Les Naufragés
La campagne de France
(2012) de Jean-Claude Lalumière (Editions Le Dilettante)
Franchir le cap du deuxième roman est toujours une étape difficile, surtout lorsque le premier nous a réjouit. On garde tous en mémoire les tribulations malheureuses du héros maladroit du Front russe nées sous la plume inspirée et sarcastique de Jean-Claude Lalumière. Rastignac des temps modernes, son jeune provincial rêvant de conquérir Paris et le monde entier se retrouvait relégué dans un obscur bureau du ministère des Affaires étrangères voué aux « pays en voie de création – section Europe de l’Est et Sibérie- », entouré de personnages cocasses et décalés.
Franchir le cap du deuxième roman est toujours une étape difficile, surtout lorsque le premier nous a réjouit. On garde tous en mémoire les tribulations malheureuses du héros maladroit du Front russe nées sous la plume inspirée et sarcastique de Jean-Claude Lalumière. Rastignac des temps modernes, son jeune provincial rêvant de conquérir Paris et le monde entier se retrouvait relégué dans un obscur bureau du ministère des Affaires étrangères voué aux « pays en voie de création – section Europe de l’Est et Sibérie- », entouré de personnages cocasses et décalés.
Dans La campagne de
France, on retrouve cette capacité de l’écrivain à faire
vivre des figures pittoresques et fantaisistes et sa manière très
particulière de tourner en dérision tous les travers de notre
époque.
De nouveau, il met en
scène des idéalistes en prise avec les difficultés du monde réel.
Cette fois ils sont deux : Otto et Alexandre, déserteurs de
l’Education nationale après une année de stage et un regard
lucide sur « les difficultés qu’il y avait à transmettre
le fruit de leurs années d’études universitaires à des
collégiens saturés de téléréalité qui goûtaient peu
l’équilibre de l’alexandrin, ni ne mesuraient les enjeux de la
conférence de Yalta, que certains confondaient d’ailleurs avec une
marque de yaourt à boire » et bien décidés à monter
leur propre agence de voyages spécialisée dans le tourisme
« culturel ».
Après les débuts
difficiles de l’entreprise « Cultibus » (comment
expliquer à des agriculteurs avinés pensant se rendre au salon de
l’Agriculture que le tour Théâtre des bons engins était
en réalité dédié aux poètes du 16ème siècle ?),
nos deux héros décident de revoir leurs ambitions à la baisse et
d’organiser un voyage à … Bergues (bourgade du Nord devenue
brusquement célèbre grâce au succès de Bienvenue chez les
ch’tis de Danny Boon). Le succès est relatif mais immédiat
puisque nos deux vaillants chevaliers du voyage culturel parviennent
à embarquer une douzaine de retraités de l’amicale de
Saint-Jean-de-Luz pour les conduire jusqu’au pays des Corons…
A partir de là débute
une savoureuse expédition à travers la France qui va permettre à
Lalumière de croquer une galerie de personnages excentriques et
d’inventer les situations les plus rocambolesques. Car, bien
entendu, les retraités ne veulent pas entendre parler de « culture »
(la visite de la maison de Mauriac les ennuie ostensiblement) et
préfèrent se rendre sur les lieux d’une tempête (à
La-Faute-Sur-Mer) ou visiter…une usine.
Comme dans Le front
russe, derrière le caractère saugrenu et presque surréaliste
des situations se dessine une vision particulièrement acide de notre
société contemporaine. D’un côté, deux jeunes « intellectuels »
qui proposent une vision de la culture très « moderne »
avec ce que cela suppose de boy-scoutisme et d’inadaptation au
monde « réel » ; de l’autre, des retraités
gorgés de télévision et de préjugés, incapables de perpétuer
une mémoire collective.
La France de Jean-Claude
Lalumière est devenue, au mieux, une sorte d’immense parc à
touristes, où même les usines ont été reconverties en sorte
d’attractions foraines (voir la scène très drôle où nos
retraités visitent une fabrique de confiseries totalement fictive et
où l’écrivain se moque de la novlangue actuelle : « Mais
le gars a commencé à parler d’équipement touristico-culturel
structurant pour la collectivité, de contextualisation de la
mémoire, d’espace de réflexion sur le monde économique
actuel… ») ; au pire, le théâtre d’un désastre
global où tout semble nivelé et détruit (la conversation avec cet
homme qui refait à neuf une vieille demeure et fait construire sa
piscine afin que ses petits-enfants viennent le voir).
« Quelle était
cette société capable de détruire ses repères ? Quel était
ce monde dans lequel l’humanité en pantacourt se pressait aux
portes des cathédrales comme à celles des grands magasins ou des
parcs d’attractions ? »
Ce constat amer n’est
jamais asséné avec lourdeur : Jean-Claude Lalumière préfère
fort heureusement l’humour aux grands discours pontifiants et
toujours l’emporte chez lui le bonheur d’un récit picaresque où
les personnages ne sont jamais méprisés. Bien sûr, l’auteur peut
se montrer impitoyable lorsqu’il s’agit de souligner le ridicule
de ses contemporains. Mais il ne se place pas au-dessus de la mêlée
et sait voir leur part d’humanité. Et c’est finalement presque à
regret qu’on quitte cette joyeuse bande de retraités bougons en se
disant qu’on signerait bien pour un autre voyage…
Libellés : Humour, Lalumière, roman français
7 Comments:
Je me disais justement "Tiens, je re-signerais bien pour quelques nouvelles notes de lecture du Dr Orlof!"... et on dirait que mon souhait a été exaucé. Bon retour dans votre cave pleine de livres, Docteur!
Eh bien merci beaucoup mais je ne suis pas certain d'avoir suffisamment de temps pour revenir régulièrement. A voir...
Une bien belle critique qui donne envie de découvrir cet auteur qui m'est totalement inconnu.
Brosser un portrait de la médiocrité et du relativisme actuel - avec humour ! - n'est pas pour me déplaire.
J'ai par exemple, trouvé, moi l'athée farouche, irrespectueux de visiter une église en short et tongs. Mais si c'est sur le chemin du Super U...
Bonjour Dr Orlof, mon com n'a rien à voir avec ce sujet mais c'est la seule façon que j'ai trouvé pour vous contacter. J'ai vu quelque part qu'en 2008 vous cherchiez le livre HOOLYWOOD BABYLON de Kenneth ANGER et j'ai les 2 tomes à vendre, alors si vous ne les avez pas encore trouvés : fbayart@live.fr. Désolé de perturber cette page !
Merci de partager tout ce patrimoine qui me rappelle tant de souvenir d'enfance passés
bonne continuation sur votre blog
Félicitations pour cet excellent travail et de nous donner l’opportunité de ’glander’ intelligemment !
Merci infiniment pour cette utile et précieuse information. Super votre blog, bravo !
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