Eloge des gueux
La chanson des gueux (1876) de Jean Richepin (Fasquelle. 1922)
Après Darien, retrouvons un auteur qui figure également en bonne place dans l’anthologie de la subversion carabinée de Noël Godin.
C’est peu dire que le romancier, dramaturge, nouvelliste et poète Jean Richepin est aujourd’hui bien oublié malgré son entrée à l’Académie française en 1909. Consécration « officielle » qui fera d’ailleurs perdre toute sa verve à celui qui exalta avec un certain lyrisme la cause des hors-classes, des marmiteux, des calamiteux et autres gueux de tout poil; même si ses derniers recueils de nouvelles morbides et bizarres méritent le coup d’œil (Le coin des fous est une petite merveille).
Oublions donc le chantre sénile de la « religion drapeautique » [Céline] pour se replonger dans ce recueil de poésie intitulée La chanson des gueux et qui valut à Richepin trente jours de prison et 500 francs d’amende (rien que ça !). On ne rigolait alors pas avec la morale publique et certaines images un peu trop « vertes » du poète ont dû faire blêmir les tenants de l’ordre public (les imbéciles !).
Dans ce recueil entièrement consacré aux miséreux des villes et des champs, où une forme très classique de versification et le vocabulaire châtié succèdent à des poèmes en argot ou des éloges vibrants de la jouissance immédiate comme dans le magnifique Frère, il faut vivre (dont certaines strophes ont été censurées) :
« Donc, frère, encore un coup, mangeons, buvons, baisons,
Vivons, pleins d’une faim de vivre inassouvie !
Et quand la mort clora nos mâchoires, faisons
Du hoquet de la mort un salut à la vie ! ».
Si La chanson des gueux a encore une chance de rester un peu dans les mémoires, c’est qu’il s’agit du recueil où le grand Georges Brassens a puisé pour mettre en musique deux magnifiques poèmes du poète. Il y a d’abord la version raccourcie du sublime les oiseaux de passage (« o vie heureuse des bourgeois !… ») où en quatre vers, tout est dit de la médiocrité bourgeoise :
« N’avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans ! »
Et puis il y a la Chanson des cloches de baptême que Brassens adapta et titra Les philistins. Je ne résiste pas au plaisir de vous donner le poème en entier puisqu’il est assez court. Cela fera une belle conclusion pour cette note :
« Philistins, épiciers,
Alors que vous caressiez
Vos femmes,
Vos femmes.
En songeant aux petits
Que vos grossiers appétits
Engendrent,
Engendrent.
Vous disiez : ils seront,
Menton rasé, ventre rond,
Notaires,
Notaires.
Mais pour bien vous punir,
Un jour vous voyez venir
Au monde,
Au monde.
Des enfants non voulus
Qui deviennent chevelus
Poètes,
Poètes.
Car toujours ils naîtront
Comme naissent d’un étron
Des roses,
Des roses.
Après Darien, retrouvons un auteur qui figure également en bonne place dans l’anthologie de la subversion carabinée de Noël Godin.
C’est peu dire que le romancier, dramaturge, nouvelliste et poète Jean Richepin est aujourd’hui bien oublié malgré son entrée à l’Académie française en 1909. Consécration « officielle » qui fera d’ailleurs perdre toute sa verve à celui qui exalta avec un certain lyrisme la cause des hors-classes, des marmiteux, des calamiteux et autres gueux de tout poil; même si ses derniers recueils de nouvelles morbides et bizarres méritent le coup d’œil (Le coin des fous est une petite merveille).
Oublions donc le chantre sénile de la « religion drapeautique » [Céline] pour se replonger dans ce recueil de poésie intitulée La chanson des gueux et qui valut à Richepin trente jours de prison et 500 francs d’amende (rien que ça !). On ne rigolait alors pas avec la morale publique et certaines images un peu trop « vertes » du poète ont dû faire blêmir les tenants de l’ordre public (les imbéciles !).
Dans ce recueil entièrement consacré aux miséreux des villes et des champs, où une forme très classique de versification et le vocabulaire châtié succèdent à des poèmes en argot ou des éloges vibrants de la jouissance immédiate comme dans le magnifique Frère, il faut vivre (dont certaines strophes ont été censurées) :
« Donc, frère, encore un coup, mangeons, buvons, baisons,
Vivons, pleins d’une faim de vivre inassouvie !
Et quand la mort clora nos mâchoires, faisons
Du hoquet de la mort un salut à la vie ! ».
Si La chanson des gueux a encore une chance de rester un peu dans les mémoires, c’est qu’il s’agit du recueil où le grand Georges Brassens a puisé pour mettre en musique deux magnifiques poèmes du poète. Il y a d’abord la version raccourcie du sublime les oiseaux de passage (« o vie heureuse des bourgeois !… ») où en quatre vers, tout est dit de la médiocrité bourgeoise :
« N’avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans ! »
Et puis il y a la Chanson des cloches de baptême que Brassens adapta et titra Les philistins. Je ne résiste pas au plaisir de vous donner le poème en entier puisqu’il est assez court. Cela fera une belle conclusion pour cette note :
« Philistins, épiciers,
Alors que vous caressiez
Vos femmes,
Vos femmes.
En songeant aux petits
Que vos grossiers appétits
Engendrent,
Engendrent.
Vous disiez : ils seront,
Menton rasé, ventre rond,
Notaires,
Notaires.
Mais pour bien vous punir,
Un jour vous voyez venir
Au monde,
Au monde.
Des enfants non voulus
Qui deviennent chevelus
Poètes,
Poètes.
Car toujours ils naîtront
Comme naissent d’un étron
Des roses,
Des roses.
Libellés : Brassens, Godin, mi, Poésie, poésie française, Richepin
3 Comments:
PREUM'S
Il faut lire Jean Richepin, ce recueil est un chef d'œuvre..depuis que je l'ai déniché au sein de la bibliothèque parentale je le lis régulièrement avec plaisir.
extraits :
Eau Forte
Il tonnait. Il pleuvait. Les ruisseaux soulevés
Rebondissaient en boue aux angles des pavés.
Calme, un voyou sifflant recevait l'avalanche,
Sa casquette collé au front, la face blanche,
Sa pipe retournée et rouge par-dessous.
il avait vu sauter une pièce cent sous,
Se cognant au trottoir dans un bruit de cymbales.
Un écu flambant neuf, un blafard de cinq balles!
Il le pigea d'un bond, et le petit truand
Fit un grand pied de nez au ciel tonitruant
Autre eau-forte
La viscope en arrière et la trombine au vent
L'oeil marlou, il entra chez le zingue, et levant
Sa blouse qui faisait sur son ventre une bosse,
Il en tira le corps d'un chat : "Tiens, dit le gosse
Au troquet, tiens, voici de quoi faire un lapin."
Puis il prit son petit couteau de goussepain,
Dépouilla le greffier, et lui fit sa toilette
Avec le geste d'un boucher de la Villette.
Et l'on riait. Car nul ainsi que ce crapaud
Ne su déshabiller le matou de sa peau.
Un blog de haute qualité.C'est le type de blog qui me plaît et dont lesquels je partage mon point de vue modeste.
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