La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

samedi, octobre 17, 2009

Muray et Polanski

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais je ne me suis jamais prononcé, jusqu’à présent, sur les fameuses « affaires » Polanski/Mitterrand. D’une part parce que vous n’avez que faire de mon opinion (ce en quoi je ne vous donne pas tort), d’autre part, parce que je suis justement épuisé par tout ce ridicule cirque médiatique où chacun se croit tenu d’exprimer une opinion censée éclairer d’une lumière aveuglante un monde à la dérive.
Je ne vous livrerai pas aujourd’hui le fond de ma pensée car j’ai le sentiment que les dés sont pipés d’avance et qu’il est désormais impossible aujourd’hui de penser le problème autrement qu’en terme de « pour » ou « contre ».
Tout au long de cette affaire, c’est à Philippe Muray que j’ai songé et à ses descriptions sarcastiques des vains combats des « modernes » contre les « modernes ».
Car ce qui frappe dans ces joutes verbales où chacun rivalise de roublardise pour étaler une vertu ostentatoire, c’est la manière dont elles s’inscrivent finalement dans le même mouvement d’acceptation de l’Empire du Bien et de son inéluctable marche en avant.
Que ce soit chez les contempteurs acharnés de Polanski et Mitterrand (ces misérables crapules, « socialistes décomplexés », à la Hamon, Montebourg et Valls qui ont compris que le spectre de l’extrême droite ne faisait plus frissonner grand monde et qu’il fallait désormais trouver des nouveaux épouvantails –pédophilie, libéralisme amalgamé avec l’esprit libertaire…- pour redorer un blason bien terni) ou les défenseurs paradoxaux de ces deux individualités ; il s’agit toujours de se rallier à la cause du Bien en mettant au pilori tout ce qui pourrait le mettre en danger (l’opacité, l’ambiguïté, le négatif : bref, les fondements de la nature humaine).
Alors d’un côté, on fera gonfler le spectre de la pédophilie et du tourisme sexuel, on réclamera plus de lois (fin de la période de prescription : c’est trop facile !) au nom d’une « éthique de la responsabilité et de la transparence » (Manuel Valls) ; de l’autre, on fera de Polanski la victime d’un complot antisémite (j’exagère mais il y a dans la défense de Finkielkraut la même rhétorique nauséabonde que celle utilisée pour défendre l’état d’Israël : Polanski a été victime des totalitarismes dans sa jeunesse donc il devrait bénéficier d’une totale immunité) ; et de Mitterrand celle d’une fatwa homophobe (il faut lire la tordante défense de ce crétin de BHL qui pose maintenant en zélateur de l’immoralité et en défenseur de l’absolu liberté d’expression de l’artiste : il n’a pas tort mais on aurait aimé qu’il déploie autant de zèle pour défendre Siné et les œuvres de Céline et Drieu, par exemple !).
Plutôt que de chercher ce que cette affaire a encore d’humain et c’est d’ailleurs sans doute peut-être pour cette raison qu’elle est encore scandaleuse (la chose la plus intéressante dite par Finkielkraut est la comparaison qu’il fait avec l’unanimisme ayant accueilli la mort de Michael Jackson. Or même s’il ne le dit pas on devine que si l’idole pédophile fut tant célébrée, c’est qu’il représente la quintessence de notre monde actuel : fin de la différenciation –il n’est ni homme/ ni femme, ni noir, ni blanc-, infantilisation à outrance et ralliement total à l’empire du Bien –« We are the world » !) ; j’ai préféré donner un extrait d’Après l’histoire de Philippe Muray que je viens de terminer.
Cet extrait tiendra lieu de note et me semble parfaitement décrire la situation actuelle.
Muray y résume d’abord l’argument de La petite Roque de Maupassant (une petite fille violée et assassinée par le maire du village, d’abord hanté par la culpabilité puis piégé par le zèle d’un facteur qui achemine malgré tout la lettre où le coupable s’est dénoncé) et écrit ensuite :

« Ce qu’il y a le plus intéressant dans ce bref récit publié en 1885, c’est bien entendu ce qui le différencie de manière extraordinaire de tout ce qu’on peut lire à longueur de temps dans les journaux, ou voir à la télévision, chaque fois qu’une petite fille est violée et massacrée, chaque fois qu’un petit garçon tombe entre les mains d’un sadique, chaque fois qu’un enfant, pour résumer, est victime d’un pédophile. Les médias, pour commencer, sont totalement absents de la nouvelle de Maupassant. Il n’y a personne, pas le moindre petit journaliste local, pour propager, donc aussi pour effacer le plus vite possible, en le transformant en évènement à thèmes, ce qui vient de se passer. Il n’y a pas non plus d’opinion publique, même restreinte aux dimensions du minuscule village normand où l’histoire se déroule, dont on puisse noter les manifestations de solidarité, d’indignation et de douleur. Il n’y a pas, enfin, de deuil collectif, ou plutôt de collectivisation du deuil, et de tribalisation des souffrances de la mère de Louise Roque. Il n’y a même pas, à proprement parler, de deuil ; ou, du moins, ses manifestations sont escamotées parce qu’elles vont de soi. L’indignation des belles âmes, concernant un crime si répugnant, ne se fait même pas entendre.
Et personne ne se demande non plus, c’est extraordinaire, si ce fait divers sordide ne va pas nuire gravement à l’image de la commune.
[…]
Et ce qui arrive maintenant, quand d’autres petites Roque sont violées et assassinées, ce sont ces rituels bien connus, ces cérémonies de deuil ostentatoire et ces accès de lynchage virtuel, tous ces comportements surprenants, tous ces phénomènes que décrivent les médias (après les avoir en partie fait naître) et que l’on peut regrouper sous les noms de festif de repentance, nécrofestif, festif de lamentation ou festif funèbre.
Toutes ces appellations peuvent d’ailleurs être elles-mêmes rassemblées sous le label lacrymocratie. En régime lacrymocratique, le problème de savoir poser son chagrin, et aussi celui de savoir comment l’exprimer, se présentent à chaque instant. Il est évident que de telles questions sont parfaitement étrangères aux personnages de Maupassant : le chagrin, à l’époque, il y a les églises pour ça. Que Maupassant lui-même ait été athée ne change rien à cette affaire : ses personnages, eux, ne le sont pas ; ils n’ont aucune raison de penser à l’être ; ni d’expliquer pourquoi ils ne peuvent pas l’être. Une religion est là pour prendre en charge leur malheur. Ce qui fait que l’auteur peut porter son attention sur ses personnages (en l’occurrence, principalement, le maire criminel et son drame de conscience puis ses démêlés comico-tragiques avec l’incorruptible facteur entraînant sa décision finale de se suicider). Ce qui n’est plus du tout le cas, bien entendu, en régime lacrymocratique. Un romancier, aujourd’hui, serait amené à se concentrer sur bien d’autres choses : par exemple, pour commencer, sur les grandes manifestations de révolte et de solidarité que le viol puis l’assassinat d’une nouvelle petite Roque susciteraient, sur les défilés qu’un tel évènements déclencherait dans les rues, et sur les débats qui s’ensuivraient dans les médias ; sur les propositions de lois, aussi, qui ne manqueraient pas de faire surface à cette occasion, et sur tous les décrets qu’on s’empresserait de mijoter afin que de telles horreurs ne se produisent plus ; sur bien d’autres choses encore, par exemple l’évocation de réseaux éventuels et mystérieux de pervers, de « monstres », de trafiquants d’enfants, de pédophiles assoiffés de l’innocence des anges. Un romancier d’aujourd’hui, à partir du récit de la mort de la petite Roque, serait par conséquent très vite obligé d’oublier celle-ci, et même de se désintéresser quelque peu du destin de son bourreau, pour étudier en détail la surprenante amplification de l’affaire, et la grande campagne épuratrice qu’elle déclencherait chez les autres, le grand rêve collectif de nettoyage et de purification qui se lèverait en tornade dans son sillage. Là comme ailleurs, il serait conduit à observer que les manifestations de la douleur, bien au-delà de celle des parents ou des proches de la victime, se développent désormais comme une pride, dégénèrent et se démesurent en Sorrow Parade, et que tout finit en fête, même s’il s’agit en l’occurrence de fêtes de deuil, noires et vengeresses. Il pourrait donc nous faire assister à un nouveau processus de dépossession de la mort, du deuil et du chagrin ; et aux longs défilés publicitaires que cette dépossession suscite et accompagne. La gigantesque confusion mentale que le festif contemporain est chargé de recouvrir de son manteau d’effervescence ne s’est jamais mieux manifestée que dans ces « marées blanches » de Belgique qui ont suivi l’affaire Dutroux, où tout un peuple s’est chargé de faire la publicité de son propre deuil, ainsi que de son désir de vengeance et d’épuration. Le chagrin lui-même, et la soif de justice, se sont dissous, au long de ces défilés, dans la fierté unanime de n’être pas pédophile. C’est tout ce qu’une société occupée de sa revirginisation a été capable de penser ou de ressentir. »

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lundi, octobre 12, 2009

Vous avez dis "Bizarre"?

Bizarre : 1953-1968. Anthologie (Berg international. 2009)

En 1953 paraît chez Eric Losfeld une nouvelle revue intitulée Bizarre. Le premier numéro est un hommage à Gaston Leroux. Revue littéraire, donc ? Revue éclectique plutôt, puisqu'il y sera bien évidemment question de littérature mais également de cinéma, de peinture, de dessin, de photo et de tout ce qui a trait à l’étrange, au mystérieux, au hors normes…
Losfeld ne publiera que deux numéros de la revue et c’est Jean-Jacques Pauvert qui lancera la deuxième formule en Mai 1955 pour une collection qui comptera 46 numéros.
Pauvert, Losfeld : il est facile de deviner qu’avec des parrains comme ces prestigieux éditeurs, Bizarre se place immédiatement sous les auspices bienveillants du surréalisme.
La déclaration inaugurale du premier numéro (où l’on trouve aux côtés de Losfeld des gens comme Michel Laclos, qui deviendra le rédacteur en chef de la nouvelle formule, Ado Kyrou, Jean Ferry ou encore Jacques Sternberg) ne laisse aucun doute quant à l’esprit qui entend présider l’entreprise :
« Nous préférons croire que ce sommaire inaugural parlera pour nous, et que s’y intéresseront, comme à ceux des numéros de Bizarre qui suivront tout ceux qui mettent au-dessus de tout l’amour, l’humour, la poésie, trois valeurs des côtés les plus inattendus aujourd’hui niées, attaquées, et que nous nous proposons d’exalter, surtout en ce qu’elles ont d’excessif disons-le, d’insolite. »
Si l’on jette un rapide coup d’œil aux personnalités qui participeront de près ou de loin à Bizarre, que ce soit Raymond Queneau, Caradec, Noël Arnaud, Michel Laclos, Jean Ferry ou même Siné et Topor, on devine également les liens étroits que la revue entretint avec le collège de pataphysique. Cela nous vaudra quelques mémorables articles sur les palindromes ou autres jeux littéraires (voir le superbe numéro sur la Littérature illettrée à laquelle participèrent tous les lettristes).
L’anthologie proposée par Jean-Marie Lhôte est totalement frustrante dans la mesure où elle donne envie de dévorer tous ces numéros qui se trouvent encore chez les bouquinistes ou libraires en ligne à des prix plus ou moins raisonnables. Vous aurez deviné que cette remarque n’est absolument pas une critique et que le livre est, au contraire, splendide de bout en bout et donne un aperçu remarquable de ce que pu être cette revue.
Il ne s’agit pas ici de passer tous les numéros en détails mais dressons un rapide panorama des thèmes abordés (si les premiers numéros de Bizarre seront très éclectiques et finalement assez « généralistes », la nouvelle formule privilégiera le principe du « numéro dossier »).
En peinture, on notera un numéro sur Rembrandt (qui est sans doute celui qui m’a le moins intéressé), un autre sur Degas (signé Lhôte lui-même) et un superbe numéro consacré à La Joconde, tout à fait dans l’esprit pataphysicien.
En littérature, personne ne sera surpris d’apprendre que des numéros de Bizarre ont été consacrés à Boris Vian et à Raymond Roussel. Outre ces superbes dossiers, il faut aussi citer l’hallucinant ensemble dirigé par Queneau sur « les hétéroclites et fous littéraires. Mais le numéro qui restera sans doute le plus dans les mémoires est le 21-22 consacré à Rimbaud.
En 1961, la revue publie un dossier d’un jeune professeur de lycée de Vichy (tenant à rester anonyme) intitulé A-t-on lu Rimbaud ? Il s’agit d’une étude iconoclaste où l’auteur propose notamment une interprétation exclusivement érotique du sonnet Voyelles tout en égratignant les dignes zélateur du poète (Etiemble n’est pas ménagé). Le numéro créé une telle polémique que le n°23 de Bizarre est presque exclusivement consacré à l’affaire Rimbaud, regroupant toutes les réactions suscitées par l’étude de RF (dont celle mesurée d’André Breton). Si le numéro est depuis devenu mythique, c’est que derrière ces initiales de RF se cache en fait le nom de Robert Faurisson, qui avant de devenir le négationniste sénile que l’on sait se fit un nom en démontant les grands mythes littéraires (après Rimbaud, il s’en prendra à Lautréamont).
J’ai signalé la participation d’Ado Kyrou à la revue. Bizarre s’intéressera donc au cinéma et accueillera dans ses pages la signature du grand Jean Boullet, « historien » du cinéma bien connu de tous les amateurs de cinéma fantastique, bis et/ou bizarre. Le numéro consacré au Cinéma fantastique, l’épouvante (le 24-25) est une pure merveille où sont réhabilités (à juste titre) aussi bien Bela Lugosi et Boris Karloff que Tod Browning et James Whale. A Boullet, on doit aussi le numéro mémorable consacré aux Monstres (numéro 17-18 : février 1961) où il écrit :
« Je vous envie de pouvoir mépriser tant d’anatomies insolites, au nom de je ne sais quelle définition du « normal », telle que la commande une société qui brûle sur les places publiques ceux qui ne sont pas à son image (comme s’il y avait de quoi se vanter). Abandonnons donc cette conception absurde de ce qui est « normal » et de ce qui ne l’est pas (nous sommes encore quelques-uns pour lesquels il est beaucoup plus ahurissant d’entrer dans les ordres que d’avoir trois jambes, comme Francesco Lentini, le pygomèle, ou deux têtes, comme « Jean-Jacques » Tocci, le dérodyme)… »
Cette petite citation donne un aperçu assez caractéristique du ton Bizarre, mélange de curiosité insatiable et d’iconoclastie rafraîchissante.
On pourrait poursuivre à l’infini les exemples tant cette revue extraordinaire apparaît aujourd’hui à la fois comme une mine d’or et un bric-à-brac magique.
Mais comme il faut conclure, n’oublions surtout pas un domaine où Bizarre s’illustra particulièrement qui est celui du dessin d’humour. Des numéros spéciaux Dessins inavouables de 1960 jusqu’au spécial Wolinski, Carnets de croquis de décembre 1966, en passant par les numéros consacrés à Siné et Chaval, toute une génération de dessinateurs talentueux passa par les colonnes de Bizarre où naquit un nouveau sens de l’humour noir hérité des grands dessinateurs américains. Tous ceux qui allaient faire les grandes heures d’Hara-Kiri et Charlie-Hebdo passèrent par Bizarre, que ce soit Cabu, Reiser, Gébé ou Copi. On y verra aussi Maurice Henry (un peu le vétéran), Topor et son humour noir inimitable, Gourmelin et même Sempé et Trez.
Anecdote assez significative : Bizarre s’arrête en 1968. Sans doute parce que l’époque que la revue n’avait cessé de préfigurer arrivait enfin…

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dimanche, octobre 04, 2009

La geste anarchiste

La terreur noire (1959) d’André Salmon (L’échappée. 2008)

Poète, romancier, journaliste, critique d’art ; André Salmon, qui fréquenta de près Apollinaire, Max Jacob et les symbolistes, est resté « célèbre » pour ses Souvenirs sans fin (réédités chez Gallimard il y a quelques années). Avec la terreur noire, l’auteur poursuit son œuvre de mémorialiste en s’attaquant au mouvement anarchiste et aux « grandes heures » qu’il connut sous la troisième République.
Après un rapide panorama des origines théoriques de l’anarchisme (Salmon revient sur les personnalités de Proudhon, Bakounine, Kropotkine sans négliger Max Stirner) et les quelques prémisses du mouvement qu’il voit fleurir avec les convulsions de la Commune de Paris (Salmon consacre quelques très belles pages à la Vierge Rouge, notre bien-aimée Louise Michel) ; l’auteur arrive au cœur de son sujet et nous narre en détail les moments forts de la geste anarchiste, des premiers attentats de Ravachol jusqu’à l’exécution de Bonnot en 1912.
Je résume très succinctement car Salmon ne néglige pas quelques évènements antérieurs à l’arrivée sur le devant de la scène de Ravachol (les colères ouvrières durement réprimées par la flicaille, le cas de Clément Duval…) et trace un rapide panorama des suites données au mouvement libertaire à partir de la première guerre mondiale (l’affaire du Bonnet rouge, l’assassinat de Philippe Daudet, le fils de Léon, etc.).
Disons-le d’emblée, la terreur noire est un livre foisonnant et passionnant de la première à la dernière ligne. J’ai déjà lu pas mal d’ouvrages consacrés à cette période de l’Histoire de France mais aucun n’avait le souffle que parvient à lui donner Salmon. Sans doute parce qu’il ne se pose pas ici en « historien » mais parle d’une « chronique » du mouvement anarchiste. Plutôt que de décrire les faits le plus « objectivement » possible (comme si l’objectivité existait réellement !), Salmon ne renâcle pas à faire parfois preuve d’une « subjectivité radicale » du meilleur aloi (mais comme il est malin, il ne prend pas directement parti pour les anarchistes mais tente d’éclairer leurs motifs qui, invariablement, nous les rendent de toute façon sympathiques !). Son récit, plein d’humour acide et de traits vachards, n’hésite pas non plus à s’interrompre le temps d’un portrait ou d’anecdotes qui rendent cette chronique incroyablement vivante.
A côté de ça, si la terreur noire peut paraître « romancé » tant son style n’a rien à voir avec la prétendue objectivité historienne (l’écriture de Salmon est un régal), on réalise que l’auteur a fait de véritables recherches pour son livre et qu’il a consulté aussi bien les journaux de l’époque que toute la littérature relative au mouvement, y compris celle lui étant hostile (le fameux Péril anarchiste d’un certain Dubois que je rêve de dégotter aux puces). Que Salmon n’hésite pas à conter la manière dont il rencontra et serra la main à Jules Bonnot avant que celui-ci ne devienne le prétendu « chef » de la bande du même nom n’obère en rien la véracité des faits relatés dans cette fresque mouvementée.
Les auteurs de cette réédition (la terreur noire est d’abord paru chez Pauvert, en 10/18 en 1959) ont d’ailleurs inséré quelques notes lorsque Salmon semble s’éloigner de la vérité mais ces notes sont très, très rares (elles contestent, à juste titre, les premiers crimes attribués à Ravachol et remettent en cause, ce qui me paraît moins fondé car non appuyé sur d’autres sources, la version très largement répandue que l’attentat d’Auguste Vaillant à la Chambre des députés ne fut en fait qu’une provocation policière pour museler une presse un peu trop turbulente au goût des autorités).
L’ouvrage parvient donc à traduire parfaitement le bouillonnement de cette époque, qu’il soit politique (les attentats auxquels ont réduit bien trop souvent le mouvement anarchiste) ou intellectuel (grâce soit rendue à Salmon de donner des portraits de grandes figures trop peu connues comme Pouget, Zo d’Axa, Libertad ou Goldberg). Certains de ses jugements peuvent être contestés (Salmon exalte à juste titre de grands messieurs comme Fénéon ou Tailhade mais se montre un poil sévère contre Mirbeau à qui il reproche de n’avoir pas défendu Emile Henry comme il avait défendu Ravachol. On sait par ailleurs que la femme de Mirbeau publia, à la mort de l’écrivain, un faux testament où il affirmait renier toutes ses idées anti-chrétiennes et anarchistes. C’est peut-être ça qui fait que le génial auteur du Journal d’une femme de chambre est jugé bien durement à mon goût).
Je ne vais pas m’étendre plus longuement sur cet ouvrage admirable qu’il faut se procurer toutes affaires cessantes. Ajoutons simplement que cette réédition chez l’échappée de la terreur noire est superbement illustrée, que ce soit par des illustrations de journaux de l’époque ou les superbes dessins de Flavio Constantini.
Un beau cadeau pour les bibliophiles, en plus d’être un document rare…


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