Le Je et l'action
L’ennemi du peuple (1903-04) de Georges Darien (L’âge d’homme. 2009)
Des pamphlétaires anarchistes virulents, j’ai déjà eu l’occasion d’en lire un certain nombre. Mais malgré leur verve rageuse, des gens comme Emile Pouget ou Albert Libertad ne me paraissent pas être allés aussi loin que Georges Darien dans la radicalité et l’intransigeance.
Un exemple entre cent, cette petite citation qui fera blêmir les « crapauds à pustules humanitaires » :
« Il faut tuer. Il faut rendre le mal pour le mal ; et le rendre avec usure. C’est le seul moyen de supprimer les malfaiteurs. Si l’on veut qu’une chose cesse d’exister, il faut la détruire. Et si des hommes veulent défendre cette chose-là, il faut tuer ces hommes-là. »
Le ton est donné et vous pouvez imaginer désormais de quelles matières explosives est constitué ce recueil d’articles rédigés par Georges Darien dans le bimensuel anarchiste L’ennemi du peuple qui sévit du mois d’août 1903 à celui d’octobre 1904.
Georges Darien est sans doute plus connu pour son œuvre littéraire que pour ses talents de polémiste individualiste. Son roman le plus célèbre, le voleur (adapté mollement par Louis Malle au cinéma avec Belmondo), est un pur chef-d’œuvre qui fut redécouvert assez tardivement (notamment par Breton). Mais on lui doit aussi un époustouflant réquisitoire contre l’armée et les compagnies disciplinaires (Biribi), un très beau tableau de la France bourgeoise et veule qui applaudit au moment de la capitulation de 70 et à l’écrasement de la Commune (Bas les cœurs) ainsi que deux pamphlets passionnants : Les pharisiens, où Darien prend violemment à parti Drumont et les antisémites et cet incroyable brûlot que reste encore aujourd’hui La belle France, essai où l’on retrouve un certain nombre d’idées contenues dans ses articles de journaux.
Le recueil des textes de Darien pour L’ennemi du peuple avait été effectué sous la houlette de Gérard Guégan par les éditions Champ Libre en 1972. Le livre étant devenu quasiment un incunable, c’est avec grand plaisir qu’on le voit réapparaître sous la bannière des excellentes éditions l’âge d’homme (dans une collection mitonnée par Noël Godin s’intitulant « le livre carabiné »), préfacé par Jean-Pierre Bouyxou.
Les textes sont divisés en quatre parties. Passons rapidement sur la dernière intitulée De quelques canailles où sont regroupés quelques pages incroyablement virulentes contre Jaurès (au moment où il lance l’humanité) et Tolstoï, pages où s’exprime parfaitement la haine que Darien voue au pacifisme et à la résignation chrétienne. Ce sont deux idées qui reviennent régulièrement sous sa plume et qui se retrouvent dans les deux premières parties du livre. Primo : à l’encontre d’un certain nombre d’anarchistes non-violents et pacifistes, Darien ne s’oppose pas à l’idée de guerre (même s’il conchie vertement le militarisme). Pour lui, une mobilisation générale permettrait au peuple d’avoir les armes en mains et de les retourner contre ses chefs. Théoricien de l’action, l’auteur ne voit pas d’autres moyens pour renverser l’état social de son époque et ne plus attendre un Age d’or sans cesse remis à un hypothétique futur lointain. L’histoire prouvera malheureusement que sa théorie était parfaitement erronée et que dans les veines du peuple partant la fleur au fusil pour la première grande boucherie mondiale coulait davantage le poison répugnant du patriotisme qu’une véritable volonté révolutionnaire!
Deuxième grande idée, qu’on retrouve largement développée dans La belle France : l’injustice sociale ne pourra être vaincue que lorsqu’on aura libéré la terre de la propriété privée. Là encore, cet attachement à la terre hérité des théories des physiocrates a un peu vieilli.
Reste alors la troisième partie du livre, peut-être la plus passionnante, à savoir les rapports de Darien avec le mouvement anarchiste.
Peut-on qualifier Darien d’anarchiste ? Lui-même réfute cette étiquette et on le voit prendre violemment à parti l’anar « sirop de coing » Charles Malato et même son collègue Emile Janvion avec qui il ne partage pas les mêmes convictions quant à la question de l’individualisme. Ce qui l’éloigne des anarchistes, c’est le côté presque « religieux » que peut revêtir parfois cette idéologie. Darien fustige aussi bien le dogme de l’abstention électorale (qui n’est pour lui qu’un des visages de l’inaction) que celui de la « grève générale » qu’il considère comme impropre à modifier le visage de la société.
En revanche, nul doute que notre bonhomme est un révolutionnaire et un individualiste dans la lignée de Max Stirner. Comme Zo d’Axa et Libertad, il reprend les leçons de La Boétie sur la servitude volontaire et n’a pas de mots assez durs pour vomir la passivité des masses, la résignation des pauvres, l’imbécile soumission du peuple :
« Qu’est-ce que le Peuple ? C’est cette partie de l’espèce humaine qui n’est pas libre, pourrait l’être, et ne veut pas l’être ; qui vit opprimée, avec des douleurs imbéciles ; ou en opprimant, avec des joies idiotes ; et toujours respectueuse des conventions sociales. »
Au-delà du « troupeau des moutons » et de celui des « bergers », il y a ce que Darien nomme l’Individu, le Hors-Peuple dont il fait partie. Cette absence absolue de compassion, de pitié pleurnicharde pour « les gens de peu » fera sans doute grincer beaucoup de dents et fera rejeter en bloc son auteur. Pourtant, c’est sans doute l’aspect de sa réflexion qui a le moins vieilli puisqu’il montre de manière assez juste que toute amélioration des conditions sociales (et qu’on ne vienne surtout pas me parler de « réformes » !) n’est envisageable que par l’action.
A nous de méditer maintenant sur les moyens de cette action…
Un exemple entre cent, cette petite citation qui fera blêmir les « crapauds à pustules humanitaires » :
« Il faut tuer. Il faut rendre le mal pour le mal ; et le rendre avec usure. C’est le seul moyen de supprimer les malfaiteurs. Si l’on veut qu’une chose cesse d’exister, il faut la détruire. Et si des hommes veulent défendre cette chose-là, il faut tuer ces hommes-là. »
Le ton est donné et vous pouvez imaginer désormais de quelles matières explosives est constitué ce recueil d’articles rédigés par Georges Darien dans le bimensuel anarchiste L’ennemi du peuple qui sévit du mois d’août 1903 à celui d’octobre 1904.
Georges Darien est sans doute plus connu pour son œuvre littéraire que pour ses talents de polémiste individualiste. Son roman le plus célèbre, le voleur (adapté mollement par Louis Malle au cinéma avec Belmondo), est un pur chef-d’œuvre qui fut redécouvert assez tardivement (notamment par Breton). Mais on lui doit aussi un époustouflant réquisitoire contre l’armée et les compagnies disciplinaires (Biribi), un très beau tableau de la France bourgeoise et veule qui applaudit au moment de la capitulation de 70 et à l’écrasement de la Commune (Bas les cœurs) ainsi que deux pamphlets passionnants : Les pharisiens, où Darien prend violemment à parti Drumont et les antisémites et cet incroyable brûlot que reste encore aujourd’hui La belle France, essai où l’on retrouve un certain nombre d’idées contenues dans ses articles de journaux.
Le recueil des textes de Darien pour L’ennemi du peuple avait été effectué sous la houlette de Gérard Guégan par les éditions Champ Libre en 1972. Le livre étant devenu quasiment un incunable, c’est avec grand plaisir qu’on le voit réapparaître sous la bannière des excellentes éditions l’âge d’homme (dans une collection mitonnée par Noël Godin s’intitulant « le livre carabiné »), préfacé par Jean-Pierre Bouyxou.
Les textes sont divisés en quatre parties. Passons rapidement sur la dernière intitulée De quelques canailles où sont regroupés quelques pages incroyablement virulentes contre Jaurès (au moment où il lance l’humanité) et Tolstoï, pages où s’exprime parfaitement la haine que Darien voue au pacifisme et à la résignation chrétienne. Ce sont deux idées qui reviennent régulièrement sous sa plume et qui se retrouvent dans les deux premières parties du livre. Primo : à l’encontre d’un certain nombre d’anarchistes non-violents et pacifistes, Darien ne s’oppose pas à l’idée de guerre (même s’il conchie vertement le militarisme). Pour lui, une mobilisation générale permettrait au peuple d’avoir les armes en mains et de les retourner contre ses chefs. Théoricien de l’action, l’auteur ne voit pas d’autres moyens pour renverser l’état social de son époque et ne plus attendre un Age d’or sans cesse remis à un hypothétique futur lointain. L’histoire prouvera malheureusement que sa théorie était parfaitement erronée et que dans les veines du peuple partant la fleur au fusil pour la première grande boucherie mondiale coulait davantage le poison répugnant du patriotisme qu’une véritable volonté révolutionnaire!
Deuxième grande idée, qu’on retrouve largement développée dans La belle France : l’injustice sociale ne pourra être vaincue que lorsqu’on aura libéré la terre de la propriété privée. Là encore, cet attachement à la terre hérité des théories des physiocrates a un peu vieilli.
Reste alors la troisième partie du livre, peut-être la plus passionnante, à savoir les rapports de Darien avec le mouvement anarchiste.
Peut-on qualifier Darien d’anarchiste ? Lui-même réfute cette étiquette et on le voit prendre violemment à parti l’anar « sirop de coing » Charles Malato et même son collègue Emile Janvion avec qui il ne partage pas les mêmes convictions quant à la question de l’individualisme. Ce qui l’éloigne des anarchistes, c’est le côté presque « religieux » que peut revêtir parfois cette idéologie. Darien fustige aussi bien le dogme de l’abstention électorale (qui n’est pour lui qu’un des visages de l’inaction) que celui de la « grève générale » qu’il considère comme impropre à modifier le visage de la société.
En revanche, nul doute que notre bonhomme est un révolutionnaire et un individualiste dans la lignée de Max Stirner. Comme Zo d’Axa et Libertad, il reprend les leçons de La Boétie sur la servitude volontaire et n’a pas de mots assez durs pour vomir la passivité des masses, la résignation des pauvres, l’imbécile soumission du peuple :
« Qu’est-ce que le Peuple ? C’est cette partie de l’espèce humaine qui n’est pas libre, pourrait l’être, et ne veut pas l’être ; qui vit opprimée, avec des douleurs imbéciles ; ou en opprimant, avec des joies idiotes ; et toujours respectueuse des conventions sociales. »
Au-delà du « troupeau des moutons » et de celui des « bergers », il y a ce que Darien nomme l’Individu, le Hors-Peuple dont il fait partie. Cette absence absolue de compassion, de pitié pleurnicharde pour « les gens de peu » fera sans doute grincer beaucoup de dents et fera rejeter en bloc son auteur. Pourtant, c’est sans doute l’aspect de sa réflexion qui a le moins vieilli puisqu’il montre de manière assez juste que toute amélioration des conditions sociales (et qu’on ne vienne surtout pas me parler de « réformes » !) n’est envisageable que par l’action.
A nous de méditer maintenant sur les moyens de cette action…
Libellés : Anarchisme, antimilitarisme, Darien, Individualisme, Libertad, pamphlet, subversion
3 Comments:
Ah super je ne savais pas que l'Age d'Homme avait fait cette nouvelle collection! C'est le seul titre pour l'instant? Je vais essayer de me procurer celui-là déjà.
"L'ennemi du peuple" est le deuxième titre de la collection. Le premier, que je rêve de dégotter, est l'essai du regretté Robert Dehoux intitulé "le zizi sous clôture inaugure la culture" (mazette, quel titre!)
Espérons que cette collection comprendra de nombreux titres...
Un grand moment de bonheur, de plaisirs et d'échanges d'aventures, merci !
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