme, et l’écriture réaliste, etc. ) Avec pour fil conducteur, cette volonté surpuissante de « démutiler » l’individu et de lui faire prendre conscience de sa souveraineté absolue.
D’où des pages admirables où l’auteur s’en prend avec la même faconde aux différentes idéologies, aux états (« les Etats et les idéologies criminels lui sembleront toujours plus digne de notre haine et de notre dégoût que le plus solitaire de nos hors-la-loi. ») , aux différentes formes de religiosité (« Il considère que toutes les idéologies, qui ont chassé Dieu mais garde la religiosité, c’est à dire les comportements dévots, sont plus misérables, plus mensongères et finalement plus liberticides que tout ce qui s’est fait et se fait encore au nom du Dieu invisible »), aux comportements moutonniers et au conformisme mou, au culte du progrès et à la religion de la science (« Rien ne semble plus singulariser cette civilisation que sa sénescence. Nous sommes vieux ; nos gouvernements, nos idéologies, nos arts et nos techniques sont vieux. Et plus nous irons de l’avant dans la modernité, plus vite nous vieillirons. Les microprocesseurs, la télématique, le nucléaire, c’est déjà une gérontique. »).
Ennemi de tout ce qui rapetisse l’individu, Moreau en vient à se positionner sur ses positions politiques (« Il est épicentriste. Il est du parti des plus fortes secousses de l’esprit ».) et notamment par rapport à l’anarchisme.
Les pages qu’il consacre à l’anarchie sont assez passionnantes car Moreau prend fermement ses distances avec l’anarchisme « social » et la pauvreté d’inspiration de certains révolutionnaires dont le discours se limite à « A bas les flics, l’armée et le gouvernement » tout en louant l’indispensable esprit de révolte et en tentant de définir une véritable pensée libertaire constructive et frénétique, issue de la créativité d’individus parvenant à abolir « l’Etat » qu’il porte en eux, « cet inqualifiable anti-moi qui nous masque inlassablement la trame vertigineuse de notre espace intérieur ».
Pour Moreau, les limites dont doit s’affranchir l’individu sont d’abord celles qu’il porte en lui. C’est par une écriture convulsive et viscérale qu’il parvient à explorer son « moi » intérieur et le libérer de toutes les chaînes qui l’oppriment. Et c’est cette écriture qui invite chacun de nous à le faire loin de tous les dogmatismes, les hypocrisies et la bienséance. « Seule cette recherche d’un style, d’une héraldique libertaire peut régler son compte à l’idée communément admise que l’aventure anarchiste est la plus pauvre qui soit en mots, en idées, en réussites et en hommes. ».
S’embarquer avec Kamalalam, c’est sonder les gouffres volcaniques d’un homme luttant de toutes ses forces pour s’affirmer en tant qu’individu libre et souverain. Son regard sur le monde est à la fois accablant mais totalement exaltant tant il invite à libérer de ses chaînes le Prométhée qui gît en nous…
Je profite de l’occasion qui m’est donnée de parler de Marcel Moreau pour louer en quelques lignes celui qui m’a fait découvrir cet auteur, à savoir Noël Godin. Si tout le monde connaît le fameux entarteur belge dont les exploits désopilants constituent un bon fond de commerce pour les bêtisiers télévisuels (au Japon, raconte Godin, la télévision a toujours pris les « attentartes » visant BHL pour un numéro de duettiste et considère le « néo-falosophe » comme une sorte de Jerry Lewis belge !) ; beaucoup ignorent que notre bonhomme est avant tout un fabuleux érudit, féru de cinéma (ses chroniques cinématographiques, qu’elles soient « sérieuses » ou totalement inventées, sont un régal à lire) et de littérature « pyromanesque » (comme dirait justement Moreau). En 1988, il publia une monumentale Anthologie de la subversion carabinée, recueil éminemment dissolvant des textes les plus malfaisants écrits par ceux que l’ineffable Charles Pasqua appelle les « professionnels de la déstabilisation » (de Diogène à Baudrillard en passant par les situs, les surréalistes, les anarchistes individualistes et les agitateurs et révolutionnaires de toute sorte). Autant dire que cette anthologie reste une mine où j’aime à aller puiser pour dégotter mes bouquins chez les libraires ou sur les quais de Seine !
C’est donc chez Godin que j’ai entendu parler de Marcel Moreau pour la première fois. De l’auteur de L’ivre livre et du Discours contre les entraves ; il écrit : « Des radjahs de « la littérature d’irrésignation au mal de vivre et de devoir mourir », il n’y a probablement en ce demi-siècle que Marcel Moreau (et le Vaneigem du Traité) à être vraiment arrivé, « par la force termitique des mots », à décider certains de ses lecteurs à « irréprimer ses instincts », à se laisser par eux « élever aux intempérances fécondes » qui « lardent de lames la ventrue réalité » bourgeoise. »
Voilà qui met, reconnaissez-le, l’eau à la bouche ! Seulement voilà, les livres de Moreau ne se trouvent guère facilement (encore que Denoël a réédité récemment quatre de ses premiers romans en brique). D’où ma joie et mon empressement à me jeter sur Kamalalam lorsque je l’ai découvert sur les rayonnages d’une grande librairie locale(1).
Que recouvre ce titre sibyllin (qu’il faut lire phonétiquement : « Qui a mal à l’âme ») ? Moreau le précise dès ses premières lignes : « Kamalalam, c’est moi, en éclair de folie. Mais il y a Emma. Et Emma, c’est moi, en lueur de raison. Lorsque Kamalalam fait l’amour à Emma, il en résulte ce que l’on appelle un « essai ». Quand il la viole, il écrit une œuvre qu’à défaut d’un autre terme je baptiserai « roman » ».
Pas question de « viol » ici puisque le film se présente à nous plutôt comme un « essai » ou, du moins, une sorte d’autoportrait où depuis ses ténèbres intérieures, l’écrivain jette un regard venimeux sur les atrocités et médiocrités qui composent notre monde et l’éclaire à l’aune de ses flammes vengeresses. Découpé en courts chapitres (38 pour 210 pages), Moreau jette sa gourme avec une verve imparable sur un certain nombre de sujets qu’il éclaire d’un œil neuf (Kamalalam et Dieu, Kamalalam et la bourgeoisie, et la morale, et l’anarchisme, et le racisme, et l’écriture réaliste, etc. ) Avec pour fil conducteur, cette volonté surpuissante de « démutiler » l’individu et de lui faire prendre conscience de sa souveraineté absolue.
D’où des pages admirables où l’auteur s’en prend avec la même faconde aux différentes idéologies, aux états (« les Etats et les idéologies criminels lui sembleront toujours plus digne de notre haine et de notre dégoût que le plus solitaire de nos hors-la-loi. ») , aux différentes formes de religiosité (« Il considère que toutes les idéologies, qui ont chassé Dieu mais garde la religiosité, c’est à dire les comportements dévots, sont plus misérables, plus mensongères et finalement plus liberticides que tout ce qui s’est fait et se fait encore au nom du Dieu invisible »), aux comportements moutonniers et au conformisme mou, au culte du progrès et à la religion de la science (« Rien ne semble plus singulariser cette civilisation que sa sénescence. Nous sommes vieux ; nos gouvernements, nos idéologies, nos arts et nos techniques sont vieux. Et plus nous irons de l’avant dans la modernité, plus vite nous vieillirons. Les microprocesseurs, la télématique, le nucléaire, c’est déjà une gérontique. »).
Ennemi de tout ce qui rapetisse l’individu, Moreau en vient à se positionner sur ses positions politiques (« Il est épicentriste. Il est du parti des plus fortes secousses de l’esprit ».) et notamment par rapport à l’anarchisme.
Les pages qu’il consacre à l’anarchie sont assez passionnantes car Moreau prend fermement ses distances avec l’anarchisme « social » et la pauvreté d’inspiration de certains révolutionnaires dont le discours se limite à « A bas les flics, l’armée et le gouvernement » tout en louant l’indispensable esprit de révolte et en tentant de définir une véritable pensée libertaire constructive et frénétique, issue de la créativité d’individus parvenant à abolir « l’Etat » qu’il porte en eux, « cet inqualifiable anti-moi qui nous masque inlassablement la trame vertigineuse de notre espace intérieur ».
Pour Moreau, les limites dont doit s’affranchir l’individu sont d’abord celles qu’il porte en lui. C’est par une écriture convulsive et viscérale qu’il parvient à explorer son « moi » intérieur et le libérer de toutes les chaînes qui l’oppriment. Et c’est cette écriture qui invite chacun de nous à le faire loin de tous les dogmatismes, les hypocrisies et la bienséance. « Seule cette recherche d’un style, d’une héraldique libertaire peut régler son compte à l’idée communément admise que l’aventure anarchiste est la plus pauvre qui soit en mots, en idées, en réussites et en hommes. ».
S’embarquer avec Kamalalam, c’est sonder les gouffres volcaniques d’un homme luttant de toutes ses forces pour s’affirmer en tant qu’individu libre et souverain. Son regard sur le monde est à la fois accablant mais totalement exaltant tant il invite à libérer de ses chaînes le Prométhée qui gît en nous…
1 Il en reste encore deux exemplaires à 4 euros pièce !
Libellés : Anarchisme, Godin, Moreau
1 Comments:
Merci pour cet article qui m’a fait découvrir votre site très intéressant. Au plaisir de vous lire à nouveau.
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