Redécouvrir John Cowper Powys
Le sens de la culture (1981. L’âge d’homme) et L’art du bonheur (1984. L’âge d’homme) de John Cowper Powys.
Cela faisait un certain temps que je voulais découvrir John Cowper Powys, auteur gallois peu connu mais jouissant d’une très bonne réputation chez les initiés. Peu avare de superlatifs, Marc-Edouard Nabe écrit dans le premier volume de son journal intime (l’indispensable Nabe’s dream) : « L’enthousiasme de Diaz me confirme […] les cent coudées que Powys, comme Bloy, Céline ou Suarès, ont sur les autres écrivains : cette force qui peut convaincre tout le monde, cette guérison, ce baume qui soulage sans distinction tous ceux qui n’ont pas les moyens de percer leur violence. […] Powys n’est pas un génie, c’est un dieu. »
Auteur d’une Autobiographie que je rêve de dénicher, romancier, essayiste, conférencier (il vécut en nomade aux Etats-Unis de 1904 à 1934), Powys a bâti une œuvre monumentale d’où surgissent les torrents d’une pensée vivifiante et d’une rare richesse comme j’ai pu le constater en découvrant les deux essais dont je vais vous toucher quelques mots.
Au cœur du Sens de la culture et de l’art du bonheur, il y a la tentative de définir les contours d’une éthique individuelle. Powys ne croit qu’en l’individu et en sa liberté (« Nous devrions, en fait, être fiers de notre personnalité pour la seule raison qu’elle est ce qu’elle est et qu’elle est unique »). C’est en chacun de nous que gît notre capacité à supporter la vie et à accéder au bonheur. Pour le dire de manière très schématique, notre auteur s’inscrit à la fois dans la lignée des stoïciens (être capable de trouver en-soi la manière de résister aux catastrophes auxquelles la vie nous confronte) et des disciples d’Epicure (à savoir ne jamais se résigner à la fatalité et toujours puiser dans l’élan vital qui est en nous pour jouir au maximum de la vie). On peut aussi voir une certaine communion d’esprit avec certains poètes (Walt Whitman) ou essayiste (Emerson) américains pour ce qui est de son panthéisme, de sa quête éperdue d’une harmonie entre l’individu et la nature. Mais ce qui m’a particulièrement réjouit chez Powys, c’est le caractère extrêmement « combatif » de sa prose, l’absence de nostalgie dont il fait preuve pour un éventuel « Paradis perdu » et sa volonté jamais démentie de raffiner les forces que nous possédons en nous pour parfaire notre liberté.
En ce sens, son essai sur la culture est aussi passionnant que revigorant. Il écrit : « La véritable culture, est, et sera toujours personnelle, individuelle, anarchiste. La vie est fondée sur le fait d’oublier combien elle est intolérable. » ou encore : « La culture a pour but de produire un esprit libre. Libre au sens le plus profond du terme. Libre du fanatisme de la religion, du fanatisme de la science et du fanatisme de la foule. ». On commence à voir se dessiner le programme de l’auteur : à mille lieues de tout pédantisme, il définit la culture comme une nourriture individuelle permettant de polir notre personnalité et de jouir de manière encore plus intense de la vie. Dans la première partie de son essai, l’auteur (grand amateur d’Homère, de Rabelais, de Dante, de Shakespeare, de Dostoïevski…) analyse ce que peuvent apporter à l’homme la philosophie, la littérature, la poésie, la peinture et même la religion ; tandis que dans la seconde, il prend mesure des « applications » de cette culture dans le cadre d’un véritable « art de vivre » ; avec toujours l’idée que cette culture ne soit pas « séparée », qu’elle ne soit pas qu’un simple vernis permettant de briller en société : « Mieux vaut une culture fort restreinte qui nous rende libres et donne de l’aisance aux mouvements naturels de la psyché individuelle qu’une grande culture étendue, pesante, rigide, à l’extérieur de nous-mêmes ».
On retrouve la même exigence individuelle et vécue dans L’art du bonheur, essai un peu moins dense mais également grisant. Une fois de plus, Powys va puiser dans les milles richesses blotties au cœur de l’individu pour exalter un combat permanent pour atteindre le bonheur. Après avoir proposé quelques « méthodes » (on comprendra en le lisant ce que sont l’acte « ichtyen » et celui de « dé-carnation ») qui rappelle encore une fois les stoïques (cette manière de s’abstraire du flux des malheurs quotidiens et d’aller trouver en-soi les ressources pour supporter la vie) ; Powys analyse avec une rare modernité ce que peut être « l’art du bonheur » au sein du couple quand les premiers feux de la passion commencent à s’éteindre. Là encore, c’est la primauté de la liberté individuelle (qui n’existe pas sans ce corollaire indispensable qui est la reconnaissance de la liberté de l’autre) qui est au cœur des préoccupations de l’auteur : « L’un des ultimes secrets du bonheur pour un homme et une femme désireux de continuer à vivre ensemble quand la routine aura altéré la romance du début de leur passion, est qu’ils devraient abandonner radicalement leur tentative de partager tous leurs plaisirs respectifs ».
Ces deux essais de Powys tendent à accroître et raffiner la liberté de l’individu ; à développer un « art de jouir » inséparable d’une conscience aiguë de la nature et de la vie qui nous entourent. Sa prose a quelque chose de très charnel et fait ressentir profondément l’odeur de la glèbe. Lire Powys, c’est se retrouver dans de vaste prairie humide en automne, être soudain sensible au vol des oiseaux et au bruit que fait le vent dans les feuilles des arbres. Mais sa vision de la Nature n’est jamais béate car il a placé l’Homme et son combat individuel pour le Bonheur au cœur de son œuvre. Et c’est sans doute ça qui nous le rend si précieux…
Cela faisait un certain temps que je voulais découvrir John Cowper Powys, auteur gallois peu connu mais jouissant d’une très bonne réputation chez les initiés. Peu avare de superlatifs, Marc-Edouard Nabe écrit dans le premier volume de son journal intime (l’indispensable Nabe’s dream) : « L’enthousiasme de Diaz me confirme […] les cent coudées que Powys, comme Bloy, Céline ou Suarès, ont sur les autres écrivains : cette force qui peut convaincre tout le monde, cette guérison, ce baume qui soulage sans distinction tous ceux qui n’ont pas les moyens de percer leur violence. […] Powys n’est pas un génie, c’est un dieu. »
Auteur d’une Autobiographie que je rêve de dénicher, romancier, essayiste, conférencier (il vécut en nomade aux Etats-Unis de 1904 à 1934), Powys a bâti une œuvre monumentale d’où surgissent les torrents d’une pensée vivifiante et d’une rare richesse comme j’ai pu le constater en découvrant les deux essais dont je vais vous toucher quelques mots.
Au cœur du Sens de la culture et de l’art du bonheur, il y a la tentative de définir les contours d’une éthique individuelle. Powys ne croit qu’en l’individu et en sa liberté (« Nous devrions, en fait, être fiers de notre personnalité pour la seule raison qu’elle est ce qu’elle est et qu’elle est unique »). C’est en chacun de nous que gît notre capacité à supporter la vie et à accéder au bonheur. Pour le dire de manière très schématique, notre auteur s’inscrit à la fois dans la lignée des stoïciens (être capable de trouver en-soi la manière de résister aux catastrophes auxquelles la vie nous confronte) et des disciples d’Epicure (à savoir ne jamais se résigner à la fatalité et toujours puiser dans l’élan vital qui est en nous pour jouir au maximum de la vie). On peut aussi voir une certaine communion d’esprit avec certains poètes (Walt Whitman) ou essayiste (Emerson) américains pour ce qui est de son panthéisme, de sa quête éperdue d’une harmonie entre l’individu et la nature. Mais ce qui m’a particulièrement réjouit chez Powys, c’est le caractère extrêmement « combatif » de sa prose, l’absence de nostalgie dont il fait preuve pour un éventuel « Paradis perdu » et sa volonté jamais démentie de raffiner les forces que nous possédons en nous pour parfaire notre liberté.
En ce sens, son essai sur la culture est aussi passionnant que revigorant. Il écrit : « La véritable culture, est, et sera toujours personnelle, individuelle, anarchiste. La vie est fondée sur le fait d’oublier combien elle est intolérable. » ou encore : « La culture a pour but de produire un esprit libre. Libre au sens le plus profond du terme. Libre du fanatisme de la religion, du fanatisme de la science et du fanatisme de la foule. ». On commence à voir se dessiner le programme de l’auteur : à mille lieues de tout pédantisme, il définit la culture comme une nourriture individuelle permettant de polir notre personnalité et de jouir de manière encore plus intense de la vie. Dans la première partie de son essai, l’auteur (grand amateur d’Homère, de Rabelais, de Dante, de Shakespeare, de Dostoïevski…) analyse ce que peuvent apporter à l’homme la philosophie, la littérature, la poésie, la peinture et même la religion ; tandis que dans la seconde, il prend mesure des « applications » de cette culture dans le cadre d’un véritable « art de vivre » ; avec toujours l’idée que cette culture ne soit pas « séparée », qu’elle ne soit pas qu’un simple vernis permettant de briller en société : « Mieux vaut une culture fort restreinte qui nous rende libres et donne de l’aisance aux mouvements naturels de la psyché individuelle qu’une grande culture étendue, pesante, rigide, à l’extérieur de nous-mêmes ».
On retrouve la même exigence individuelle et vécue dans L’art du bonheur, essai un peu moins dense mais également grisant. Une fois de plus, Powys va puiser dans les milles richesses blotties au cœur de l’individu pour exalter un combat permanent pour atteindre le bonheur. Après avoir proposé quelques « méthodes » (on comprendra en le lisant ce que sont l’acte « ichtyen » et celui de « dé-carnation ») qui rappelle encore une fois les stoïques (cette manière de s’abstraire du flux des malheurs quotidiens et d’aller trouver en-soi les ressources pour supporter la vie) ; Powys analyse avec une rare modernité ce que peut être « l’art du bonheur » au sein du couple quand les premiers feux de la passion commencent à s’éteindre. Là encore, c’est la primauté de la liberté individuelle (qui n’existe pas sans ce corollaire indispensable qui est la reconnaissance de la liberté de l’autre) qui est au cœur des préoccupations de l’auteur : « L’un des ultimes secrets du bonheur pour un homme et une femme désireux de continuer à vivre ensemble quand la routine aura altéré la romance du début de leur passion, est qu’ils devraient abandonner radicalement leur tentative de partager tous leurs plaisirs respectifs ».
Ces deux essais de Powys tendent à accroître et raffiner la liberté de l’individu ; à développer un « art de jouir » inséparable d’une conscience aiguë de la nature et de la vie qui nous entourent. Sa prose a quelque chose de très charnel et fait ressentir profondément l’odeur de la glèbe. Lire Powys, c’est se retrouver dans de vaste prairie humide en automne, être soudain sensible au vol des oiseaux et au bruit que fait le vent dans les feuilles des arbres. Mais sa vision de la Nature n’est jamais béate car il a placé l’Homme et son combat individuel pour le Bonheur au cœur de son œuvre. Et c’est sans doute ça qui nous le rend si précieux…
3 Comments:
"L'indispensable Nabe's Dream" ? Tu apprécies Marc-Édouard Nabe ?...
Personnellement, parmi les thuriféraires de Céline, je préfère Philippe Muray, excellent styliste et profond analyste, jusqu'à sa mort, de l'hyper-modernité.
Ce que tu écris me donne envie de découvrir Powys. Jusqu'à présent, seul mon prof de philo de terminale m'avait parlé de cet auteur.
Oui, j'aime beaucoup Nabe même si je suis loin de connaître tous ses livres Le premier tome de son journal intime m'a vraiment emballé et je trouve qu'il est un des derniers stylistes de la langue française (j'ai rendu compte dans ce blog d'"Au régal des vermines")
Philippe Muray, je ne connais que de nom. A découvrir, donc.
J’ai sincèrement apprécié cet article qui apporte une véritable aide.
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