C comme Céline
Guignol’s band 1 et 2 de Louis-Ferdinand Céline (Gallimard. Folio)
Si cet abécédaire a connu un arrêt momentané, ce n’est pas pour un abandon improbable de mes lectures mais parce que j’ai triché : j’ai lu un livre que vous découvrirez quand nous arriverons à la lettre M (la note est déjà prête !). Or ledit livre faisait déjà plus de 700 pages et voilà que pour aborder la lettre C, je me confronte à l’œuvre immense de Céline et à son Guignol’s band qui fait, lui aussi, plus de 700 pages (et 700 pages de Céline, ce n’est pas 700 pages d’Anna Gavalda !). A vrai dire, je me trouvais dans un premier temps bien embêté : que dire de l’auteur du Voyage au bout de la nuit ? Qu’ajouter au flot des commentaires que son nom a suscité (bien souvent pour de mauvaises raisons) ? Alors j’ai jeté un œil à un Dictionnaire des œuvres pour y découvrir des notules indigentes, consacrées à 90% au résumé de l’action : ça m’a décomplexé même s’il paraît évident que je ne vais pas me livrer ici à une exégèse savante du roman mais plutôt jeter sur papier virtuel quelques impressions qu’il m’en est resté.
Guignol’s band se déroule pendant la première guerre mondiale, à Londres où Ferdinand s’est réfugié après avoir été réformé suite à sa blessure de guerre (je vous renvoie au Voyage). Après un prologue contemporain où l’auteur tente d’échapper aux bombardements allemands (cette fois, c’est la deuxième guerre mondiale), nous voilà donc dans les quartiers populaires de la capitale anglaise en 1916 où Céline décrit à merveille la vie des dockers et d’une petite faune à laquelle il s’est mêlé. Rien de plus vivant que cette plongée dans le monde des pubs où s’agitent des pianistes belliqueux, un petit peuple de souteneurs et de prostituées aux grandes gueules et de flics plus ou moins conciliants. De cette galerie de personnages se détache la figure de Cascade, proxénète qui règne sur le milieu et qui voit avec effroi tous les hommes atteints par la fièvre du patriotisme retourner en France et lui confier leurs femmes. On croisera également un préteur sur gages avec qui Ferdinand et Boro le pianiste auront maille…
Tout le monde connaît désormais la fameuse écriture de Céline où se mêlent avec un bonheur jamais démenti l’argot, les expressions les plus triviales (mais attention : « chie pas juste qui veut »), l’incroyable musicalité d’une phrase désossée, fracassée par les trois petits points et les formes exclamatives. Rien de plus vivant que cette prose dont la verdeur et l’expressivité traduisent à merveille le mouvement chaotique de la vie.
Si Céline reste l’un des plus grands écrivains du 20ème siècle, c’est sans doute parce qu’il fut toute sa vie une véritable « éponge », absorbant toutes les dimensions de l’existence humaine (même les pires rebus) pour les rendre dans un langage totalement neuf mais néanmoins « classique » (en ce sens que Céline n’est pas San Antonio : son œuvre n’est pas seulement « argotique » et témoigne également d’une incroyable maîtrise de la langue française).
Guignol’s band rend parfaitement justice à ce style haut en couleur, imagé. Les portraits que l’auteur dresse de ses personnages sont saisissants et jamais sa verve rabelaisienne ne se tarit. Son écriture est un courant furieux qui charrie un nombre sidérant d’émotions et un regard à la fois extrêmement violent sur la condition humaine mais plein de compassion (« les pires arnaquiers de la misère ils jouissent du prestige…adulés souvent, cocotés, que les gentils on les massacre !... Faire crever le pauvre que ça chie pas…bien abuser des pires détresses, qu’ils dégueulent le sang, c’est le fin du fin du sortilège, la vraie magie, le beau de beau ! »)
Dans la deuxième partie du roman (intitulée d’abord Le pont de Londres), Ferdinand et un vieil homme excentrique déguisé en chinois tente absolument de quitter l’Angleterre pour échapper aux « bourres » et à une condamnation pour meurtre (le fameux prêteur sur gages, tué par accident suite à une beuverie ayant mal tournée). Il rencontre un étrange colonel qui leur propose, moyennant rémunération, de tester des masques à gaz. Cet homme a une fille de 14 ans, Virginie, dont Ferdinand tombe éperdument amoureux. Le principe du livre reste le même : vaste fresque d’évènements minimes (des bagarres épiques, des confrontations rageuses, les transes du « chinois » qui veut rentrer en contact avec des dieux tibétains…), écriture survoltée et panorama vibrant de tout un petit peuple. Cette deuxième partie, parfois un peu étouffante par la densité de l’écriture de Céline (on a parfois du mal à savoir où l’on se trouve), laisse également place à une forme de fantastique. Blessé à la tête, terrassé par la fatigue et l’alcool, Ferdinand se trouve alors en proie à des visions oniriques où les cadavres reviennent à la vie et l’entraînent dans de folles orgies. De nombreux fantômes reviennent le hanter à mesure que le roman progresse, comme si son écriture était un moyen de les convoquer à nouveau. D’une certaine manière, il faudrait parler de « réalisme halluciné » pour ce roman.
La forme est toujours aussi violente et on navigue entre un burlesque savoureux et le tragique le plus noir. Le pessimisme foncier de Céline est néanmoins compensé par les trouées de lumière qu’apporte le personnage de Virginie, la belle innocente au milieu du chaos et du cloaque humain. Elle est la lueur d’espoir qui donne toute l’énergie au narrateur, son unique souci.
Il y aurait tant de choses à dire sur l’œuvre de Céline que j’ai du mal à conclure. Cette humble note n’est sans doute pas la forme idéale pour développer une véritable « critique » de Guignol’s band : considérez-la comme une petite invitation à vous immerger dans ce vaste océan qu’est la prose de Louis-Ferdinand Céline…
Si cet abécédaire a connu un arrêt momentané, ce n’est pas pour un abandon improbable de mes lectures mais parce que j’ai triché : j’ai lu un livre que vous découvrirez quand nous arriverons à la lettre M (la note est déjà prête !). Or ledit livre faisait déjà plus de 700 pages et voilà que pour aborder la lettre C, je me confronte à l’œuvre immense de Céline et à son Guignol’s band qui fait, lui aussi, plus de 700 pages (et 700 pages de Céline, ce n’est pas 700 pages d’Anna Gavalda !). A vrai dire, je me trouvais dans un premier temps bien embêté : que dire de l’auteur du Voyage au bout de la nuit ? Qu’ajouter au flot des commentaires que son nom a suscité (bien souvent pour de mauvaises raisons) ? Alors j’ai jeté un œil à un Dictionnaire des œuvres pour y découvrir des notules indigentes, consacrées à 90% au résumé de l’action : ça m’a décomplexé même s’il paraît évident que je ne vais pas me livrer ici à une exégèse savante du roman mais plutôt jeter sur papier virtuel quelques impressions qu’il m’en est resté.
Guignol’s band se déroule pendant la première guerre mondiale, à Londres où Ferdinand s’est réfugié après avoir été réformé suite à sa blessure de guerre (je vous renvoie au Voyage). Après un prologue contemporain où l’auteur tente d’échapper aux bombardements allemands (cette fois, c’est la deuxième guerre mondiale), nous voilà donc dans les quartiers populaires de la capitale anglaise en 1916 où Céline décrit à merveille la vie des dockers et d’une petite faune à laquelle il s’est mêlé. Rien de plus vivant que cette plongée dans le monde des pubs où s’agitent des pianistes belliqueux, un petit peuple de souteneurs et de prostituées aux grandes gueules et de flics plus ou moins conciliants. De cette galerie de personnages se détache la figure de Cascade, proxénète qui règne sur le milieu et qui voit avec effroi tous les hommes atteints par la fièvre du patriotisme retourner en France et lui confier leurs femmes. On croisera également un préteur sur gages avec qui Ferdinand et Boro le pianiste auront maille…
Tout le monde connaît désormais la fameuse écriture de Céline où se mêlent avec un bonheur jamais démenti l’argot, les expressions les plus triviales (mais attention : « chie pas juste qui veut »), l’incroyable musicalité d’une phrase désossée, fracassée par les trois petits points et les formes exclamatives. Rien de plus vivant que cette prose dont la verdeur et l’expressivité traduisent à merveille le mouvement chaotique de la vie.
Si Céline reste l’un des plus grands écrivains du 20ème siècle, c’est sans doute parce qu’il fut toute sa vie une véritable « éponge », absorbant toutes les dimensions de l’existence humaine (même les pires rebus) pour les rendre dans un langage totalement neuf mais néanmoins « classique » (en ce sens que Céline n’est pas San Antonio : son œuvre n’est pas seulement « argotique » et témoigne également d’une incroyable maîtrise de la langue française).
Guignol’s band rend parfaitement justice à ce style haut en couleur, imagé. Les portraits que l’auteur dresse de ses personnages sont saisissants et jamais sa verve rabelaisienne ne se tarit. Son écriture est un courant furieux qui charrie un nombre sidérant d’émotions et un regard à la fois extrêmement violent sur la condition humaine mais plein de compassion (« les pires arnaquiers de la misère ils jouissent du prestige…adulés souvent, cocotés, que les gentils on les massacre !... Faire crever le pauvre que ça chie pas…bien abuser des pires détresses, qu’ils dégueulent le sang, c’est le fin du fin du sortilège, la vraie magie, le beau de beau ! »)
Dans la deuxième partie du roman (intitulée d’abord Le pont de Londres), Ferdinand et un vieil homme excentrique déguisé en chinois tente absolument de quitter l’Angleterre pour échapper aux « bourres » et à une condamnation pour meurtre (le fameux prêteur sur gages, tué par accident suite à une beuverie ayant mal tournée). Il rencontre un étrange colonel qui leur propose, moyennant rémunération, de tester des masques à gaz. Cet homme a une fille de 14 ans, Virginie, dont Ferdinand tombe éperdument amoureux. Le principe du livre reste le même : vaste fresque d’évènements minimes (des bagarres épiques, des confrontations rageuses, les transes du « chinois » qui veut rentrer en contact avec des dieux tibétains…), écriture survoltée et panorama vibrant de tout un petit peuple. Cette deuxième partie, parfois un peu étouffante par la densité de l’écriture de Céline (on a parfois du mal à savoir où l’on se trouve), laisse également place à une forme de fantastique. Blessé à la tête, terrassé par la fatigue et l’alcool, Ferdinand se trouve alors en proie à des visions oniriques où les cadavres reviennent à la vie et l’entraînent dans de folles orgies. De nombreux fantômes reviennent le hanter à mesure que le roman progresse, comme si son écriture était un moyen de les convoquer à nouveau. D’une certaine manière, il faudrait parler de « réalisme halluciné » pour ce roman.
La forme est toujours aussi violente et on navigue entre un burlesque savoureux et le tragique le plus noir. Le pessimisme foncier de Céline est néanmoins compensé par les trouées de lumière qu’apporte le personnage de Virginie, la belle innocente au milieu du chaos et du cloaque humain. Elle est la lueur d’espoir qui donne toute l’énergie au narrateur, son unique souci.
Il y aurait tant de choses à dire sur l’œuvre de Céline que j’ai du mal à conclure. Cette humble note n’est sans doute pas la forme idéale pour développer une véritable « critique » de Guignol’s band : considérez-la comme une petite invitation à vous immerger dans ce vaste océan qu’est la prose de Louis-Ferdinand Céline…
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