Un coeur en hiver
Un rude hiver (1939) de Raymond Queneau (Gallimard. L’imaginaire. 1991)
Je n’ai toujours pas perdu mon goût pour les titres édités sous l’étiquette L’imaginaire de Gallimard et c’est avec un certain intérêt que j’ai acheté le numéro 1 de la collection. C’est Raymond Queneau qui a ouvert le bal, auteur que je connais davantage pour ses jeux littéraires oulipiens (voir ses excellents Exercices de style) ou pour ses romans à l’humour débridé (Zazie dans le métro). Or même si cet humour n’est pas absent d’Un rude hiver (on retrouve souvent un sens de la formule propre à l’auteur), il fait néanmoins figure de « roman sérieux » dans la bibliographie de Queneau.
Il nous propose ici un portrait de Bernard Lehameau, héros de guerre médaillé et rendu à la vie civile suite à une blessure. Au Havre, il traîne désormais son ennui et ses rancœurs en jouant sans arrêt les Cassandre : non, la guerre ne va pas se terminer vite ! Non, les allemands ne sont pas des lâches dont on va se débarrasser facilement… Son cynisme le ferait presque ranger dans la catégorie des traîtres à la patrie s’il n’y avait pas son pedigree militaire antérieur…
Le livre de Queneau est étonnant car il nous met d’emblée face à un type peu sympathique : réactionnaire, raciste, collaborationniste (Bernard rêve d’une France sous protectorat allemand) et misanthrope. Même s’il fait la cour à une belle anglaise, il nous devient encore plus suspect quand il approche deux enfants et se propose de les accompagner au cinéma.
On voit ce qu’un écrivain peu habile aurait pu tirer d’un tel point de départ et les leçons qu’il aurait pu nous asséner. Or Queneau nous prend à contre-pied en étoffant peu à peu cette silhouette pourtant peu sympathique. Il ne s’agit pas de révéler soudainement et grossièrement quels trésors portent en lui Bernard mais, par d’infimes variations, pénétrer au cœur de ce qui compose la personne humaine et son ambiguïté, jusqu’à la rendre touchante, émouvante.
Ambiguïté politique du personnage mais qui, malgré ses excès, n’est pas totalement dénuée de fondements (Queneau montre avec justesse un personnage qui sait déjà que la guerre sera longue, sale et absurde). Ambiguïté reposant également dans le regard des autres, toujours prompt à juger Bernard à partir d’une « morale » qui n’a pas lieu d’être. Sans révéler tous les tenants et aboutissants de la relation de cet homme avec ces enfants ; il est clair qu’elle ne repose sur aucune « perversion » mais prend racine dans le passé difficile du personnage.
Sous ses allures modestes, Un rude hiver est un livre très subtil, qui parvient (et avec quel style !) à donner une épaisseur à un personnage qui n’aurait pu être qu’une caricature. Il parvient également à peindre l’atmosphère pesante de cette période de la première guerre mondiale vu de la province : entre l’enthousiasme de ceux qui sont partis la fleur au fusil et qui pensent que le conflit va être court et le désenchantement de Bernard.
Les spécialistes de Queneau ont remarqué que le personnage de Lehameau ressemblait beaucoup au père de l’écrivain. Mais il n’est pas utile de saisir ces allusions pour apprécier ce roman qui campe une atmosphère unique dès ses premières pages. Une atmosphère où se mêlent l’humour, la désillusion et la mélancolie, comme dans ce beau passage où la vieille libraire chez qui aime s’arrêter Bernard dit :
« Mais la vie, Bernard, la vie des hommes, ce n’est pas comme le temps. A partir d’un certain moment il n’arrête plus de neiger. Il neige, il neige, il n’arrête plus de neiger, ça devient une lourde douleur, vous ne pouvez pas savoir, et le beau temps ne reviendra plus, on peut en être certain. »
Pourtant, malgré ces avertissements, le livre n’est pas bouché. Les hivers ont été et seront sans doute encore rudes mais les éclaircies ne sont pas à écarter totalement.
Et pourquoi pas un peu de douceur ? Comme celle que peuvent nous procurer certaines œuvres d’art dont le livre de Queneau fait assurément partie…
Il nous propose ici un portrait de Bernard Lehameau, héros de guerre médaillé et rendu à la vie civile suite à une blessure. Au Havre, il traîne désormais son ennui et ses rancœurs en jouant sans arrêt les Cassandre : non, la guerre ne va pas se terminer vite ! Non, les allemands ne sont pas des lâches dont on va se débarrasser facilement… Son cynisme le ferait presque ranger dans la catégorie des traîtres à la patrie s’il n’y avait pas son pedigree militaire antérieur…
Le livre de Queneau est étonnant car il nous met d’emblée face à un type peu sympathique : réactionnaire, raciste, collaborationniste (Bernard rêve d’une France sous protectorat allemand) et misanthrope. Même s’il fait la cour à une belle anglaise, il nous devient encore plus suspect quand il approche deux enfants et se propose de les accompagner au cinéma.
On voit ce qu’un écrivain peu habile aurait pu tirer d’un tel point de départ et les leçons qu’il aurait pu nous asséner. Or Queneau nous prend à contre-pied en étoffant peu à peu cette silhouette pourtant peu sympathique. Il ne s’agit pas de révéler soudainement et grossièrement quels trésors portent en lui Bernard mais, par d’infimes variations, pénétrer au cœur de ce qui compose la personne humaine et son ambiguïté, jusqu’à la rendre touchante, émouvante.
Ambiguïté politique du personnage mais qui, malgré ses excès, n’est pas totalement dénuée de fondements (Queneau montre avec justesse un personnage qui sait déjà que la guerre sera longue, sale et absurde). Ambiguïté reposant également dans le regard des autres, toujours prompt à juger Bernard à partir d’une « morale » qui n’a pas lieu d’être. Sans révéler tous les tenants et aboutissants de la relation de cet homme avec ces enfants ; il est clair qu’elle ne repose sur aucune « perversion » mais prend racine dans le passé difficile du personnage.
Sous ses allures modestes, Un rude hiver est un livre très subtil, qui parvient (et avec quel style !) à donner une épaisseur à un personnage qui n’aurait pu être qu’une caricature. Il parvient également à peindre l’atmosphère pesante de cette période de la première guerre mondiale vu de la province : entre l’enthousiasme de ceux qui sont partis la fleur au fusil et qui pensent que le conflit va être court et le désenchantement de Bernard.
Les spécialistes de Queneau ont remarqué que le personnage de Lehameau ressemblait beaucoup au père de l’écrivain. Mais il n’est pas utile de saisir ces allusions pour apprécier ce roman qui campe une atmosphère unique dès ses premières pages. Une atmosphère où se mêlent l’humour, la désillusion et la mélancolie, comme dans ce beau passage où la vieille libraire chez qui aime s’arrêter Bernard dit :
« Mais la vie, Bernard, la vie des hommes, ce n’est pas comme le temps. A partir d’un certain moment il n’arrête plus de neiger. Il neige, il neige, il n’arrête plus de neiger, ça devient une lourde douleur, vous ne pouvez pas savoir, et le beau temps ne reviendra plus, on peut en être certain. »
Pourtant, malgré ces avertissements, le livre n’est pas bouché. Les hivers ont été et seront sans doute encore rudes mais les éclaircies ne sont pas à écarter totalement.
Et pourquoi pas un peu de douceur ? Comme celle que peuvent nous procurer certaines œuvres d’art dont le livre de Queneau fait assurément partie…
Libellés : Première guerre mondiale, Queneau
2 Comments:
Je m’arrête très souvent sur votre site que j’apprécie beaucoup, cela me permet de m’évader et de penser à autres choses....Que du bonheur !! Merci
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Votre blog est vraiment super, je viens dessus tout les jours et je trouve à chaque fois quelque chose qui me convient je vous souhaite bonne continuation .
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