Redécouvrir Chesterton
Les quatre petits saints du crime (L’âge d’homme. 1984) et Le monde comme il ne va pas (L’âge d’homme.1994) de Gilbert Keith Chesterton
De tous les auteurs que je vous invite à (re)découvrir ces derniers temps, Chesterton est le seul dont j’avais déjà lu quelques livres, notamment le délicieux Club des métiers bizarres, aventures policières totalement farfelues représentant à merveille le style paradoxal et excentrique de l’auteur. Si Le monde comme il ne va pas est un pamphlet virulent et drôle contre la modernité naissante en ce début de 20ème siècle, Les quatre petits saints du crime s’inscrit dans la lignée des récits fantaisistes de Chesterton.
Un prologue nous introduit dans un nouveau « club » mystérieux, celui des « Hommes Incompris ». Suivront ensuite quatre historiettes mettant en scène, par ordre d’entrée en piste, un assassin modéré, un charlatan honnête, un voleur mystique et un traître fidèle. Ces dénominations laissent entendre à quels genres de paradoxes nous invite Chesterton avec beaucoup de style, d’humour et de flegme. A travers ces savoureux divertissements construits, à l’instar des Contes moraux de Rohmer, sur le même modèle (celui d’un faux-coupable dont les actions sont jugées différemment selon le point de vue dont elles sont envisagées) se dessinent d’étranges paradoxes (« Je disais seulement l’autre jour que ce dont la plupart des gens ont besoin, c’est d’être un peu assassinés, surtout ceux qui sont en situation de responsabilité politique ») qui nous poussent à regarder le monde sous un angle différent. Si ces quatre « criminels » apparaissent finalement comme des « saints » (ils ne sont, en fait, ni l’un ni l’autre), c’est que Chesterton nous a amené à décentrer notre regard et à relativiser leurs actions. Je vous laisse le loisir de réfléchir à certaines actions pouvant paraître criminelles au premier coup d’œil et qui le sont peut-être moins que le système qui les a vues éclore…
On retrouve cette même manière de porter un regard « décentré » sur le monde dans son pamphlet le monde comme il ne va pas. Etrange livre qui déconcerte nos certitudes contemporaines. Un bien-pensant de gauche le relèguera d’emblée dans la catégorie des ouvrages « réactionnaires ». Chesterton professe effectivement de drôles d’idées quant à la place des femmes dans la société (elles doivent rester au foyer) et aux revendications des suffragettes. De la même manière, il se montre relativement hostile à l’instruction publique. A côté de cela, les biens-pensants de droite hurleront devant ce livre qui prêche également la révolution et crache sans vergogne sur la ploutocratie aristocrate britannique, sur la grande propriété foncière qui empêche chacun de jouir de sa propre propriété.
Finalement, les termes de « progressif » et « réactionnaire » ne rendent pas compte de la pensée du grand écrivain catholique qui place l’homme au centre de tout son « système »: « C’est cela l’énorme hérésie moderne qui consiste à modifier l’âme humaine pour qu’elle s’adapte aux conditions, au lieu de modifier les conditions pour qu’elles s’adaptent à l’âme humaine ».
Lorsqu’il défend la « famille » ou la « propriété », il ne le fait jamais au nom d’une prétendue tradition ou de privilèges archaïques. Pour lui, la famille est avant tout la dernière cellule « anarchique » ou l’individu peut jouir d’une liberté totale (Chesterton dit que rien ne nous empêche, en famille, de manger par terre – ce qui est plus difficile au restaurant- ou de prendre le thé en pantoufles et robe de chambre) et où l’emprise du monde n’a pas court (« Si un bébé réclame la lune en pleurnichant, le gendarme ne pourra pas plus aller la lui décrocher qu’il ne pourra le calmer ») . De même, le regard qu’il porte sur la propriété le rapproche plus de certains anarchistes individualistes (Stirner, Ernest Armand…) que des conservateurs libéraux. Il défend la propriété à condition qu’elle soit équitablement redistribuée et que chacun puisse jouir de son propre bien.
Même si l’on n’est pas obligé d’acquiescer à chacune de ses vues, on ne peut que reconnaître l’actualité d’un essai qui pointe déjà les dangers du modernisme, de cette manière dont l’Etat et les spécialistes viennent légiférer et réguler nos actions quotidiennes (il y a des pages d’une rare truculence où Chesterton loue les plaisirs de fumer, de boire et de se retrouver au cabaret) et mutilent la liberté individuelle. Là encore, il ne faut pas confondre sa pensée avec les calembredaines des libéraux pour qui la liberté ne se résume qu’à la liberté économique et au rendement le plus égoïste. Chesterton est très clair la-dessus et c’est sur cette phrase à méditer que je conclus cette note (je vous renvoie également à ma note précédente, extraits –un peu longs- de la conclusion du livre mais que je vous conseille de lire : elle est superbe et résume parfaitement tous les points abordés par l’auteur) : « Je protesterai au passage contre cette façon de voir qui fait du rendement le seul critère de notre condition d’homme. Le ciel ne travaille pas, il joue. Les hommes sont vraiment eux-mêmes lorsqu’ils sont libres ; et si je m’aperçois qu’au travail les hommes sont prétentieux, mais qu’en vacances, ils sont démocrates, je me permettrai d’être en faveur des vacances. »
De tous les auteurs que je vous invite à (re)découvrir ces derniers temps, Chesterton est le seul dont j’avais déjà lu quelques livres, notamment le délicieux Club des métiers bizarres, aventures policières totalement farfelues représentant à merveille le style paradoxal et excentrique de l’auteur. Si Le monde comme il ne va pas est un pamphlet virulent et drôle contre la modernité naissante en ce début de 20ème siècle, Les quatre petits saints du crime s’inscrit dans la lignée des récits fantaisistes de Chesterton.
Un prologue nous introduit dans un nouveau « club » mystérieux, celui des « Hommes Incompris ». Suivront ensuite quatre historiettes mettant en scène, par ordre d’entrée en piste, un assassin modéré, un charlatan honnête, un voleur mystique et un traître fidèle. Ces dénominations laissent entendre à quels genres de paradoxes nous invite Chesterton avec beaucoup de style, d’humour et de flegme. A travers ces savoureux divertissements construits, à l’instar des Contes moraux de Rohmer, sur le même modèle (celui d’un faux-coupable dont les actions sont jugées différemment selon le point de vue dont elles sont envisagées) se dessinent d’étranges paradoxes (« Je disais seulement l’autre jour que ce dont la plupart des gens ont besoin, c’est d’être un peu assassinés, surtout ceux qui sont en situation de responsabilité politique ») qui nous poussent à regarder le monde sous un angle différent. Si ces quatre « criminels » apparaissent finalement comme des « saints » (ils ne sont, en fait, ni l’un ni l’autre), c’est que Chesterton nous a amené à décentrer notre regard et à relativiser leurs actions. Je vous laisse le loisir de réfléchir à certaines actions pouvant paraître criminelles au premier coup d’œil et qui le sont peut-être moins que le système qui les a vues éclore…
On retrouve cette même manière de porter un regard « décentré » sur le monde dans son pamphlet le monde comme il ne va pas. Etrange livre qui déconcerte nos certitudes contemporaines. Un bien-pensant de gauche le relèguera d’emblée dans la catégorie des ouvrages « réactionnaires ». Chesterton professe effectivement de drôles d’idées quant à la place des femmes dans la société (elles doivent rester au foyer) et aux revendications des suffragettes. De la même manière, il se montre relativement hostile à l’instruction publique. A côté de cela, les biens-pensants de droite hurleront devant ce livre qui prêche également la révolution et crache sans vergogne sur la ploutocratie aristocrate britannique, sur la grande propriété foncière qui empêche chacun de jouir de sa propre propriété.
Finalement, les termes de « progressif » et « réactionnaire » ne rendent pas compte de la pensée du grand écrivain catholique qui place l’homme au centre de tout son « système »: « C’est cela l’énorme hérésie moderne qui consiste à modifier l’âme humaine pour qu’elle s’adapte aux conditions, au lieu de modifier les conditions pour qu’elles s’adaptent à l’âme humaine ».
Lorsqu’il défend la « famille » ou la « propriété », il ne le fait jamais au nom d’une prétendue tradition ou de privilèges archaïques. Pour lui, la famille est avant tout la dernière cellule « anarchique » ou l’individu peut jouir d’une liberté totale (Chesterton dit que rien ne nous empêche, en famille, de manger par terre – ce qui est plus difficile au restaurant- ou de prendre le thé en pantoufles et robe de chambre) et où l’emprise du monde n’a pas court (« Si un bébé réclame la lune en pleurnichant, le gendarme ne pourra pas plus aller la lui décrocher qu’il ne pourra le calmer ») . De même, le regard qu’il porte sur la propriété le rapproche plus de certains anarchistes individualistes (Stirner, Ernest Armand…) que des conservateurs libéraux. Il défend la propriété à condition qu’elle soit équitablement redistribuée et que chacun puisse jouir de son propre bien.
Même si l’on n’est pas obligé d’acquiescer à chacune de ses vues, on ne peut que reconnaître l’actualité d’un essai qui pointe déjà les dangers du modernisme, de cette manière dont l’Etat et les spécialistes viennent légiférer et réguler nos actions quotidiennes (il y a des pages d’une rare truculence où Chesterton loue les plaisirs de fumer, de boire et de se retrouver au cabaret) et mutilent la liberté individuelle. Là encore, il ne faut pas confondre sa pensée avec les calembredaines des libéraux pour qui la liberté ne se résume qu’à la liberté économique et au rendement le plus égoïste. Chesterton est très clair la-dessus et c’est sur cette phrase à méditer que je conclus cette note (je vous renvoie également à ma note précédente, extraits –un peu longs- de la conclusion du livre mais que je vous conseille de lire : elle est superbe et résume parfaitement tous les points abordés par l’auteur) : « Je protesterai au passage contre cette façon de voir qui fait du rendement le seul critère de notre condition d’homme. Le ciel ne travaille pas, il joue. Les hommes sont vraiment eux-mêmes lorsqu’ils sont libres ; et si je m’aperçois qu’au travail les hommes sont prétentieux, mais qu’en vacances, ils sont démocrates, je me permettrai d’être en faveur des vacances. »
Libellés : Catholicisme, Chesterton, pamphlet
4 Comments:
Votre article est très intéressant, en complément il y a une vidéo fraîchement arrivé sur Internet mêlant actions et aventures sur un reportage des forces spéciales ici -> http://tv.boutick.com/videos.php?id=vid8
Bonjour, j’ai eu le plaisir de me rentre sur ce blog, l’ambiance, la qualité des installations, le sentiment de liberté de bien être vous gagne des vôtre arrivé…
Article de très bonne qualité, tout comme le blog.
voyance email
Votre travail m’a beaucoup surpris car ça fait longtemps que je n’ai pas trouvé comme ce magnifique partage.
voyance mail gratuit
Enregistrer un commentaire
<< Home