La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

vendredi, juin 03, 2016

Lectures de mai



On le sait, le mois de mai est le mois des pavés. Du coup,  j’ai entamé un livre de plus de 700 pages que je n’ai toujours pas terminé. C’est pour cette raison que mes lectures parallèles seront moins nombreuses cette fois :

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26- Muguette (1980) de Jean-Pierre Bouyxou (Editions de la Musardine, 2016)



Agrémentée d’une excellente préface, une réédition d’un célèbre roman de Jean-Pierre Bouyxou. J’en parle ici

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27- Mes Amours décomposés (1990) de Gabriel Matzneff (Gallimard. L’infini, 1990)

Il faudrait, lorsqu’on parle d’art et/ou de littérature, mettre de côté toute considération d’ordre morale puisque chacun sait qu’elle est très élastique et fluctuante selon les lieux et les époques. Il est probable que ceux qui défendaient Baudelaire et Flaubert en 1857 passaient pour de gros pervers et de vieux libidineux alors que ces auteurs sont désormais proposés à tous les lycéens de France et de Navarre. Avec Matzneff, le problème est d’autant plus ardu qu’il s’agit là d’un « journal intime » et non pas d’une fiction. Or, puisqu’il emploie souvent le terme, il ne fait aucun doute qu’il est « pédophile ». Mais encore faudrait-il bien définir le terme et ne pas le confondre avec celui de violeur et criminel (pléonasme !) qui est désormais le sens qu’il a dans la tête de tout un chacun depuis Dutroux. 
Dans Mes Amours décomposés, il s’agit de distinguer deux choses. D’une part, le récit de ses multiples aventures avec de nombreuses jeunes maîtresses qui ne peut choquer que ceux qui s’arc-boutent sur une conception rigide de la morale. Si certaines sont mineures, elles ont toutes atteint la majorité sexuelle et jamais Matzneff ne les force à quoi que ce soit. Ce sont même plutôt elles qui se jettent dans ses bras, pour le meilleur ou pour le pire (des ruptures douloureuses). Libre à chacun de trouver ce mode de vie choquant mais il relève de la stricte liberté individuelle.
De l’autre, il y a ce passage extrêmement perturbant où Matzneff se rend à Manille et s’offre de très jeunes garçons et filles (12/13 ans). Pour le coup, on quitte la sphère de la liberté individuelle pour arriver dans des zones inacceptables. Pourtant, c’est moins l’auteur qu’on a envie de blâmer (là encore, il ne viole pas, n’impose rien mais paye pour assouvir ses fantasmes) qu’un système abject, celui du tourisme sexuel (et il faudrait souligner l’extrême complaisance de la diplomatie française en ce domaine !). C’est malheureux à dire mais il est probable que ces enfants prostitués en ont vu d’autres et que Matzneff s’est contenté de profiter d’un système d’économie libérale ignoble. J’ai d’ailleurs le souvenir d’un enseignant en économie qui justifiait le travail des enfants en Chine sous le prétexte que nous étions aussi passés par là et que c’était nécessaire pour le développement économique !
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’excuser ce comportement mais d’essayer de ne pas tout confondre et amalgamer comme le font souvent les petits procureurs de la bien-pensance contemporaine (j’ai vu des cinéphiles se faire presque accuser de pédophilie parce qu’ils disent apprécier une actrice de 18 ans !). Il faudrait d’ailleurs se pencher, la tête froide, sur la « tentation pédophile » qui s’est développée dans la foulée de Mai 68 (René Schérer, Cohn-Bendit, Frédéric Mitterrand, Patrick Font et beaucoup d’autres). Tout se passe comme s’il avait fallu libérer l’enfant des contraintes de l’éducation classique et de lui reconnaître une liberté, une sexualité libérée (lire Le Journal d’un éducastreur de Jules Celma). L’erreur, bien entendu,  a été de considérer que cette sexualité enfantine était de même nature que la sexualité adulte et que les deux pouvaient cohabiter. Mais si on regarde ce qui se passe aujourd’hui, on remarque que notre société est toujours très « pédophile » (hyper sexualisation des jeunes dans la musique, la pub,  à la télévision ; enfant-roi…) et en même temps ultra-puritaine.
Pour Matzneff, il faut également ajouter le côté « helléniste » de l’auteur et son plaisir d’initier les jeunes personnes comme au temps de Socrate. Mais revenons à son journal qui débute en 1983 après une nuit d’amour avec…deux maîtresses en Corse ! Cette année-là, l’auteur est inquiété par les calomnies liées à « l’affaire du Coral » et il a perdu sa tribune au Monde. Il écrit sa Diététique de Lord Byron et fréquente une bonne douzaine de jeunes filles.
Ce que j’aime dans les journaux intimes réussis, c’est leur manière de faire basculer l’anecdotique et le superficiel du côté de la littérature et de l’universel. Pas plus que les animaux de Léautaud, les aventures sexuelles de Matzneff ne devraient nous passionner. Pourtant, grâce au style étincelant de l’auteur, on ne lâche pas un instant son journal.
Lui-même l’écrit : ce n’est pas tant le fond de ses récits qui en fait l’intérêt que leur « musique ». Son précédent journal s’intitulait Un Galop d’enfer et il est vrai que Mes Amours décomposés frappe et séduit par son rythme endiablé et la justesse de son trait.
Derrière les pages de ce journal se dessine le portrait d’un homme qui ressemble, par bien des aspects, à Casanova : désir insatiable de plaire et de séduire (Matzneff est obsédé par son poids mais ne peut pas s’empêcher de beaucoup manger et boire), multiplication (impressionnante) des maîtresses mais un attachement sincère à chacune d’entre-elle. Contrairement à Don Juan, l’auteur n’abandonne pas ses conquêtes et chaque rupture est une déchirure.  Il y a également chez lui un côté dandy aristocrate que résume parfaitement ce passage :
« Le destin en a décidé autrement, mais dans l’ordre éthique, esthétique, les jeux étaient joués : je suis fait pour avoir de l’argent, pour le dépenser, non pour en gagner. Je suis incapable d’en gagner. Je me suis donc installé dans ce personnage de clochard de luxe qui est le seul qui me permette de ne pas déchoir. »
« Clochard de luxe », Matzneff évoque ses diners où l’on croise souvent le grand fouriériste René Schérer, l’immense Guy Hocquenghem et quelques autres (Jérôme Garcin, Philippe Sollers…). Plus étonnant, il évoque rapidement un dîner d’anniversaire de Marcel Carné et une invitation très officielle à l’Elysée en compagnie de Mitterrand où il en profite pour faire un brin de cour à Charlotte Rampling.
Entre son petit appartement parisien dénué de tout et ses régulières escapades à la piscine de Deligny, Matzneff nous fait partager ses états d’âme, ses plaisirs mais aussi ses doutes et ses désespoirs.
« Seuls me captivent les livres où l’auteur s’est brûlé vif », écrit-il. En prenant le risque d’apparaître sous un jour peu glorieux (il est parfois vaniteux, odieux avec ses maîtresses…), Matzneff se « brûle vif » dans ce Journal et parvient à nous captiver. 

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28- Mon fauteuil à trois roues (1968) de José Michel (Fleuve Noir, collection Angoisse, 1968)


Comme tous les romans de la collection Angoisse, je réserve mon avis pour un ouvrage à venir.

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29- Retour à Babylone (1984) de Kenneth Anger (Editions Tristram, collection Souple, 2016)


Après le passionnant Hollywood Babylone, Kenneth Anger nous convie à une nouvelle plongée du côté des arrière-cours d’Hollywood. L’intérêt du premier livre était de mêler avec style le fait divers sordide, une réflexion solide sur les aléas de la célébrité et sur le développement des médias de masse et une profonde empathie pour les stars aux ailes brûlées par le succès. Il y avait chez Anger un petit côté James Ellroy tout à fait captivant que l’on retrouve dans Retour à Babylone, notamment lorsqu’il évoque les liens entre la mafia et Hollywood (épisode assez glaçant) ou le destin tragique de l’acteur William Haynes, mis au placard en raison de son homosexualité (il fut d’ailleurs un temps le mignon de Clark Gable). Pourtant, l’ouvrage paraît un peu plus « léger » que le premier en ce sens qu’Anger traite ces cas de façon un peu plus superficielle. A ce titre, toute la dernière partie du livre consacrée aux multiples personnalités hollywoodiennes qui se sont suicidées paraît un peu anecdotique même si on apprend des choses, notamment sur James Whale ou Clyde Bruckman.  En dépit de cette petite réserve, le livre reste passionnant par sa suprême ironie et sa manière très sarcastique de passer de l’autre côté du miroir sans se placer du côté des juges et des inquisiteurs…

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2 Comments:

Anonymous voyance gratuite par email said...

Je te félicite c’est bien d’avoir fait ce blog
merci beaucoup

10:30 AM  
Anonymous voyance gratuite said...

Je te félicite c’est bien d’avoir fait ce blog
merci beaucoup

2:37 PM  

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