L'horizon jaune
Gilets
jaunes : pour un nouvel horizon social (2018-2019).
Collectif (Au diable Vauvert, 2019)
Quoi qu’on en pense, il est
incontestable que le soulèvement des Gilets jaunes fut (il ne faudrait d’ailleurs
pas en parler au passé tant rien n’interdit de d'espérer un retour de
flamme) un événement à la fois imprévisible et mal compris. Ignoré par les
syndicats, boudé par les partis traditionnels avant quelques maladroites
tentatives de récupération, il fit pousser des cris d’orfraies à tout ce que la
France compte d’ « intellectuels » affidés au Pouvoir (d’ignobles
rogatons comme Pascal Bruckner, Philippe Val ou Luc Ferry) et d’éditorialistes
couchés.
On qualifia le mouvement de
tous les noms d’oiseaux imaginables : populiste, factieux, d’extrême-droite,
raciste, conspirationniste, antisémite, homophobe et j’en passe… Pourtant, il
suffisait de se rendre dans les manifestations (ce que je fis assez
tardivement, vers la fin décembre) pour constater que cette image véhiculée par
les médias était totalement fallacieuse.
Heureusement, à côté des
sinistres laquais de la macronerie triomphante (l’adipeux gribouilleur de
pingouins Xavier Gorce, le toujours abject BHL, le cire-godasses Brice
Couturier…), il y eut des écrivains et intellectuels d’une autre trempe qui
osèrent porter un regard différent sur les Gilets jaunes et qui les soutinrent.
Gilets jaunes : pour un nouvel
horizon social nous offre un regard hors du chaudron de l’actualité immédiate et
de la course au sensationnalisme. Une vingtaine d’auteurs (de Bégaudeau à
Siebert en passant par Damasio, Pelot, Quadruppani et Laurent Binet) nous
proposent, à travers des tribunes, des analyses, des poèmes, des nouvelles, une
vision différente du mouvement. Si les contributions sont éclectiques, elles
sont en majeure partie passionnantes. On pourra constater que Denis Robert
affichera dès le 16 novembre (sur Facebook) son soutien aux Gilets jaunes. Dans
les belles chroniques que Jérôme Leroy écrivit pour l’hebdomadaire communiste
Liberté Hebdo se dessine une certaine évolution, assez partagée à l’époque, vis-à-vis
du mouvement : d’abord une certaine méfiance face à une révolte contre l’impôt
vue comme « poujadiste » et anti-écologiste (comme si les taxes de
Macron sur l’essence étaient une mesure écologiste !) avant de glisser vers
l’adhésion à un mouvement populaire qui a vite affiché de nombreuses
revendications légitimes, « impur » (comme le
souligne à juste titre Quadruppani), courageux et luttant avant tout contre l’amplification
des injustices sociales.
Il ne s’agit pas de nier qu’il
put y avoir certains dérapages au cours des premiers actes du mouvement
(finalement très peu eu égard à son ampleur) mais Patrick Raynal a trouvé le
plus belle des formules pour les relativiser : « Quand le peuple est
en colère, c’est la musique qu’il faut entendre, pas les paroles. »
S’il fallait regrouper les
textes de manière un peu arbitraire, on distinguerait d’un côté ceux qui s’attachent
et rendent hommage aux « gens de peu » qui composèrent le gros des
troupes des Gilets jaunes (Minna Sif, le magnifique Portrait d’une femme en jaune de Nicolas Mathieu…) et ceux qui
tentent d’analyser le mouvement de façon plus théorique : ce qu’il a été
(Bégaudeau, Annie Ernaux qui parle d’un « moment passionnant »,
Mordillat ou encore Binet qui raille à juste titre une certaine gauche faisant
la moue face à ce mouvement social débraillé et mal fréquenté : « un
mouvement social n’est pas une boite de nuit : on ne filtre pas à l’entrée.
Ce n’est pas une entreprise : on ne vérifie pas les CV. Ni un dîner de
gala : on risque de casser un peu de vaisselle. ») ou ce qu’il pourra
devenir : Quadruppani dresse un bilan particulièrement pertinent début
mars en réfléchissant aux perspectives tandis qu’Alain Damasio imagine une
petite nouvelle d’anticipation assez réjouissante.
De cet ensemble se dégage le
sentiment d’une grande urgence sociale. On aura beau jeu de dauber d’importance
un mouvement qui « ne sait pas ce qu’il veut », l’essentiel reste qu’une
grande partie de la population (quoi qu’en disent les boutiquiers du macronisme
toujours prompts à réduire le Réel à des chiffres et pourcentages non
représentatifs) sait ce qu’elle ne veut pas : la thatchérisation à
outrance de la société, la privatisation de tous les domaines de la vie au
profit d’intérêts privés et la résignation imbécile face aux coups de boutoir d’une
mondialisation présentée comme une fatalité…
Libellés : Annie Ernaux, BHL, Gilets jaunes, insurrection, intellectuels, Jérôme Leroy, Macron, mouvement social, Patrick Raynal, révolte, Serge Quadruppani
1 Comments:
Super article comme d'habitude. Un grand merci pour tout ce que tu nous partages
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