Les années Marcellin
Ministre de l’intérieur sous De Gaulle puis Pompidou, Raymond Marcellin fut l’une des cibles privilégiées des caricaturistes de l’époque d’autant plus qu’il eut le redoutable privilège d’officier pendant les évènements de mai 68. L’un des traits marquants du règne de « Raymond la matraque » furent les frasques d’un journal « bête et méchant » que le gouvernement ne manqua pas d’interdire lorsqu’il titra, à la mort de De Gaulle, « Bal tragique à Colombey : un mort ». Vous avez tous reconnu le Hara-Kiri de Choron et Cavanna et c’est sur une évocation du vrai « bal tragique » (un fait divers qui fit la une des journaux quelques temps avant la mort de Charlot) que s’ouvre le recueil de textes de Delfeil de Ton On peut cogner, chef ? (Editions du Square. Série bête et méchante).
Relire ces textes du début des années 70 est un moyen assez agréable de se replonger dans une ambiance que nous n’avons pas connue et de réaliser à quel point le journalisme pouvait alors être virulent. Les textes de Delfeil de Ton (qui écrit actuellement une très belle histoire d’Hara-Kiri dans les pages de Siné-Hebdo) peuvent se diviser en deux catégories.
D’une part, les textes purement fantaisistes où l’auteur joue volontiers sur l’absurde (par exemple, les pages où il revisite l’histoire de France). Pour ma part, je trouve que c’est l’aspect le moins intéressant du recueil. D’abord parce que ce recours à l’absurde est devenu une telle tarte à la crème qu’on s’en lasse assez rapidement, ensuite parce que Delfeil de Ton n’a ni le génie d’écriture et d’imagination d’un Pierre Desproges. Ses textes qui relèvent de cette catégorie ne sont pas très drôles et on peut leur préférer la géniale rubrique qu’inventeront Choron et Gébé : l’art vulgaire. En revanche, les textes où l’auteur s’attaque à des faits d’actualités (l’interdiction d’un concert de jazz par les sbires de Marcellin) sont beaucoup plus corrosifs et intéressants. Ici se révèle la plume acide du pamphlétaire et c’est celle-ci que nous préférons…
C’est toujours sous le règne de Marcellin qui sortit le premier roman policier d’A.D.G la divine surprise. Il est très dommage que la présumée sensibilité « d’extrême droite » d’A.D.G semble empêcher une véritable redécouverte de cet auteur assez extraordinaire. A propos de cette appartenance sulfureuse, il faudrait signaler deux points. D’une part, il me paraît difficilement envisageable qu’un eunuque du Front National dédicace l’un de ses livres à…Jules Bonnot et à tous les bandits d’hier et d’aujourd’hui ; d’autre part, il se dégage de la divine surprise une telle haine du flic et de l’autorité qu’on voit assez mal comment cet auteur pourrait être récupéré par un ridicule parti nationaliste.
Alors certes, le livre est également dédié au pamphlétaire « réactionnaire » Michel-Georges Micberth et il fait preuve d’un délicieux mauvais esprit contre l’humanisme bien-pensant mais je n’arrive pas à y voir quelque chose de « fasciste ».
La divine surprise est un polar tordant qui narre les aventures d’une famille de gangsters (enfin, un père et son fils) prise dans les mailles d’une histoire haute en couleurs (braquages, guerre des gangs contre des Yougoslaves…). Plus que le récit, c’est le style d’A.D.G qui fait mouche, un style unique où se mêlent des réminiscences céliniennes, le bon vieil argot du père Simonin et les gallicismes des Hussards (« le ouisquie », « les hachélèmes »…).
Un vrai bonheur d’écriture !
Le féminisme, sous la forme que nous lui connaissons actuellement, a également connu son essor sous Marcellin (c’est au début des années 70 qu’ont eu lieu les premiers meetings du MLF). Vous connaissez un peu mon point de vue sur ledit féminisme : autant je déteste ce mouvement lorsqu’il est purement « communautariste », axé sur de seules revendications partielles (c’est la tendance Halimi-Alonso) ; autant j’ai beaucoup de sympathie pour les femmes qui n’envisagèrent pas l’émancipation de la Femme autrement que corrélative à l’émancipation globale de l’individu. Citons, par exemple, Théroigne de Méricourt, Louise Michel, Rirette Maîtrejean ou encore Valérie Solanas. Emma Goldman fait assurément partie de cette deuxième catégorie. Principale meneuse du mouvement anarchiste aux Etats-Unis où elle a émigré au début du 20ème siècle (elle fut la compagne d’Alexandre Berkman), Emma Goldman fut célèbre pour ses nombreuses conférences et sa propagande en faveur d’idées libertaires.
J’ai dégoté une réédition de deux textes de notre grande pétroleuse édités chez Syros à la fin des années 70 : la tragédie de l’émancipation féminine et Du mariage et de l’amour. Pour que ces deux courts textes fassent un livre, ils ont été agrémentés d’une préface et de notes d’une rare bêtise, assez caractéristique d’ailleurs du sectarisme d’un certain féminisme. Si l’on passe outre ces éléments, les deux textes n’ont rien perdu de leur force (je n’ai pas le livre sous la main mais j’essaierai d’en publier quelques extraits) et plaident pour une émancipation de l’individu, qu’il soit homme ou femme. Chez Goldman, on ne ressent ni cette frustration, ni cette haine de l’homme qu’on retrouve chez une imbécile comme Alonso. La Femme n’est pas chez elle une unité insécable, qu’il faut défendre en tant que telle (je ne vois pas en quoi une femme flic ou patronne serait moins ignoble qu’un homme dans ces stupides rôles !). Il s’agit plutôt de la défendre en tant qu’individu devant se séparer de ses chaînes et vivre selon ses désirs.
Le propos de l’auteur n’est pas réformiste (qu’il y ait autant de femmes que d’hommes dans l’hémicycle puant de n’importe quelle assemblée nationale, la belle affaire !) mais révolutionnaire.
C’est pour ça qu’elle continue de nous toucher…
Relire ces textes du début des années 70 est un moyen assez agréable de se replonger dans une ambiance que nous n’avons pas connue et de réaliser à quel point le journalisme pouvait alors être virulent. Les textes de Delfeil de Ton (qui écrit actuellement une très belle histoire d’Hara-Kiri dans les pages de Siné-Hebdo) peuvent se diviser en deux catégories.
D’une part, les textes purement fantaisistes où l’auteur joue volontiers sur l’absurde (par exemple, les pages où il revisite l’histoire de France). Pour ma part, je trouve que c’est l’aspect le moins intéressant du recueil. D’abord parce que ce recours à l’absurde est devenu une telle tarte à la crème qu’on s’en lasse assez rapidement, ensuite parce que Delfeil de Ton n’a ni le génie d’écriture et d’imagination d’un Pierre Desproges. Ses textes qui relèvent de cette catégorie ne sont pas très drôles et on peut leur préférer la géniale rubrique qu’inventeront Choron et Gébé : l’art vulgaire. En revanche, les textes où l’auteur s’attaque à des faits d’actualités (l’interdiction d’un concert de jazz par les sbires de Marcellin) sont beaucoup plus corrosifs et intéressants. Ici se révèle la plume acide du pamphlétaire et c’est celle-ci que nous préférons…
C’est toujours sous le règne de Marcellin qui sortit le premier roman policier d’A.D.G la divine surprise. Il est très dommage que la présumée sensibilité « d’extrême droite » d’A.D.G semble empêcher une véritable redécouverte de cet auteur assez extraordinaire. A propos de cette appartenance sulfureuse, il faudrait signaler deux points. D’une part, il me paraît difficilement envisageable qu’un eunuque du Front National dédicace l’un de ses livres à…Jules Bonnot et à tous les bandits d’hier et d’aujourd’hui ; d’autre part, il se dégage de la divine surprise une telle haine du flic et de l’autorité qu’on voit assez mal comment cet auteur pourrait être récupéré par un ridicule parti nationaliste.
Alors certes, le livre est également dédié au pamphlétaire « réactionnaire » Michel-Georges Micberth et il fait preuve d’un délicieux mauvais esprit contre l’humanisme bien-pensant mais je n’arrive pas à y voir quelque chose de « fasciste ».
La divine surprise est un polar tordant qui narre les aventures d’une famille de gangsters (enfin, un père et son fils) prise dans les mailles d’une histoire haute en couleurs (braquages, guerre des gangs contre des Yougoslaves…). Plus que le récit, c’est le style d’A.D.G qui fait mouche, un style unique où se mêlent des réminiscences céliniennes, le bon vieil argot du père Simonin et les gallicismes des Hussards (« le ouisquie », « les hachélèmes »…).
Un vrai bonheur d’écriture !
Le féminisme, sous la forme que nous lui connaissons actuellement, a également connu son essor sous Marcellin (c’est au début des années 70 qu’ont eu lieu les premiers meetings du MLF). Vous connaissez un peu mon point de vue sur ledit féminisme : autant je déteste ce mouvement lorsqu’il est purement « communautariste », axé sur de seules revendications partielles (c’est la tendance Halimi-Alonso) ; autant j’ai beaucoup de sympathie pour les femmes qui n’envisagèrent pas l’émancipation de la Femme autrement que corrélative à l’émancipation globale de l’individu. Citons, par exemple, Théroigne de Méricourt, Louise Michel, Rirette Maîtrejean ou encore Valérie Solanas. Emma Goldman fait assurément partie de cette deuxième catégorie. Principale meneuse du mouvement anarchiste aux Etats-Unis où elle a émigré au début du 20ème siècle (elle fut la compagne d’Alexandre Berkman), Emma Goldman fut célèbre pour ses nombreuses conférences et sa propagande en faveur d’idées libertaires.
J’ai dégoté une réédition de deux textes de notre grande pétroleuse édités chez Syros à la fin des années 70 : la tragédie de l’émancipation féminine et Du mariage et de l’amour. Pour que ces deux courts textes fassent un livre, ils ont été agrémentés d’une préface et de notes d’une rare bêtise, assez caractéristique d’ailleurs du sectarisme d’un certain féminisme. Si l’on passe outre ces éléments, les deux textes n’ont rien perdu de leur force (je n’ai pas le livre sous la main mais j’essaierai d’en publier quelques extraits) et plaident pour une émancipation de l’individu, qu’il soit homme ou femme. Chez Goldman, on ne ressent ni cette frustration, ni cette haine de l’homme qu’on retrouve chez une imbécile comme Alonso. La Femme n’est pas chez elle une unité insécable, qu’il faut défendre en tant que telle (je ne vois pas en quoi une femme flic ou patronne serait moins ignoble qu’un homme dans ces stupides rôles !). Il s’agit plutôt de la défendre en tant qu’individu devant se séparer de ses chaînes et vivre selon ses désirs.
Le propos de l’auteur n’est pas réformiste (qu’il y ait autant de femmes que d’hommes dans l’hémicycle puant de n’importe quelle assemblée nationale, la belle affaire !) mais révolutionnaire.
C’est pour ça qu’elle continue de nous toucher…
Libellés : ADG, Anarchisme, Choron, Delfeil de Ton, féminisme, Goldman Emma, Hara-Kiri, Marcellin, roman policier, Siné hebdo
1 Comments:
Un tout grand merci pour votre site. C’est un plaisir pour toutes & tous.
Bonne continuation!
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