Romans de gare
Débarrassé des obligations de la bibliothèque idéale, j’ai profité des périodes de fêtes pour écluser les rayons de ma bibliothèque et achever tous les « romans de gare » que je me voyais mal, paradoxalement, lire dans le train.
Larmes de sang d’Ange Bastiani (Eurédif. 1972) est un petit polar déjà paru en 1961 sous le titre Amour, sang et zibeline. Les familiers de l’indispensable blog Au carrefour étrange n’ignorent désormais plus que sous le pseudo de Bastiani se dissimule l’écrivain Maurice Raphaël, auteur sulfureux ayant à son actif quelques titres bénéficiant d’une bonne réputation (Ainsi soit-il) et une flopée de romans de gare grattés sous d’innombrables pseudos.
Malgré cette présentation dans une collection très bon marché (mythique Euréfif!), Larmes de sang s’avère très agréable à la lecture. L’intrigue policière ne casse pas trois pattes à un canard mais recycle avec un certain bonheur tous les éléments inhérents au genre français des années 50/60 : jolies pépés se transformant volontiers en vilaines garces, bagarres, alcool et ambiances un peu glauques.
Je renonce à vous faire un résumé de l’intrigue, à base de meurtres et de chantages mais sachez qu’elle est menée tambour battant et que l’écriture de Bastiani n’a rien de dégueulasse. C’est de la bonne littérature populaire, à base d’argot et de formules lapidaires qui emporte le spectateur et le préserve de tout ennui…
Il a déjà été fait allusion ici même aux œuvres estampillées Bébé noir et La Brigandine, incroyables maisons d’édition chapeautées par d’anciens situationnistes en sous-main pour le respectable Veyrier et qui publièrent un considérable catalogue de romans pornographiques aux titres en forme de calembours (L’épiée nue, la loque à terre, Sévices après vamps…) et aux contenus volontiers subversifs. A condition de respecter un quota minimum d’érotisme et de crudité, les auteurs avaient alors quartier libre.
Rétrospectivement, on se demande comment pouvait être accueillis par le public des « habitués » certainement peu habitué à ce que les ébats les plus chauds soient accompagnés de considérations anarchistes, anticléricales et utopistes !
Les deux titres que j’ai achevés ces vacances m’ont réjouis en tout point.
SOS mes deux seins est signé d’une certaine Elisabeth Bathory. Derrière l’hommage à la « comtesse sanglante », il faut voir la signature de Jean-Pierre Bouyxou qui gratta une bonne dizaine de romans pour ces éditions, sous divers pseudonymes (Claude Razat, Jérôme Fandor, Georges Le Gloupier, Georges de Lorzac…), les mêmes que l’on retrouvait d’ailleurs dans Fascination, la splendide revue qu’il dirigea quasiment tout seul le temps de 30 numéros.
Il s’agit là d’un polar féministe où la narratrice s’inquiète de voir ses amies enlevées et excisées par un mystérieux groupe. Entre quelques scènes érotiques plutôt bien troussées, Bouyxou en profite pour fustiger la police et renvoyer dos à dos les beaufs machistes et les féministes hystériques. Il fait l’éloge des amours saphiques et constelle son texte de jeux de mots foireux mais désopilants dans une atmosphère irrévérencieuse et libertaire.
Les quelques Bouyxou que j’ai pu lire auparavant me l’avait déjà fait pressentir : tous ses romans licencieux et anars méritent le détour !
L’Anne de Launay qui signe L’île aux délices n’est pas l’héroïne du marquis de Sade mais bel et bien Raoul Vaneigem qui s’est lui aussi amusé à pasticher de grands romans à la sauce polissonne (il écrivit une vie secrète d’Eugénie Grandet). Ici, l’auteur du Livre des plaisirs pastiche les romans d’aventures britanniques classiques en épousant trois points de vues successifs correspondant aux pages des journaux intimes respectifs d’un Lord, de la bouillonnante Kathe la rousse et d’une duchesse. Nous y suivons les escapades d’un bateau qui s’échoue sur une île et qui offre ainsi le loisir à l’équipage de créer une société idéale, uniquement fondée sur le désir et la jouissance. Très vite, on reconnaît les thèses de Vaneigem lorsqu'il stigmatise la société traditionnelle et ses piliers (la religion, l’armée etc.) et met en garde contre les velléités « planificatrices » des révolutionnaires (un très beau passage ridiculise de manière très drôle le communisme).
Comme les essais de Vaneigem, c’est à la fois roboratif et fort drôle, parfois un brin naïf (ce côté « tout est bon dans la nature, même les excréments ») et d’un utopisme fort joyeux.
Ces deux courts romans (les La Brigandine ne dépassent jamais 190 pages) prouvent que l’alliage entre le sexe et la subversion politique et sociale n’est pas contradictoire…
En revanche, Amour et voluptés de l’obscur Juan Mancéro (tout renseignement à son sujet sera le bienvenu !), que je n’ai acheté que pour la belle couverture signée Jef de Wulf est abominable d’un bout à l’autre.
Ce roman sexy de la fin des années 50 a tout du Harlequin, épicé d’un érotisme plus ronflant et ampoulé que réellement excitant. Mis à part le fait qu’il ne se passe strictement rien (quatre personnages se font des papouilles sur une plage pendant 225 pages), le roman est plutôt misogyne et ultra réac (voir le personnage du paysan un peu simplet qui parvient à satisfaire une des femmes uniquement parce que la nature l’a doté d’un bel engin !). Au 8ème degré, c’est assez drôle (« On dit que cela est tout l’art de la possession, mais possédée n’est qu’un féminin de circonstances, car c’est bien toujours le même qui fait les frais de cet échange et l’homme ne s’aperçoit pas qu’il joue constamment le rôle de la bête attirée dans les filets, appâtée par une viande qui peut prendre aussi bien la forme d’un sein, d’une croupe ou d’un sexe fallacieusement illuminé par un sourire qui lui masque le chausse-trappe dans lequel il tombera immanquablement. » Vous aurez souligné la finesse de la métaphore !).
Certains d’entre-vous connaissent-ils d’autres titres de la collection « Pocket sexy » des éditions Le pont-neuf ?
Pour finir, un ouvrage licencieux de Pierre Louÿs qui ne relève plus de la littérature de gare mais des Enfers des bibliothèques. Scènes de péripatéticiennes se compose de douze douzains de dialogues entres prostituées. C’est très cru, souvent assez drôle et assez représentatif des obsessions de Pierre Louÿs (nous n’échapperons ni à la scatologie, ni à la pédophilie). Ce n’est néanmoins pas son meilleur « interdit » (il s’agit d’ailleurs d’un texte inachevé).
Ces dialogues sont suivis d’un texte anonyme intitulé La guirlande de Priape, savoureux pastiche d’auteurs « classiques » (de Hugo à Morand en passant par Richepin, Rostand, Baudelaire et… Louÿs).
A réserver aux amateurs de curiosités…
Larmes de sang d’Ange Bastiani (Eurédif. 1972) est un petit polar déjà paru en 1961 sous le titre Amour, sang et zibeline. Les familiers de l’indispensable blog Au carrefour étrange n’ignorent désormais plus que sous le pseudo de Bastiani se dissimule l’écrivain Maurice Raphaël, auteur sulfureux ayant à son actif quelques titres bénéficiant d’une bonne réputation (Ainsi soit-il) et une flopée de romans de gare grattés sous d’innombrables pseudos.
Malgré cette présentation dans une collection très bon marché (mythique Euréfif!), Larmes de sang s’avère très agréable à la lecture. L’intrigue policière ne casse pas trois pattes à un canard mais recycle avec un certain bonheur tous les éléments inhérents au genre français des années 50/60 : jolies pépés se transformant volontiers en vilaines garces, bagarres, alcool et ambiances un peu glauques.
Je renonce à vous faire un résumé de l’intrigue, à base de meurtres et de chantages mais sachez qu’elle est menée tambour battant et que l’écriture de Bastiani n’a rien de dégueulasse. C’est de la bonne littérature populaire, à base d’argot et de formules lapidaires qui emporte le spectateur et le préserve de tout ennui…
Il a déjà été fait allusion ici même aux œuvres estampillées Bébé noir et La Brigandine, incroyables maisons d’édition chapeautées par d’anciens situationnistes en sous-main pour le respectable Veyrier et qui publièrent un considérable catalogue de romans pornographiques aux titres en forme de calembours (L’épiée nue, la loque à terre, Sévices après vamps…) et aux contenus volontiers subversifs. A condition de respecter un quota minimum d’érotisme et de crudité, les auteurs avaient alors quartier libre.
Rétrospectivement, on se demande comment pouvait être accueillis par le public des « habitués » certainement peu habitué à ce que les ébats les plus chauds soient accompagnés de considérations anarchistes, anticléricales et utopistes !
Les deux titres que j’ai achevés ces vacances m’ont réjouis en tout point.
SOS mes deux seins est signé d’une certaine Elisabeth Bathory. Derrière l’hommage à la « comtesse sanglante », il faut voir la signature de Jean-Pierre Bouyxou qui gratta une bonne dizaine de romans pour ces éditions, sous divers pseudonymes (Claude Razat, Jérôme Fandor, Georges Le Gloupier, Georges de Lorzac…), les mêmes que l’on retrouvait d’ailleurs dans Fascination, la splendide revue qu’il dirigea quasiment tout seul le temps de 30 numéros.
Il s’agit là d’un polar féministe où la narratrice s’inquiète de voir ses amies enlevées et excisées par un mystérieux groupe. Entre quelques scènes érotiques plutôt bien troussées, Bouyxou en profite pour fustiger la police et renvoyer dos à dos les beaufs machistes et les féministes hystériques. Il fait l’éloge des amours saphiques et constelle son texte de jeux de mots foireux mais désopilants dans une atmosphère irrévérencieuse et libertaire.
Les quelques Bouyxou que j’ai pu lire auparavant me l’avait déjà fait pressentir : tous ses romans licencieux et anars méritent le détour !
L’Anne de Launay qui signe L’île aux délices n’est pas l’héroïne du marquis de Sade mais bel et bien Raoul Vaneigem qui s’est lui aussi amusé à pasticher de grands romans à la sauce polissonne (il écrivit une vie secrète d’Eugénie Grandet). Ici, l’auteur du Livre des plaisirs pastiche les romans d’aventures britanniques classiques en épousant trois points de vues successifs correspondant aux pages des journaux intimes respectifs d’un Lord, de la bouillonnante Kathe la rousse et d’une duchesse. Nous y suivons les escapades d’un bateau qui s’échoue sur une île et qui offre ainsi le loisir à l’équipage de créer une société idéale, uniquement fondée sur le désir et la jouissance. Très vite, on reconnaît les thèses de Vaneigem lorsqu'il stigmatise la société traditionnelle et ses piliers (la religion, l’armée etc.) et met en garde contre les velléités « planificatrices » des révolutionnaires (un très beau passage ridiculise de manière très drôle le communisme).
Comme les essais de Vaneigem, c’est à la fois roboratif et fort drôle, parfois un brin naïf (ce côté « tout est bon dans la nature, même les excréments ») et d’un utopisme fort joyeux.
Ces deux courts romans (les La Brigandine ne dépassent jamais 190 pages) prouvent que l’alliage entre le sexe et la subversion politique et sociale n’est pas contradictoire…
En revanche, Amour et voluptés de l’obscur Juan Mancéro (tout renseignement à son sujet sera le bienvenu !), que je n’ai acheté que pour la belle couverture signée Jef de Wulf est abominable d’un bout à l’autre.
Ce roman sexy de la fin des années 50 a tout du Harlequin, épicé d’un érotisme plus ronflant et ampoulé que réellement excitant. Mis à part le fait qu’il ne se passe strictement rien (quatre personnages se font des papouilles sur une plage pendant 225 pages), le roman est plutôt misogyne et ultra réac (voir le personnage du paysan un peu simplet qui parvient à satisfaire une des femmes uniquement parce que la nature l’a doté d’un bel engin !). Au 8ème degré, c’est assez drôle (« On dit que cela est tout l’art de la possession, mais possédée n’est qu’un féminin de circonstances, car c’est bien toujours le même qui fait les frais de cet échange et l’homme ne s’aperçoit pas qu’il joue constamment le rôle de la bête attirée dans les filets, appâtée par une viande qui peut prendre aussi bien la forme d’un sein, d’une croupe ou d’un sexe fallacieusement illuminé par un sourire qui lui masque le chausse-trappe dans lequel il tombera immanquablement. » Vous aurez souligné la finesse de la métaphore !).
Certains d’entre-vous connaissent-ils d’autres titres de la collection « Pocket sexy » des éditions Le pont-neuf ?
Pour finir, un ouvrage licencieux de Pierre Louÿs qui ne relève plus de la littérature de gare mais des Enfers des bibliothèques. Scènes de péripatéticiennes se compose de douze douzains de dialogues entres prostituées. C’est très cru, souvent assez drôle et assez représentatif des obsessions de Pierre Louÿs (nous n’échapperons ni à la scatologie, ni à la pédophilie). Ce n’est néanmoins pas son meilleur « interdit » (il s’agit d’ailleurs d’un texte inachevé).
Ces dialogues sont suivis d’un texte anonyme intitulé La guirlande de Priape, savoureux pastiche d’auteurs « classiques » (de Hugo à Morand en passant par Richepin, Rostand, Baudelaire et… Louÿs).
A réserver aux amateurs de curiosités…
Libellés : Ange Bastiani, Bouyxou, érotisme, Eurédif, La Brigandine, Louÿs, Mancéro, Maurice Raphaël, Pornographie, Vaneigem
4 Comments:
Je signale au passage pour ceux qui supportent de lire sur un écran qu'il y a des textes de Pierre Louys ici
http://www.eros-thanatos.com/
pour les amateurs et les curieux.
Dont l'indispensable et désopilant "Manuel de civilité pour les petites filles à l'usage des maisons d'éducation".
Je n'ai pas de Pocket sexy à la maison, enfin je ne crois pas... C'est vrai qu'avec ce genre de collections il faut se résoudre à accepter le fait qu'on ne possède parfois des livres que pour leurs couvertures (même si on a parfois de jolies surprises), mais c'est un truc à devenir accro... je sais de quoi je parle...
Bonne année à toi aussi et longue vie à tes deux blogs!
Bonjour, j’adore vraiment ce que vous faites je me demande comment j'ai pu rater votre blog.
J’adore vraiment ce que vous faites, bravo !!! Merci bien de partager avec nous cet article.
voyante
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