Le Je avec la Fiction
Alain Zannini (2002) de Marc-Edouard Nabe (Editions du Rocher.2002)
Je n’apprendrai rien à personne en rappelant qu’Alain Zannini est le véritable nom de Marc-Edouard Nabe, sans doute le plus doué des écrivains français contemporains et le plus controversé (personne ne lui a pardonné sa première apparition télévisuelle chez Pivot en 1985 et le teneur de son journal intime).
Même si la couverture du livre précise qu’il s’agit d’un « roman », inutile de préciser qu’avec un titre pareil, Alain Zannini apporte une nouvelle brique (plus de 800 pages : voilà une belle brique !) à l’édifice autobiographique magistral mis en chantier dès ses premières œuvres par l’auteur.
Peut-on parler ici d’un nouvel avatar de cette « autofiction » dont les journaleux en mal de modes littéraires ne cessent de nous rabattre les oreilles ? Sans doute ! Sauf qu’il faudrait être aveugle pour ne pas déceler le gouffre qui sépare la somme de Nabe (lâchons dès maintenant le mot, c’est un véritable chef-d’œuvre) et les atermoiements insipides et nombrilistes d’une Christine Angot. Chez Nabe, la matière autobiographique est travaillée par l’écriture, par une forme littéraire incroyablement dense et vivante (c’est sans doute pourquoi ses mésaventures amoureuses et sexuelles et ses « mondanités » nous touchent tant) alors que la platitude journalistique (je suis reporter de ma pauvre petite vie) et l’absence de style font office d’écriture chez Angot.
Alors que tout semble s’écrouler autour de lui (comme les 800 pages du livre vont nous le confirmer par la suite), Nabe décide en l’an 2000 de quitter Paris pour s’installer dans l’île grecque de Patmos, là où Saint-Jean écrivit l’Apocalypse. Lorsqu’un mystérieux pope lui vole son épais journal intime qu’il a emporté avec lui, Nabe rencontre celui qui va se charger de l’enquête et de retrouver l’objet volé : l’inspecteur Alain Zannini et son chien Œdipe.
Enquête allégorique qui va amener les « deux » hommes a rencontrer des personnages étranges (une secte chinoise, une voyante aveugle…) et Nabe à se pencher sur son passé qu’il essaie de reconstituer mentalement.
D’une certaine manière, Alain Zannini est le cinquième tome du Journal de Nabe. Je n’ai malheureusement réussi à dégotter que le premier (Nabe doit être l’auteur contemporain dont les livres sont les plus recherchés et dont les prix sont déjà incroyablement prohibitifs : allez voir sur des sites de ventes d’occasion en ligne !) mais j’ai retrouvé dans ce « roman » le même plaisir que j’avais eu à dévorer Nabe's dream. Le style flamboyant de l’auteur et son humour unique rendent absolument palpitant ce voyage dans la vie de l’auteur de 1990 (en gros) à 2000.
Les personnalités ne sont pas citées par leurs noms mais les prénoms suffisent à reconnaître les individus. Cela nous vaut des portraits savoureux de Sollers (le mentor ambigu), de Jeannot / Jean-Edern Hallier (avec qui Nabe s’est fâché tout en lui rendant hommage), de son « meilleur ami » qui l’a trahi (Stéphane Zadganski est malmené de façon très drôle) et de beaucoup d’autres (le fidèle Frédéric Taddéï, Patrick Besson, Hector Obalk…). Cela ne pourrait être qu’anecdotique mais Nabe parvient à transcender situations et personnages (magnifique passage où l’écrivain se rend à Meudon en péniche pour voir Lucette Destouches, la veuve Céline, en compagnie de Jean-François Stévenin) pour leur donner une véritable ampleur romanesque.
Idem pour ses déboires amoureux qui occupent une bonne part de l’œuvre. Au centre de sa vie sentimentale, la belle Hélène, sa femme, dont il dresse un portrait magnifique (je sais qu’on peut le trouver extrêmement cruel mais avec un peu de recul, je réitère mon propos, c’est un personnage absolument magnifique). Et puis ses (nombreuses) maîtresses. La plus célèbre, Diane Tell (qu’il m’a rendu extrêmement sympathique alors que j’avais d’elle l’image d’une insipide chanteuse de variété en toc. Il faut d’ailleurs voir l’extrait de l’émission de Christine Bravo qui provoquera la rencontre- l’extrait est disponible en ligne- pour réaliser à quel point la chanteuse est infiniment plus intelligente et fine que l’espèce de dragon ignoble qui l’interroge et qui tente de la faire prendre pour une imbécile sous couvert « d’humour » !) avec qui il se rendra à La Salette (inutile de préciser que l’ombre de Bloy plane toujours sur l’œuvre de Nabe, ainsi que celle de Céline et, ici, de Dostoïevski). Puis il y aura Laura, la « Peau Rouge » et Delphine la frigide (qui, en revanche, a droit à un portrait assez gratiné ! On sent qu’elle a fait souffrir notre écrivain même si, c’est toujours la limite du journal intime, elle n’a pas son droit de réponse) et les « suceuses » Caroline et Lorène (oui, précisons que les frasques amoureuses et sexuelles de Nabe sont parfois très crues !)
Portraits de femmes où d’aucuns ne verront que nombrilisme et misogynie alors qu’éclate à chaque phrase, à chaque mot l’addiction totale de l’écrivain à l’Absolu et ce que ce « sacerdoce » (au Beau, à l’Art, à l’Amour : il faut toujours mettre des majuscules avec Nabe) peut avoir de douloureux.
A ce titre, il y a des passages magnifiques où l’auteur trouve dans une boite à « hôtesses » (le bien-nommé « Paradis ») un îlot de paix et d’amour au milieu de splendides putes auxquelles l’auteur rend un hommage très émouvant.
« En ces temps de désarroi moralisateur des sexes et de revalorisation de la misère sexuelle, il m’était apparu que les putains étaient les dernières femmes dignes. Il existait à Paris un endroit où la chaleur humaine n’était pas attiédie par la « communication » et où le langage n’était pas un vain mot. »
Je n’entre pas dans les détails tant Alain Zannini m’a paru une somme autobiographique ET romancé foisonnante et intense (l’actualité – la tempête de 1995- rattrapant parfois le quotidien de l’écrivain). C’est aussi un ouvrage de transition puisqu’il procède à un échange d’identité (Zannini revient à la place de Nabe) et que le Journal Intime finit dans les flammes (diable ! que de pages merveilleuses perdues à tout jamais !)
En se débarrassant de ce double encombrant, Nabe peut vaincre le sortilège de « Dorian Gray » et vieillir apaisé. Du moins, aborder plus sereinement son œuvre en lui impulsant une nouvelle forme. Ce seront ses livres « adossés » à l’actualité (Une lueur d’espoir, Printemps de feu, J’enfonce le clou…) où l’événement sera retranscrit non plus dans une forme « journalistique » mais littéraire.
En espérant que les déboires de l’auteur avec son éditeur ne lui mettrons pas trop de bâtons dans les roues et lui permettrons de poursuivre son œuvre essentielle…
Libellés : Angot, Autofiction, Diane Tell, Jean-Edern Hallier, Journaux et carnets, Nabe, Sollers, Zadganski
6 Comments:
Bonjour Docteur
Je suis ravie de trouver votre note de lecture sur AZ. Je l'ai "vue" sur wikio.
http://www.wikio.fr/blogs/search/nabe
Bizarrement (pas du tout en fait), dans le signalement wikio, le tout début de votre chronique se trouve "mixé" avec une pseudo pub pour amazon disant que l'ouvrage y est disponible en format de poche.
C'EST FAUX.
Les sites de soit-disant valorisation des contenus des blogs, font du travail de cochon. Wikio a détecté que le titre de l'article était celui d'un livre (ou d'un film, ou autre), et vlan il fourgue un encart amazon totalement bidon, qui ne correspond même pas a l'offre du site marchand.
A propos d'AZ et de Nabe, je dis juste que c'est avec ce ROMAN que j'ai découvert MEN en 2002. Déjà presque trop tard... Récemment je l'ai redécouvert avec L'Ame de Billie Holiday, Nuage, La Marseillaise, Le Vingt-Septième Livre, Chacun mes gouts, Le Bonheur, et Morceaux Choisis. Ces titres sont presque les seuls que l'on puisse se procurer en passant par une librairie ou un éditeur. Le Journal (4 tomes de 500+ pages) n'a jamais été édité en poche et est introuvable, sauf a prix d'or depuis que des petits malins se sont aperçus que la cote de Nabe commençait de re-grimper.
Merci pour votre article.
encore moi... J'enfonce le clou (comme dirait Nabe, ouvrage également introuvable), voici le facsimilé de ce que l'on voit sur wikio... j'ai mis en gras ce que wikio s'est permis de rajouter a` votre contenu.
-----------------
Alain Zannini - Marc-Edouard Nabe
Critico blog (S'abonner gratuitement) | hier
La cave du Dr Orlof Alain Zannini, De Marc-Edouard nabe Disponible en Poche Acheter Alain Zannini sur Amazon Je n'apprendrai rien à personne en rappelant qu'Alain Zannini est le véritable nom de Marc-Edouard nabe, sans doute le plus doué des écrivains français contemporains et le plus controversé (personne ne lui a pardonné sa première apparition télévisuelle chez Pivot en 1985 et le teneur de son..
-------------------
Je ne sais pas vous mais moi, je trouve inadmissible qu'un service qui se voudrait web 3.0 avant l'heure (ouaibe sémantique comme ils disent) trifouille un contenu original, pour des raisons commerciales peut-être, mais ou sont les limites du profit ?
J'ai fini ALain Z il y'a 2 semaines, et le bouquin résonne en continu dans ma petite boite cranienne! Le meilleur (les aures sont bons aussi) de livres de Nabe que j'ai pu lire (Le regal, lucette, le bohneur, AZ).
N'écoutez pas ce qu'on dit de Nabe, lisez le!
> N'écoutez pas ce qu'on dit de Nabe, lisez le!
je dirais meme plus...
> N'écoutez pas ce qu'on dit de Nabe, regardez-le!
Il expose une cinquantaine d'oeuvres "Les Orients de Nabe" a l'Office du Tourisme du Liban, Paris 8, jusqu'au 24 mars
> N'écoutez pas ce qu'on dit de Nabe, ecoutez-le!
Il joue (guitare ryhtmique) dans la formation de son pere Marcel Zanini, concert une fois pas mois environ sur Paris
Je ne sais pas encore si il est aussi sculpteur...
Bonjour Docteur !
Mister Nabe a un nouveau site internet flambant neuf :
http://www.alainzannini.com
Bon surf nabien !!!
Bonsoir, tous mes remerciements pour ton travail sur ce blog que j’apprécie beaucoup. C’est un plaisir à lire, très vivant et très bien fait. Bravo !
Enregistrer un commentaire
<< Home