La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

vendredi, décembre 02, 2016

Lectures de novembre



58- J.O Séoul : L’or et la mort (1988) de Frank Dopkine (Média 1000, 1988)


Un thriller géopolitique signé par l’un des piliers des collections Bébé noir/ Brigandine. Nous aurons l’occasion d’en parler dans une autre publication…
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59- Wes Craven, quelle horreur ? (2016) d’Emmanuel Levaufre (Capricci, 2016)


Un court essai sur le cinéaste dont j’ai parlé ici.
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60- Marcello Mastroianni, le latin lover au miroir déformant de sa filmographie (2016) de Claire Micallef (La Septième obsession, 2016) 


Il faut un certain aplomb pour oser aborder une figure aussi mythique que celle de Marcello Mastroianni, d’autant plus qu’un docte critique comme Jean Gili lui consacre également un ouvrage en ce moment. Mais cet aplomb Claire Micallef, une des plus jolies plumes de La Septième obsession, cette nouvelle revue de cinéma qui se lance désormais dans l’édition, l’a. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’une biographie exhaustive mais d’un essai autour de la figure du « latin lover » qu’incarna avec panache le grand Marcello. Tout débute finalement avec La Dolce vita et la manière dont Fellini fige à tout jamais l’image du comédien comme le plus grand séducteur de l’époque. A partir de cette image archétypale, la force de Mastroianni et des cinéastes qui l’engagèrent va être de remettre en question cette vision iconique et de l’égratigner. Dès lors, le comédien va s’appuyer sur son image de tombeur de ces dames pour la saper par l’autodérision ou une certaine angoisse existentielle (son rôle dans La Nuit d’Antonioni). Mastroianni, au cours des années 60 et 70 va incarner mieux que quiconque une certaine crise de la « masculinité » : impuissance créatrice (8 ½) ou physiologique (Le Bel Antonio), fatuité jusqu’aux étranges fables de Ferreri (Break up) et Demy (L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune) où il se « féminise » au point de pouvoir enfanter !
Claire Micallef choisit cet axe de réflexion, s’y tient et nous propose des analyses limpides et pertinentes en s’appuyant sur les films phares de l’abondante œuvre de l’acteur. Superbement illustré par ailleurs, le résultat est une très belle réussite !
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61- Les Visages pâles (2016) de Solange Bied-Charreton (Stock, 2016)


S’il fallait résumer le livre en une phrase, nous pourrions dire qu’il s’agit de la lente décomposition d’une famille qui implose après la disparition du grand-père paternel. D’un côté, il y a trois enfants de notre temps aux trajectoires obliques (entre le petit dernier qui adhère sans la moindre hésitation à la « Manif pour tous » et l’ainée qui a monté sa boite et en succombant aux injonctions du libéralisme économique décomplexé) et des parents divorcés qui, eux aussi, présentent des caractères résolument antagonistes. Jean-Michel, le père, est l’héritier d’un puissant empire industriel qu’il a liquidé comme il cherche désormais à liquider ses souvenirs en vendant la demeure familiale. Quant à son ex-femme, héritière d’une certaine aristocratie en pleine déliquescence, elle symbolise une certaine idée de la France catholique d’antan.
Par son ampleur et sa manière de brosser un tableau de la société française et de ses blessures, de ses contradictions, Les Visages pâles semble venir d’un autre siècle, celui des Flaubert et Maupassant dont la jeune écrivain Solange Bied-Charreton se réclame. L’écueil auquel elle aurait pu facilement se heurter, c’est le typage lourdingue de chaque personnage chargé de « représenter » un aspect de la société française : la jeune graphiste happée par le vide abyssal de son expérience de la « modernité » et ses concepts creux, le post-ado réac à chèche qui milite avec les petits-bourgeois étriqués pour le retour à la chrétienté et à l’ordre moral, le père de famille désabusé, ayant adhéré aux lois du capitalisme… Pourtant, tout ce qu’il pourrait y avoir de caricatural dans cette présentation des personnages s’estompe rapidement grâce à l’élégance du style et l’habileté de l’auteur qui trouve la distance juste, entre satire mordante et une certaine empathie pour tout le monde. Avec la verve d’un Philippe Muray, Solange Bied-Charreton raille les travers de la modernité, d’une existence réduite à des slogans publicitaires et à la laideur généralisée. Mais de l’autre, elle ne cède pas à la tentation du repli réactionnaire et des gémissements des grenouilles de bénitiers. Elle montre avec force la perte de racines de cette bourgeoisie qui a troqué les livres d’histoire de Bainville contre les « œuvres » de Thierry Ardisson, qui s’est ralliée aux préceptes du capitalisme (y compris l’hédonisme post-soixante-huitard) et qui cherche également à se redonner des airs « révolutionnaires » par le biais de l’opposition au projet de loi Taubira.
Le trait est précis, l’analyse fine et l’on finit par s’attacher à tous ces personnages pourtant bien « pâles » et un brin ridicules. Toutes les ambiguïtés idéologiques qui empoisonnent aujourd’hui le débat public sont passées au scalpel : les aspirations libertaires de Mai 68 rattrapées par le libéralisme économique, le passé fantasmé d’une France éternelle (l’arrière-grand père qui aurait manifesté en février 1934 aux côtés des camelots du roi) qu’une aristocratie déliquescente cherche à arborer pour contrer la mondialisation, la « gauche » coupée de sa base populaire, la colère du peuple contre les élites…
Tout cela dans une fresque romanesque enlevée et vivante. Un grand roman d’aujourd’hui, donc.
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62- La Main du spectre (1974) de Gabriel Jean (Fleuve noir, Angoisse, 1974)


Un roman dont je parlerai, là encore, dans un autre projet. 
 
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63- Liberté, égalité, sexualité (2016) de Marc Lemonier (Editions de la Musardine, 2016)


A fait l’objet de ma dernière note ici.
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64- A corps et à crime (1980), Jimmy Garcia, (Editions du Bébé Noir, 1980) 


Jimmy Garcia fait partie des auteurs les plus mystérieux des collections Bébé noir et Brigandine. Vous en saurez (un peu mais pas beaucoup) plus en lisant l’ouvrage que votre serviteur consacre au sujet pour les éditions Artus. Mais pour l’heure, autant dire d’emblée qu’il s’agit d’un des meilleurs titres de la première version de cette collection. Pourtant, l’intrigue est classique avec son privé alcoolique et désabusé entrainé bien malgré lui dans une sombre histoire de trafic de drogue et de chantage.
Mais la verve anarchisante, les formules à l’emporte-pièce, les jeux de mots douteux (« De son côté, elle s'activait sur mon engin avec assez de frénésie, essayant de me faire comprendre combien elle appréciait mes ressources linguistiques. En quelque sorte, elle avait trouvé Saussure à son pied. ») et une sorte de dégoût existentiel finissent par emporter l’adhésion du lecteur qui ne s’ennuie pas une seconde. Dans le genre, c’est une parfaite réussite.
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65- Ernest (2016) de Christophe Bier (Editions Littérature mineure, 2016)


Une courte (trop courte ?) nouvelle sur un « podophile », à savoir un fétichiste du pied. On n’en dira pas plus pour ne pas gâcher le plaisir des futurs lecteurs mais sachez qu’on y retrouve toutes les obsessions de l’excellent Christophe Bier : l’évocation nostalgique des romans pornographiques « de gare », le goût du travestissement, la mise en scène de l’érotisme et une conclusion sublime : «Elle a fait du jeu son mode de vie sans compromis ». Le tout chez une petite éditrice de beaux livres qui raviront les bibliophiles.
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66- Berry story d’A.D.G. (1973) (Gallimard, Série Noire n°1586, 1973) 


Berry story est la suite de La Nuit des grands chiens malades, un livre dont la célébrité vient du fait qu’il a été porté à l’écran par Georges Lautner sous le titre Quelques messieurs trop tranquilles. Cette fois, nos vieux villageois berrichons ne sont pas confrontés à des « hippizes » mais à l’implantation d’un orphelinat (!) pour jeunes femmes entre 18 et 20 ans, tenu par Mââme Bibiche. Entre trafic de fausse monnaie et traite des blanches, nos sympathiques bouseux vont être embarqués dans une nouvelle histoire rocambolesque. Il faut, au départ, s’accrocher pour entrer dans le livre puisque A.D.G. nous concocte sa série noire à la sauce hussarde en employant une langue vernaculaire, un faux style parlé (car le livre est très bien écrit) truffé d’argot et de gallicisme (le « ouiskie »). Et puis on s’habitue à ce langage ô combien imagé, entre le bon polar d’antan et la musicalité du style de Céline (un serpent s’appelle d’ailleurs Rigodon) et on se prend à rire de bon cœur en découvrant cette farce « hénaurme » et rabelaisienne (avec une « faquire » qui distribue les bourre-pif et un cadavre découvert au milieu des rillettes du charcutier). Classé à l’extrême-droite, on sait qu’A.D.G. traine derrière lui une réputation sulfureuse. Pourtant, c’est plutôt un certain anarchisme de droite qui se dégage de ses romans : des personnages populaires hauts-en-couleurs, des situations abracadabrantes, un sens du burlesque, de l’humour noir et du cynisme qui finissent par emporter l’adhésion du lecteur.  

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